Les "Miniatures - Kits sonores" de Cécile Babiole sont de minuscules sculptures (impression 3D oblige). Entre la fève de la galette et l’ex-voto, elles rendent hommage au monde des sons. A voir dans le cadre d’Accès(s) (Médiathèque André Labarrère à Pau). © DR
< 12'10'12 >
Les silex électroniques du festival Accè(s)
C’est du grand Sud que nous vient cette semaine la petite musique des utopies des artistes bricodeurs –alors que Poptronics fourbit ses arguments pour entretenir le Nord de la révolution DiY (à partir du 18 octobre à l’Imaginarium de Tourcoing). Accès(s) Cultures électroniques qui sort annuellement la ville de Pau de sa léthargie avec son cocktail de conférences, perfs, projections et actions artistiques pointues, s’intéresse du 10 au 20 octobre aux « Artisans numériques ».
Lancée en 2000 par une poignée d’étudiants des Beaux-arts, la manifestation maintient sa ligne exigeante, malgré les changements d’équipe et les moyens limités (on dirait que c’est la crise…). Ewen Chardronnet, qui s’intéresse autant à l’art en apesanteur (en 2003, il participait au Microgravity Interdisciplinary Research) qu’aux ondes électromagnétiques (Spectral Investigations Collective), en est le nouveau commissaire. L’occasion de lui demander comment cette édition placée sous le signe des luthiers électroniques et des nouveaux artisans numériques entendait aborder les débats du moment. Avec les aléas du contexte : le MagLab mobile, atelier nomade de fabrication de micro-objets en 3D, a dû être annulé. De quoi souligner la fragilité de cet artisanat numérique (on en veut pour preuve l’affiche du graphiste Pierre Vanni pour la manifestation, qui présente des silex en papiers découpés…).
Accè(s) est un festival plutôt « arts numériques ». Pourquoi mettre l’accent cette édition sur le « graphical sound » ?
Ewen Chardonnet : Je ne pense pas que la catégorie "arts numériques" soit bonne, mais je m’intéresse à des choses catégorisées dans ce genre. Selon moi il s’agit d’une notion très circonstancielle dans l’histoire de l’art, en anglais on ne parle pas de « digital art » mais plutôt de « media art » ou d’« electronic art ». Directeur artistique de ce douzième festival Accès(s), j’ai plutôt souhaité tirer les fils d’un intérêt que je développe dans mon travail pour la Russie et les différentes phases de transition politique, technologique et artistique qu’elle a pu connaître, jusqu’à la fin du communisme étatique, entre autres avec l’invitation du Centre Theremin.
L’époque léniniste est un moment-clé dans l’histoire du développement de techniques musicales. C’est le début du field recording et le moment où on a commencé à enregistrer le son sur de la pellicule cinéma. Lorsqu’on s’intéresse à la Russie, on aborde rapidement les questions qui relient l’art et la science, la conversion du militaire vers le civil (de la même manière que l’Internet est une invention militaire, au départ).
Il y a aussi les questions spatiales et la manière dont l’art et l’espace ont toujours constitué dans les pays de l’Est des problématiques reliées entre elles. Pour revenir à ma découverte du « graphical sound », il faut remonter jusqu’au festival Art+Communication (Riga 2007) et l’exposition « Spectral Ecology », à laquelle j’avais participé avec Bureau d’études.
Andrei Smirnov y était notamment intervenu sous forme d’une performance au laser d’espionnage, lors d’une conférence intitulée « Art et technologie de l’espionnage ». J’ai alors découvert ses recherches sur le Graphical Sound et la génération Z (Ndlr : Generation Z retrace l’histoire un peu perdue des avant-gardes russes avant la Seconde Guerre mondiale). Il a fondé et dirige le Theremin Institute à Moscou, l’équivalent de notre GRM.
Ce qui m’intéresse beaucoup dans le « son graphique », c’est qu’il se situe à l’origine de la musique de synthèse sonore. Dans l’exposition « Dessiner le son » que je propose avec invitation de Smirnov pour l’histoire et l’inspiration que cela transmet à des contemporains (Derek Holzer->http://umatic.nl/tonewheels.html, par exemple), apparaît une discontinuité historique liée à la Seconde Guerre Mondiale. La fameuse synesthésie qui unirait le son et l’image est un rêve qu’on peut relier au début du XXème siècle. L’avant-garde russe des années 20 et 30 se plonge dans le son graphique, avec des personnalités très fortes (Evgueni Sholpo, Arseny Avraamov) qui inventent des machines sonores comme le Variophone ou des pratiques comme l’Orchestra of Noise qui souhaitait la disparition des orchestres et a enregistré une musique bruitiste littéralement industrielle. Smirnov projettera ce vendredi soir des films courts des années 30 à l’incroyable bande-son.
Après la Seconde Guerre Mondiale, les technologies électro-magnétiques prennent le dessus et les expériences de son graphique s’éteignent peu à peu, avant d’être ressuscitées après la période stalinienne. Le synthétiseur ANS (inventé en 1957) connaît alors un incroyable succès.
Lors de cette édition d’Accès(s), nous ferons le lien entre cette histoire et ses prolongements contemporains, en programmant des performances live, par exemple celle de Derek Holzer et sa vielle à roue « phonique », un synthétiseur expérimental appelé « Tonewheels ».
Derek Holzer et son Tonewheels, au Styx Project Space Berlin, en novembre 2008 :
Et samedi, le Conservatoire de Pau propose une journée portes ouvertes où les inventeurs d’instruments de Pau pourront confronter le fruit de leurs recherches et dialoguer par exemple avec Andrei Smirnov ou Derek Holzer.
Autre volet du festival, les fablabs (mot-valise pour laboratoire de fabrication, la Mecque des imprimantes 3D initiée par le MIT) ? Histoire de coller à une certaine mode ?
E.C. : C’est au contraire pour la questionner, voire la critiquer ! Les fablabs sont en effet très à la mode depuis 2011 en France, un phénomène dont on réalise aujourd’hui qu’il peut susciter beaucoup de désillusions. Nous avons envie de nous intéresser avant tout aux questions esthétiques et artistiques qu’il soulève et ne pas rester collé aux questions de design et surtout à l’espèce d’évangélisme (voire d’idéologie) américain qui louerait les vertus d’un pseudo proto-capitalisme, moyen « idéal » de sortir de la crise, en retournant au passage les idées du mouvement Arts & Crafts de William Morris.
Nous voulons questionner ce qu’est une économie d’atelier, en remontant donc au XIXème siècle, époque d’une prise de conscience : l’ouvrier pouvait maîtriser de A à Z la chaîne de production, en s’épanouissant, à rebours de l’industrialisation galopante qui perturbait jusqu’à l’intérieur des familles.
Une journée d’études intitulée « Enjeux technologiques, artistiques et sociétaux des fablabs », le 18 octobre, donnera lieu à une publication. Et nous montrons le travail de deux artistes passés de la peinture (Diego Movilla) et de la modélisation (Cécile Babiole) à la fabrication d’objets. Des démarches plasticiennes qui me semblent représenter un renouveau esthétique bien éloigné des préchi-précha post-capitalistes !
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