« Panorama 9-10 », jusqu’au 13/07 au Fresnoy, du mercredi au dimanche (de 3 à 3,8 euros, gratuit le dimanche) 22, rue du Fresnoy, Tourcoing (59).
« Le Corso », œuvre singulière de Bertrand Dezoteux, remplie d’animaux furieux en vidéo HD. © Le Fresnoy - Studio national
< 12'06'08 >
Dernières nouvelles de l’art au Fresnoy
(Tourcoing, envoyé spécial) Visiter « Panorama 9-10 », jusqu’au 13 juillet au Fresnoy, permet de prendre le pouls d’une création plastique détachée de toute contrainte budgétaire (ou presque), une liberté de moyens de production plus que rare : artistes professeurs, invités prestigieux (André S. Labarthe et Jean-Marie Straub en 2008), et élèves mélangent cette saison cinquante-quatre créations hybrides, sous le commissariat de Bernard Blistène. Avant même de pénétrer le bâtiment industriel remodelé par Bernard Tschumi, une drôle de respiration métallique nous accueille. En voiture, Simone Icone de la société de consommation associée à la liberté, à la réussite et au désir, la voiture a traversé nos imaginaires en machine vivante, diabolique (Christine de Stephen King), gentille (la Coccinelle) ou technoïde (« K 2000 », « Transformers »). « Expanded Crash », de Florian Pugnaire et David Raffini, pousse la transformation jusqu’à en faire un instrument sonore vivant, accordéon qui produit un froissement de tôles et de matières plastiques. On the road again ? Compression et expansion en tête, les deux comparses, relisent Arman à la sauce Cronenberg… Comme une ombre dans la ville Et si le son se faisait fragile au cœur d’une maquette de verre ? Cécile Beau propose un étrange labo expérimental qui dissèque et remodèle la source sonore. Les interprétations postmodernes abondent au Fresnoy. Carlos Franklin et Roque Rivas ont conçu une promenade sensorielle, « Mutations of matter », entre concerts d’images et performances sonores. Des événements s’agrègent les uns aux autres pour esquisser une autre approche de l’urbanisme. En dix tirages d’assez grand format, Raphaël Kuntz, lui, explore des façades de bâtiments qui semblent directement sortis des tableaux du peintre métaphysique De Chirico. Exercice de style réussi pour ses perspectives désertes de toute présence humaine, vision décalée de l’histoire où l’avenir ne s’élabore qu’à partir des études de Filippo Brunelleschi. Guillaume Meigneux utilise les restes, projets non aboutis et documentation des architectes pour « VUAN : vers une architecture narrative ». Proche des productions du Studio Acconci, son film mixe les approches et les catégories d’images. A l’inverse, Jannick Guillou épure l’image à défaut du titre : « Dans cette histoire, l’écroulement du mur permet de passer dans la pièce suivante qui donne peut-être sur la mer ». Un plan d’habitation tracé à même le sol, un mur de projection où les corps deviennent silhouettes, puis ombres, les solides se liquéfient, l’abri se fait instable. Comme une métaphore de la création où tout se tient grâce à un équilibre précaire, mais l’écroulement est proche. Parole militante Comment la ruine et la désintégration d’un quartier deviennent-ils le vecteur à partir duquel la parole et le rêve se construisent ? Deux œuvres tentent de répondre à cette interrogation paradoxale. Dans « Solitude and Company », film réalisé par Hannah Collins, l’ancienne usine textile en ruine du Peignage de la Tossée est un divan où elle couche les paroles des habitants. Avec Bertille Bak, la caméra se fait plus militante dans « Balayons ces râles silicosés » qui épouse la cause, les peurs et les incertitudes des habitants de Douai. A contrario des idées reçues sur la dépolitisation de la jeune génération, ces plasticiens donnent la parole à des exclus. « DPS », de Teresa Zofia, s’attarde et scrute les trajectoires des corps malades et des soignants dans un ballet de portes et de couloirs un peu sordides. Dans la lignée de « Big Business » et de « The Making of Big Business » de Clemens von Wedemeyer, la Québécoise Sandra Lachance, s’attaque aux problèmes des prisons dans « L.O.O.S, Matricule 4444 ». De l’histoire de l’ancienne abbaye cistercienne, elle fait fi pour se concentrer sur la parole de ceux qui ne communiquent guère avec l’extérieur… Explications durant le montage de sa pièce : (durée : 4mn15) Histoire, mémoire Enrique Ramirez suit dans « Brises » les déambulations d’un homme qui traverse le Palais présidentiel au Chili. Dix ans après le retour de la démocratie, d’autres traversées de la ville semblent enfin possibles. Le corps marche mais la voix off raconte les doutes… Loin de la métaphore fictionnelle, Lorena Zilleruelo en cinéaste de terrain va à la rencontre des jeunes immigrés scolarisés dans un collège de Roubaix. Son court métrage « Ici c’est ailleurs » est un manifeste pour faire resurgir la mémoire, les odeurs enfuies, les lieux du pays qu’ils ont quitté. Film pensant et pensé, traversé par la notion et la définition de l’altérité. La Roumaine Ramona Poenaru travaille aussi l’Histoire, par le biais du conte de fées dans « Bucarest allers-retours (un puzzle sentimental) ». Sa fiction-documentaire est un reflet trouble d’un pays de l’Est. Jonathan Rubin, dans « Après moi, le déluge » utilise la caméra de manière ethnologique pour raconter la vie et la survie d’une population au milieu de l’Océan Indien. Se concentrer sur le récit, même quand l’énonciation se fait difficile, rester sur la personne même, comme dans « Z32 », d’Avi Mograbi, qui enregistre le témoignage d’un jeune Israélien à la sortie de son service militaire. Son film rappelle le « Casque Bleu » de Chris Marker (1995). Passer la frontière La géographie se fait seuil, quand la Méditerranée ne sépare plus mais rapproche deux pays, deux identités avec « Lancer une pierre » de Mehdi Medacci. Cette installation aux images lentes, aux systèmes sonores délicats, transpose l’histoire, les symboles au cœur de l’exil, tour à tour concept, distance à franchir, narration, personnage… (durée : 4mn10) Agaçantes, insignifiantes à la limite de l’invisible ou profondément réflexives, les images parviennent par instants à résumer la situation du monde. Si le corps du personnage en costume en bord de mer, qui ramasse et jette une pierre au ralenti, en dit long sur la chorégraphie et la gestualité, l’image d’une jeune femme comme suspendue dans le temps, dans un corridor paraît le modèle à l’œuvre du plasticien. Explications : (durée : 1mn25) Ovnis, loups, furries et Lacan Toute exposition collective contient son lot d’inclassables. Ainsi de « Hover », entre film et photographie, d’Anna Phillips, qui dialogue à partir d’objets, d’images et de bouts de pellicules trouvés. Un projet qui rappelle « Sur la plage de Belfast », d’Henri-François Imbert. « Le Corso » de Bertrand Dezoteux n’est pas un remake 3D de « Danse avec les Loups », même s’il emprunte la technique de l’animation 3D, qui s’efface au gré des péripéties d’un troupeau d’animaux surréels. La fiction bascule dans une parade grotesque et militaire de personnages hybrides, inspirés des furries et autres avatars qui peuplent Second Life. Autre ovni dans ce Panorama-là, Openended Group a réalisé « Housebounds », à partir d’un appareillage stéréoscopique, associé aux technologies de stabilisation d’images, et sur une bande son extrêmement travaillée et rythmée, manière d’incarner texte et image, sur fond d’intrigue sur le deuil, l’appréhension de la perte de l’autre via la reconstruction de ses pensées. Paul Kaiser parle (en anglais) de cette pièce complexe et exigeante : (durée : 4mn25) Pour finir, la proposition design d’Eléonore Saintagnan est parfaite : « Jacques le Canapé » est un drôle de sofa, dont les bras se terminent en tête, camouflant ainsi le dispositif sonore. Le tout ressemble étrangement à un « Barbapapa » qui aurait tronqué son gentil bavardage contre le langage de psychanalystes de renom type Lacan. Il faut du temps pour comprendre la stratégie de disparition du murmure au profit du ton péremptoire, analyser également les rapprochements qu’elle opère autour de la figure d’Alice.
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