"Ghost Pad", l’interface de jeu détournée par l’artiste Antonin Fourneau, présentée dans la campagne rennaise dans le cadre du festival Bouillants. © Carine Claude
< 18'04'14 >
Bouillants #06 : le je(u) en mode vert
(Vern-sur-Seiche, envoyée spéciale)
Tout frémissant d’énergie militante, le festival d’art numérique Bouillants, qui porte bien son nom, s’attaque au “je(u)” pour sa sixième édition, du 6 avril au 1er juin 2014. Niché au beau milieu de la verte campagne rennaise, sur le site d’une ancienne laiterie, l’événement fait figure d’ovni dans la galaxie très urbaine de la création numérique. Faire venir le public causer citoyenneté, multimédia et gaming dans les prés ? Un pari pas si fou puisque 26 000 visiteurs s’y sont pressés l’an passé. “Les œuvres et propos numériques vont au-devant des publics sans limite géographique, grâce au levier citoyen de la gratuité d’accès”, explique Gaëtan Allin, directeur artistique de Bouillants (et directeur de S.A.GA, qui co-organise le festival avec l’association Le Milieu). Il a d’ailleurs prévu pas mal de conférences et d’installations hors-les-murs un peu partout en Bretagne pour faire passer le message.
Gaëtan Allin, directeur artistique de Bouillants (1’35) :
Rétroviseur. A la laiterie Les Bouillants, l’exposition panache une quinzaine d’œuvres plus ou moins incisives, pas forcément récentes, souvent inspirées par le rétrogaming. “On tient à présenter aussi des œuvres ‘datées’, car nous voulons mettre en perspective l’histoire récente de la création numérique”, souligne Allin. Si la sélection internationale fait preuve d’un bon esprit de chineur, les artistes formés à l’école d’art d’Aix (vivier que l’on suit de près chez Poptronics) débarquent en force.
Le tapis rouge est déroulé pour Antonin Fourneau qui présente quatre créations, dont son très drôle “GhostPad” (2009), qui rend le visiteur perplexe… puisqu’il ne doit pas le toucher. Les mouvements de ce joystick autonome renvoient à un jeu mythique. Un indice : il est rond, il est jaune, il mange des fantômes… Toujours chez les Aixois, “L’Hommage à New York” (2012) de Florent Deloison (déjà repéré lors du dernier Gamerz) est un jeu dont l’unique but est de… s’autodétruire. Clin d’œil à la sculpture de Tinguely, ici, on ne casse pas des briques, mais du code avec une réflexion intéressante sur l’obsolescence programmée.
“L’Hommage à New York”, Florent Deloison (2012). © Gwendal Le Flem
Un peu plus loin, le “VidéoPuncher 1.3” (2005) d’Adelin Schweitzer (encore un alumni de l’école d’Aix), scrute les comportements et les interactions conditionnées. Créé à une époque où Youtube n’existait pas, mais où le partage de fichiers était déjà à la mode, “VidéoPuncher 1.3” est un punching ball où le public se défoule sur des contenus plus ou moins violents, reflets des flux circulant sur Internet il y a une dizaine d’années.
Dans le registre de l’expérience physique pas toujours agréable, on retrouve la fameuse “PainStation” (2002) des Allemands déjantés du collectif ////fur////. Ça frappe, ça brûle, on se prend des décharges électriques. Paraît-il que certains sont (encore !) accros.
“PainStation”, ////fur//// (Volker Morawe & Tilman Reiff), 2002 :
Du politique au poétique. Parce que le festival revendique un certain militantisme citoyen, pas étonnant d’y trouver des œuvres engagées, comme le karaoké “Revolustar” (2011-2014) de Gaspard et Sandra Bébié-Valérian, où le joueur se lance à pleine voix sur des chants communards et révolutionnaires. Les paroles défilent sur des vidéos de Beyoncé et autres pop stars mainstream, alors forcément, c’est hilarant.
"Révolustar", d’Art-Act (Gaspard & Sandra Bébié-Valérian). © Gwendal Le Flem
D’ailleurs, pour parler politique, la programmation a choisi de communiquer grand large, débat sur “Fort McMoney”, en présence de son auteur, David Dufresne, réalisateur du multi-récompensé “Prison Valley”. Son dernier projet est un webdoc-game qui propose une plongée dans l’univers de l’exploitation pétrolière et croise deux ans d’enquête et un jeu coopératif sur le mode sérieux. “L’enjeu est extraordinaire, on assiste grâce à des projets transmédias comme celui-là à l’émergence de nouvelles formes de démocratie participative”, s’enthousiame Gaëtan Allin.
"Fort McMoney", David Dufresne, 2013 (bande annonce) :
Le mode documentaire se retrouve aussi dans “Tempo Scaduto” de Vincent Ciciliato, ex-résident du Fresnoy), qui juxtapose les automatismes des jeux de shoot aux images d’archive pour s’immerger dans l’histoire des guerres mafieuses siciliennes.
“Tempo Scaduto”, Vincent Ciciliato, 2012 :
Qui dit jeu dit aussi futilité et amusement. On retrouve la dimension purement ludique avec le totalement frénétique et addictif “Finger Battle”, application pour smartphone d’une des stars de l’art numérique, Rafaël Rozendaal (Hollando-Brésilien qui vit à New York). Ce bras de fer à l’index sur écran de smartphone, planté au milieu d’un ring de boxe, propose le gameplay le plus minimal qui soit…
“Finger Battle”, Rafaël Rozendaal, 2011 :
Le pur plaisir est aussi au cœur de “Game Border” de Jun Fujiki qui se balade dans l’histoire du jeu vidéo des trente dernières années en douze consoles (on joue la même partie en passant d’une console à l’autre).
"Game Border" (2012) de Jun Fujiki, Japon. © Gwendal Le Flem
On apprend également que le jeu vidéo peut être poétique, avec "Algorithmic search for love" de Julian Palacz, qui séquence des requêtes textuelles en extraits de films. Se croisent dans ce foundfootage sémantique Truffaut, Antonioni, Woody Allen…
"Algorithmic search for love", Julian Palacz, Autriche (2010) :
Le dispositif interactif de BD générative “Ideogenetic Machine” capte en temps réel l’image du spectateur d’un trait élégant.
“Ideogenetic Machine”, Nova Jiang, Nouvelle Zélande (2011) :
Notre seul bémol à ce Bouillants ludique, c’est que l’exposition ne présente que deux créations nouvelles, dont un détournement de “Final Fantasy 7” par le collectif Mille au Carré. En ligne, deux jeux d’artiste sont par ailleurs proposés. Le classique "Vigilance 1.0" de Martin Le Chevallier (2001), inspiré de l’univers de “Sim City”, dont l’objectif est... la délation. Et la “Planète 7” d’Arnaud Pérennès, conçue avec des enfants de 7-8 ans dans un atelier “Jeu crée un je ↔ Je crée un jeu” à Rennes, à partir de Scratch, le logiciel pour apprendre la programmation aux enfants conçu par le médialab du MIT.
“Nous aimerions aller au-delà, en ouvrant à plus de production grâce à des résidences d’artistes et en faisant émerger un pôle artistique citoyen,” espère Allin. Le directeur artistique de Bouillants regrette que les institutions régionales se montrent si frileuses dès qu’il s’agit de subventionner des initiatives culturelles coproduites par des sociétés privées. “Les mouvements sur l’échiquier politique suite aux municipales changeront peut-être la donne.”
Carine Claude
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