La Monte Young en 1962, le "roi" du minimalisme selon Philip Glass. Le Collège des Bernardins programme Alterminimalismes, concerts de compositeurs biberonnés à cette forme de musique contemporaine née aux Etats-Unis à l’aube des années soixante. © La Monte Young
< 06'05'11 >
Alterminimalismes, du minimalisme au « moinimalisme »
New York, novembre 2010. La Monte Young donne un de ses rares concerts, chez lui, à la fameuse Dream House dans le quartier de Tribeca au cœur de Manhattan. Parmi les soixante spectateurs, pas plus, l’illustre compositeur Philip Glass. Ici, pas d’applaudissement, pas de standing ovation… juste un pur recueillement, au service d’un instant où le temps s’arrête et l’auditeur pèlerin est suspendu. A la sortie de concert, Philip Glass dira à la cinéaste et écrivain Jacqueline Caux, qui me rapporte l’anecdote : « La Monte est le roi, Terry (ndlr, Riley) est le prince, et nous (ndlr, Steve Reich et lui-même), nous sommes les vassaux. »
Glass ne pouvait mieux exprimer la généalogie du minimalisme. Cette forme de musique contemporaine typiquement américaine apparaît à l’aube des années 60. Elle réhabilite la tonalité et la pulsation, jouant sur l’idée de répétition, héritée de la forme traditionnelle du canon, mais aussi de certaines musiques de transe exo-occidentales. Roi, prince et vassaux sus-cités ouvrent eux-mêmes la voix à d’autres compositeurs américains tels John Adams ou le collectif Bang On the Can, tandis qu’à l’internationale des minimalistes, dits post-modernes, se distinguent les Britanniques Michael Nyman et Gavin Bryars, ou encore l’Estonien Arvo Pärt… La lignée est sans fin.
Contrairement à d’autres musiques « savantes », le minimalisme trouve résonance dans les musiques pop, tout du moins chez les plus progressistes d’entre elles. Du Velvet Underground, fondé par deux anciens musiciens de La Monte Young, à l’avant-pop troisième millénaire d’Animal Collective, en passant par le Krautrock, les Who (période « who’s next » et leur fameuse introduction de « Baba o’Riley », le punk binaires de Suicide, la noisy pop de Spacemen 3, la techno de Detroit (ad lib…).
« Alterminimalisme », c’est le nom (bien) choisi par le programmateur et journaliste David Sanson, d’une série de concerts sur et autour du minimalisme. On en saluait dès la première l’audace et la particularité « mystique », car les quatre dates du programme ont lieu au Collège des Bernardins, lieu de recherche et de débats pour l’église et la société, nous dit la page d’accueil du site ( !?). « La question du minimalisme, qui fait de l’écoute affranchie et recueillie, partageuse et décomplexée, le lieu d’une véritable expérience, a fortement à voir avec la mystique », nous dit Sanson. Pour le troisième événement de la série, marqué par le récital marathon de « Inner Cities » composé par Alvin Curran, l’expérience promet davantage d’être « moinimaliste ».
Plus qu’une œuvre au sens courant du terme, « Inner Cities » se présente comme un cycle en extension. Tout commence en 1993 quand Curran entame la composition d’une pièce pour piano seul, très simple, autour du principe classique du minimalisme : la répétition d’une note sur un accord, avec des décalages d’accent et de rythme quasi imperceptibles. Cette pièce sera la première d’une série de onze, dont l’écriture court jusqu’en 2010. Elles portent toutes le même titre et forment de facto un ensemble d’une durée de quatre heures et trente minutes, pas moins. Le pianiste belge Daan Vandewalle, à qui d’ailleurs l’avant-dernière pièce est dédiée, a émis la très courageuse proposition de jouer le cycle in extenso en concert. L’expérience est rare et totalement inédite en France.
Suite à cet événement, Alterminimalisme s’achèvera le 9 juin avec une programmation nettement plus pléthorique où se croiseront les répertoires de Giacinto Scelsi, Meredith Monk, Alvin Lucier, Francisco Lopez, Phill Niblock, et même l’in-répertoriable chanteur français Albert Marcœur.
Quant aux divas du minimalisme, et après quelques années d’incompréhension notoire plus ou moins orchestrée par les tenants d’une musique contemporaine atonale pure et dure en France, elles sont maintenant accueillies avec les honneurs. Ainsi Steve Reich sera à la Cité de la Musique en octobre 2011 pour une quasi rétrospective, avec entre autres « Drumming », « Come Out », « Music for 18 musicians », « Different Trains » parmi ses œuvres les plus identifiées…
Sûrement de quoi contredire le mot de John Cage, qui déclarait à propos des « vassaux » Reich et Glass que « leur minimalisme est l’expression d’une fatigue et qu’il provient du souhait de trouver des chemins faciles dans l’art ».
jean-philippe renoult
|
|
|