Septième épisode des “Chroniques du Zadistan, exceptionnellement en point de vue unique pour conter l’histoire de Greg le fugitif, du dedans de la ZAD, cette zone anti-aéroport Notre-Dame-des-Landes.
Grég le fugitif de la ZAD, en tenue de combat, échappe (sans vraiment fuir) à la police depuis juillet. © DR
< 23'10'14 >
Chronique du Zadistan (7) : allons enfants de la ZAD…

Il est en passe de devenir le Robin des bois de la ZAD, Greg le fugitif. Parce que son histoire relève de la fable, nos chroniques du Zadistan seront exceptionnellement non pas doubles, mais à vision unique : celle de l’intérieur de cette Zone en autogestion, qui lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

(Nantes, correspondance)

Chronique du dedans, par Alain Le Cabrit
Outlaw… le fugitif

« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue. »
Arthur Rimbaud, « Sensations »



Notre-Dame-des-Landes serait devenu « un refuge d’ados fugueuses » : il y a un an, la presse nationale s’émouvait d’une incontrôlable migration d’ « enfants perdus » sur la ZAD. Camille, 17 ans, et Geneviève, 16 ans, avaient préféré à l’école et à la famille une communauté émotionnelle qui correspondait sans doute mieux à leurs affects du moment. « Je suis en accord avec moi-même. Je suis très heureuse », déclarait sur les lieux Geneviève.

Peu de temps après, deux nouveaux ados : un garçon et une fille de 16 ans, originaires de Tours, étaient à nouveau « récupérés » sur site, quelques jours avant la ManifestiZAD. Mais quand on imprime la réalité des faits, il arrive parfois que – malgré soi – on écrive la légende. Comme le relevait déjà une source policière, la sphère médiatique envoyait là « un bien mauvais message » susceptible d’inciter outre les « ados en mal-être » les « délinquants et fuyards » à se soustraire à la loi dans « ce qui apparaissait de plus en plus comme une zone de non-droit ». Tremblez bourgeois et bienvenue au Zadistan !

Bien sûr le soulèvement de la jeunesse, c’est une vieille histoire ! Mais ce désir de faire sécession avec la société s’exacerbe à chaque fois qu’une nouvelle brèche s’ouvre. On n’arrête pas plus les enfants perdus en les enfermant qu’en confisquant leur passeport ou qu’en bâtissant des frontières-murailles. Le terme « enfants perdus », d’ailleurs, désignait jadis « les reconnaissances » dans les armées de la guerre de Trente ans, volontaires de troupes légères, aventuriers et irréguliers, qui agissaient en éclaireurs dans des opérations relevant de la « petite guerre », sans jamais entrer en ligne (l’affrontement final venait après…).

Dépris, de justesse
De fait, depuis début septembre, un « fugitif » circule librement sur la ZAD. En juillet, le parquet a délivré un mandat d’arrêt à son encontre. Ici, sa présence ne semble pourtant pas faire souci. Il ne se cache pas. « Innocente victime d’une justice aveugle » suivant l’inévitable pitch du feuilleton le Fugitif, « condamné à tort » pour des exactions commises à Nantes le 22 février 2014, il a été jugé par le tribunal correctionnel et a écopé de dix-huit mois de prison, dont douze ferme, avec mandat de dépôt. Et voilà pour l’exemple ! « Sauvé in extremis » par un vélo orange qui lui a permis de s’esquiver durant le délibéré de son procès – à la veille de se voir emprisonné –, Grégoire M. est « parti pour Croatan ».

C’est-à-dire nulle part et partout à la fois. Parti en utopie. Sans-lieu et sans-loi… mais pas vraiment sans-dents ! Ce serait plutôt tous crocs dehors que notre fugitif se tient sur zone, là où s’élabore un désir diffus et commun de faire consister un territoire outlaw. « Je suis avec les en-dehors et les bandits (…) ces loups vivent en lisière de la société, précisément parce qu’aimant l’entr’aide, la vie libre, la libre collaboration des forces généreuses », écrivait Victor Serge.

Au vert plutôt qu’à l’ombre
Sur la ZAD, on croise Grég au gré des moissons de septembre auxquelles il apporte volontiers son concours. Lors de la fête des battages, pour l’inauguration de la Meunerie installée dans les hangars qui jouxtent la maison-ferme de Saint-Jean-du-Tertre, on le retrouve face aux grands silos qui attendent de gorger de grain leur panse cylindrique. En soirée, il est là pour partager les galettes de blé noir et les bonnes discussions.
Le dimanche, il participe à la mémorable soule déferlante qui voit deux équipes s’affronter entre Bellevue et Saint-Jean-du-Tertre. La soule c’est en quelque sorte l’ancêtre du rugby. Pratiquée naguère dans les villages, paroisse contre paroisse, à dix ou même parfois jusqu’à plusieurs centaines, elle se jouait avec une vessie de porc dont il s’agissait de s’emparer. Malgré toutes « les lettres de rémission » royales et les multiples interdictions parlementaires, ce jeu a perduré pendant quelques siècles. Son esprit se voit aujourd’hui réactivé sur la zone. Une durée de session indéterminée, un terrain de superficie non délimité, pas de ligne blanche infranchissable, tout au plus l’hostilité d’un fossé ou d’un plan d’eau pour réfréner les ardeurs : deux équipes s’empoignent, se mêlent, s’étouffent, s’étreignent et tracent hors cadre les lignes de fuite de l’horizon bocager.

Mise au poing
Les corps huilés et musculeux ondoient comme dans un mirage sur la route de campagne. Parmi ceux-ci on devine Grég. Fight-club ? Tous reviennent d’un tournoi de lutte turque : un sport qui consiste à s’enduire d’huile avant de se défier. La règle c’est de s’affronter à deux jusqu’à ce que l’un ait les deux épaules au sol plusieurs secondes d’affilées.
A contempler en contre-plongée, du bord du chemin, les athlètes du Zadistan de retour de ce ballet belliqueux, on songe à toute cette imagerie des années 20-30 convoquée par les soviets en vue de promouvoir une tradition de combat basée sur les anciennes formes de lutte libre slaves. On donna le nom de Sambo (samozaschita bez orujiya/ autodéfense sans arme) à cette pratique mélangeant diverses formes d’arts martiaux et de techniques de self-défense. Controversé quant à ses origines, en raison du caractère propagandiste attaché à sa naissance officielle, le Sambo avait été dévolu à l’entrainement des militaires, sous supervision de l’Armée rouge, tout en restant reconnu comme une discipline sportive ouverte. Sans doute s’agissait-il d’un amusement populaire, mais également d’un véritable entraînement physique nécessaire à former un bon combattant.

Quand notre fugitif explique sa volonté de mettre en œuvre un atelier d’athlétisme accessible à qui le souhaiterait sur la Zone, c’est dans une perspective similaire. Ainsi le training collectif mettrait-il l’accent sur des pratiques singulières du type : « course et coordination en situation de conflit ».

Il s’agit de ne pas oublier que c’est un combat qui est mené ici, tant du point de vue de la sauvegarde immédiate des lieux qu’à l’échelle de Vinci et de son monde tentaculaire. La fuite de G. n’est pas seulement une manière de se soustraire à la répression mais bien une forme d’offensive qu’entendent mener les opposants au projet d’aéroport : « Déserter le tribunal, c’est nier la machine judiciaire qui criminalise et tente de broyer les luttes en individualisant les peines pour propager la peur. » La vidéo ironique « De l’audace pour Douglas » participe pleinement de cette campagne inaugurée par la « Fédération d’Etude et de Recherches contre la Justice » à l’occasion des comparutions du début de l’été dernier.

Le 22 : v’la les flics
Le cas de G. n’est qu’un épisode attaché à une longue chaîne de procès qui s’est déroulée depuis la journée émeutière du 22 février. Des comparutions immédiates et des arrestations ciblées à Nantes et à Rennes ou même à Paris, où G. fut arrêté à deux heures du matin : la mise en place, à grand renfort médiatique, d’une cellule policière spéciale pour faire payer les manifestants se devait de fournir des coupables. On peut parler de procédure d’exception tant il est rare en France que des manifestations donnent lieu à de telles investigations a posteriori.
Pis encore, pour les derniers procès, tout semble s’être déroulé comme si une cellule de profilage avait au préalable fourni une liste de personnes qui par leurs pratiques militantes connues étaient susceptibles d’avoir participé aux évènements nantais. A un procureur cynique d’admettre le vide patent de la plupart de ces dossiers et de rappeler au juge qu’un bon verdict ne saurait aller à l’encontre des injonctions des services de l’Etat (*). A quelque obscur expert sans connaissances anthropométriques particulières — mais muni d’un manuel du style « Photoshop pour les nuls » — de coller les oreilles de Grégoire M. sur celles d’un homme brisant une vitrine à coups de marteau pour confirmer une identification déjà réglée.

Comme ce dernier et quelques de ses amis l’écrivaient dans un court texte intitulé « Le vent souffle où il veut » : « Aujourd’hui une police politique peut souffler des noms, et une enquête pleine de vides permet aux juges de condamner sans réserve. »

(*) Il n’y aura pas d’autres preuves que quelques photos aux origines indéterminées

Alain Le Cabrit 

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