Exposition au Jeu de Paume jusqu’au 4/01/09, ma de 12h à 21h, du mer au ven de 12h à 19h, sam et dim de 10h à 19h, 1 place de la Concorde, Paris 8e (entrée 7€, réduit : 4€).
Jordi Colomer, exposition et conférence : « Habiter le décor (quitter le plateau et contaminer la rue) », conférence dans le cadre du cycle Vidéo et après du Centre Pompidou, place George Pompidou, Paris, 4e, le 3/11 à 18h30 (cinéma 1).
Exposition au Jeu de Paume jusqu’au 4/01/09, ma de 12h à 21h, du mer au ven de 12h à 19h, sam et dim de 10h à 19h, 1 place de la Concorde, Paris 8e (entrée 7€, réduit : 4€).
"Papamóvil"
de Jordi Colomer, 2005, tiré du diaporama à voir au musée du Jeu de Paume.
© ADAGP, Paris
< 03'11'08 >
L’envers du décor des villes selon Jordi Colomer
Même quand il signe « Habiter le décor » le texte introductif à sa présentation, ce soir au centre Pompidou, l’artiste se joue de la géographie : « Jordi Colomer. Paris, Tel Aviv, Barcelona, 2008 » Architecte de formation, vidéaste et « sculpteur » (c’est lui qui le dit), ce Catalan est du genre globe-trotter : il habite Paris après avoir parcouru la planète, du Chili à l’Arabie en passant par Bucarest. Logique, le garçon né à Barcelone en 1962 est obsédé par la question de l’espace, qu’il « localise » (comme on le dit d’une adaptation d’un jeu vidéo), dans l’univers du cinéma, du théâtre, de la fiction ou de l’architecture. Formé aux Beaux-Arts et à l’architecture, Jordi Colomer est (enfin !) doublement à l’honneur à Paris cet automne au Jeu de Paume dont il parvient de bien rare manière à bouleverser la déambulation et le côté confiné de l’espace, et ce soir au Centre Pompidou, pour une séance du cycle « Vidéo et après ». Jordi Colomer bouscule et repousse les limites des décors, bouscule et repousse les barrières des spectateurs qu’il confronte à ses saynètes et dispositifs, bouscule et repousse les murs du Jeu de Paume, en important dans les murs toujours aussi blancs du bâtiment du Trocadéro les chaises dépareillées en formica jaune et vert anis qu’il avait déjà installées au musée Reina Sofia de Madrid en 2005, et en proposant une entrée dans l’exposition par le milieu. Ni chronologique, ni thématique, il faudra choisir d’aller à droite ou à gauche après avoir été introduit par la vidéo surplombant l’escalier, « Cinecito La Habana (Eddy) » (2006), une boucle muette où un personnage hilare vous (ac)cueille. Eddy n’était pas prévu au tournage, une série de photos « en rafale », pendant quatre heures, à midi, en 2006 devant le cinéma de la Havane, un bâtiment impressionnant et décrépi symbole d’un « âge d’or du cinéma ». Eddy arrive, harangue (en silence) le visiteur, lui joue un tour de cartes et puis s’en va. Aucun malaise dans cette apparition mais plutôt une mise en bouche d’un des principes chers à Jordi Colomer : « Le paradoxe de l’incrédule. » Un spectateur idéal distrait et conscient « A partir de l’idée de Walter Benjamin selon laquelle le cinéma et l’architecture sont des paradigmes de la perception moderne, qu’il qualifie de "distraite", on peut imaginer que le spectateur idéal serait à la fois distrait et conscient, quelqu’un qui rêverait tout en étant capable, simultanément, d’analyser ce qu’il est en train de rêver. » Et c’est précisément l’état dans lequel les œuvres de Jordi Colomer nous placent. Des situations non définies, où le visiteur ne sait s’il participe à l’action ou si son regard crée l’œuvre. S’il habite le décor ou si le décor l’habite. Si l’architecture est un cadre dans lequel évoluer ou si elle détermine nos actions. Jordi Colomer, à la différence des hacktivistes, ne prend pas position, ne décide pas à la place du spectateur. Ce qui rend son art si troublant et passionnant à la fois, toujours à mi-chemin entre la pantomine et le tragique. Ainsi, son personnage qui promène ses architectures de fortune, maquettes en papier carton de la Tour Agbar de Barcelone (la tour de Nouvel, symbole de la modernité catalane) ou du palais du Peuple roumain à Bucarest (autre symbole celui-là, de la dictature de Ceaucescu), s’appelle Idroj Sanicne. Les vidéos s’intitulent « Anarchitekton » (2002-2004), les maquettes « étendards grotesques, provocations utopiques, bannières rutilantes », posées contre le mur du Jeu de Paume, ont une double face elles aussi, comme Idroj (Jordi à l’envers) : leur carton est fragile et bricolé, mais elles ont la taille d’authentiques maquettes d’architecture. Et Idroj, quand il court en les brandissant au bout d’un bâton devant les bâtiments mêmes qu’elles figurent, les transforment en décor (de carton-pâte). Il serait dommage de réduire l’œuvre de Colomer à sa seule dimension critique, « anar » : le manifestant est tout aussi grotesque que les bâtiments icônes, cette course absurde ramène aussi cette architecture de façade à ce qu’elle est, un décor. De même, la « Papamovil » (2005-2008) pourrait n’être envisagée que pour son côté anticlérical plein d’humour : une papamobile générique, miniature mais pas trop, circule sous les yeux des badauds d’une zone en mutation de Barcelone, dans le quartier du Poble Nou. Le dispositif emprunte à la caméra cachée, mais c’est plutôt la confrontation à une situation qui intéresse Colomer : « La Papamobile, le carrosse protecteur du pape, est une icône qui a fait le tour du monde. Je voulais replacer cette image chargée de sens dans la rue, en trois dimensions mais débarrassée de la pompe vaticane, nue comme un prototype, afin d’enregistrer les réactions des passants. » Accumulation obsessionnelle Jordi Colomer découpe l’espace de l’exposition en deux ailes, éclate la circulation en obligeant à choisir un chemin. A droite vers sa toute première installation, « Simo » (1997) (où le visiteur est introduit dans un espace qui duplique celui à l’écran, une chambre où le personnage accumule de manière obsessionnelle des boîtes à chaussures, jusqu’à remplir sa chambre pour finir par démonter le décor, déjà). A gauche, « En la Pampa » (2007-2008), installation vidéo pour cinq écrans (en carton…) occupe tout l’espace. Il faudra passer à travers la pièce (et voir son ombre projetée sur l’écran) pour poursuivre l’exposition. Dans ses dernières pièces, l’artiste catalan laisse entrer la parole, et ce faisant, la transforme en élément du décor. Tourné dans le désert chilien, « En la Pampa » est la rencontre de deux inconnus, une homme, une femme, dans cet espace vide : ils lavent une voiture, marchent sur une route, se disent adieu… Cinq moments qui pourraient construire une narration, mais le spectateur n’en est jamais certain. Il est pris dans l’idée de la fiction (deux personnages à l’écran, des dialogues, un décor), mais n’en a jamais la certitude, d’autant que Colomer précise que les deux personnages sont des « non-acteurs ». Drôle ou distant, Jordi Colomer creuse sa petite musique, usant de la vidéo comme de la photo, éprouvant le principe du travelling dans une de ses pièces les plus sombres, « 2 Av » (2007), la rue d’une cité ouvrière, où la répétition de formes architecturales pauvres fait écho à la situation économique supposée des habitants, renouvelant la série photo avec ses formidables images de « Pozo Almonte » (2008). Dans cette ville minière chilienne, le cimetière est peuplé de constructions étonnantes, maisonnettes plus vivantes que jamais. « C’est un espace partagé par les vivants et les morts, qui semblent simplement partis en vacances, explique Jordi Colomer. Mais ces architectures familiales ont également l’air d’être des décors d’un autre monde… » L’envers du décor sans ses ficelles, en quelque sorte.
Cybernétique en papillotes
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