Après-coup sur le Banquet DiY à l’Imaginarium le 4/12/12, la rencontre des acteurs de l’innovation et du système D qui accompagne l’exposition « DiY le labo des bricodeurs numériques » (dont Poptronics a assuré la conception éditoriale).

Dernier week-end pour aller voir l’exposition « DiY, le labo des bricodeurs numériques », à l’Imaginarium, Tourcoing, les samedi et dimanche 14h–18h, entrée libre.

A l’Imaginarium de Tourcoing, le "banquet DiY", rencontre des acteurs de la scène Do it Yourself, le 4 décembre. © DR
< 14'12'12 >
Do It Yourself, même pas mal !
Tourcoing, envoyé spécial
A priori, à l’Imaginarium, le banquet Do it Yourself avait tout pour se transformer en guerre fratricide entre les intervenants. Des makers, des hackers, des artistes, des spécialistes du crowdfunding, des entrepreneurs de l’économie collaborative, des juristes, des acteurs de la politique culturelle du Nord-pas-de-Calais et d’ailleurs étaient invités à causer « DiY et innovation », « extension du jeu vidéo », « espaces publics partagés » et « nouveaux lieux, nouvelles pratiques », le tout en point d’orgue à l’exposition « DiY, le labo des bricodeurs numériques, qu’a conçue Poptronics. Que nenni !

Ni grand discours enflammé ni utopie revendiquée, les intervenants ont exposé et discuté de leurs pratiques, en échangeant sur le fait de revoir des usages, d’analyser les pouvoirs, d’examiner la diffusion de ce nouveau modèle de création pour le particulier comme pour les entreprises. Chacun des participants croit au Do it Yourself comme à un nouveau modèle rempli de promesses alléchantes mais tous admettent qu’il est encore prématuré de mesurer réellement la part de cette nouvelle économie dans l’économie globale.

Réalité innovante et réalité matérielle
Pour la première table ronde, « Do it Yourself et innovation », on s’attendait à des oppositions prononcées. Mais les intervenants, s’ils racontent des expériences très diverses, se retrouvent sur l’essentiel : la scène DiY est en plein essor, et bouscule pas mal d’a priori (économiques, politiques, culturels...).

Le phénomène est à la fois global et diffus. Les fablabs s’inscrivent dans un réseau international, mais aucun ne se ressemble, avance Charles-Albert De Medeiros, fondateur du fablab de Lille, qui a reçu l’agrément du MIT. Ces « laboratoires de fabrication » (prototypage et impression 3D) sont pour lui avant tout des entreprises intrinsèquement liées aux échanges collaboratifs. Thierry M’Baye, créateur du Meuhlab, hébergé à l’imaginarium, préfère insister sur l’idée de fédérer un écosystème naissant : « C’est pourquoi Meuhlab est tout à la fois un fablab, un médialab, un hacklab et un makerlab. »

Réagir face à l’obsolescence programmée
Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare, communauté d’acteurs de l’économie collaborative, partage avec les autres intervenants l’idée que l’émergence de tous ces labs, qu’ils soient fab- ou maker- est une façon de réagir à la prise de conscience de l’obsolescence programmée de nombre de produits, qu’il s’agisse d’une imprimante ou d’une machine à café. A ce sujet, on recommande de (re)voir l’excellent documentaire « Prêt à jeter » réalisé par Cosima Dannoritzer en 2010.

Remède anticrise ?
L’économie, justement, est-elle en passe de s’ouvrir au partage et à la contribution collaborative ? Les makers dans leurs fablabs, mais aussi les porteurs de projets qui recherchent des financements auprès du grand public à travers les plate-formes de financement participatif sont-ils une piste sérieuse pour dépasser la crise ? Adrien Aumont, cofondateur de KissKissBankBank, plate-forme de crowdfunding (collecte de dons) défend en tout cas cet outil de mise en relation de personnes et de ressources autour d’un projet. « L’idée, c’est d’ouvrir des possibles face à la crise, de tester un système de financement horizontal, un système de financement participatif, qu’on expérimente le système du don contre don ou celui du pré-achat ». KissKissBankBank a pour ambition de devenir un système de financement parallèle, alternatif aux financements traditionnels. Malgré ses 25% de croissance par mois, reconnaît Adrien Aumont, KissKissBankBank est encore bien peu de choses par rapport au géant américain Kick Starter qui devrait atteindre le milliard cette année.

Un petit air de Napster
Ce vent frais rencontre encore des réticences. Benjamin Jean, juriste spécialiste en propriété intellectuelle et auteur de « Option Libre. Du bon usage des licences libres », estime que les industriels sont prêts à accueillir les DIYeurs mais restent encore un peu circonspects, notamment sur la question de l’open hardware. Le logiciel libre est désormais intégré dans les business plans des entrepreneurs, mais ça coince encore pour les produits physiques... « A l’heure actuelle, la situation est équivalente à l’arrivée de Napster pour l’industrie musicale : le droit n’a pas encore réussi à s’adapter aux usages et rien ne dit que lorsqu’il le fera, ce sera dans le bon sens. »

L’économie collaborative remet en cause l’idée même de l’auteur. Mais là encore, point de dogme avancé autour de la table. L’egotrip de l’auteur, de l’artiste ou du designer est sans doute un peu malmené. Cependant, explique Maurin Donneaud, designer textile et membre du hackerspace parisien la Blackboxe, c’est au cas par cas que se décident l’ouverture des codes et la mise à disposition des objets créés sous Arduino.

A la soupe DiY !
Finito, la première table ronde, passons à table, ou plutôt assistons à la performance culinaire partagée de Shu Lea Cheang. Tous les participants devaient apporter leurs épices, leurs condiments ou leur ingrédient de base (poisson, viande, légumes) pour augmenter les trois soupes différentes. Malheureusement, il y avait beaucoup d’affamés et peu de cocréateurs culinaires. Les soupes étaient néanmoins si délicieuses que l’on n’avait pas forcément envie d’y rajouter son grain de sel.

Jouer en indé face à l’industrie du jeu
L’après-midi redémarre avec une table ronde sur « l’extension du jeu vidéo ». Comment le système D peut-il toucher cette industrie florissante ? Antonin Fourneau, artiste à l’origine du concept Eniarof (oui c’est juste fête foraine à l’envers) en explique les enjeux, Isabelle Arvers, critique et curatrice indépendante (machinimas, jeux vidéo, retrogaming), raconte qu’elle préfère « squatter » des lieux à travers le monde pour monter des expositions et des projets tandis que Jérôme Echalard, gamedesigner chez Ankama, l’entreprise française leader du jeu en ligne, explique comment il développe un jeu en indépendant pour se donner toute la liberté que les contraintes commerciales d’une entreprise de jeu vidéo comme Ankama ne peut se permettre.

Agnès de Cayeux, artiste des mondes virtuels (OpenSimulator, moteur de régions 3D) que l’on connaît bien chez Poptronics, nous a présenté sa Base 64, qui regroupe un projet autour de la pièce « Walden » de Jean-François Peyret à découvrir tout prochainement au Fresnoy-Studio national des arts contemporains et un projet d’enfantement d’avatar...

Interlude en mode démo
Entre chaque table ronde, un petit interlude est prévu, qui permet aux artistes de l’exposition de présenter leurs prototypes en mode démo. Antoine KiK, Valéry Sandor, Damien Bourniquel viennent tour à tour expliquer en son et image leur façon de pratiquer le DiY (glitch vidéo, circuit bending et databending).

« Smell like DiY spirit », extrait de la démo de Damien Bourniquel :


Du monde du jeu vidéo, on passe ensuite au jardin, à l’espace urbain, pour une table ronde intitulée « espaces publics partagés, jardinage urbain ».

Libération de l’espace urbain
L’autonomie des acteurs qui souhaitent se réapproprier leur environnement en ville est mise en avant par les différents intervenants, Damien Grava, pour les Saprophytes, un collectif d’architectes qui avaient installé une champignonnière à la Condition publique de Roubaix), raconte la méthode qu’ils développeront pour les jardins partagés de la Plaine Image. Selon Damien, il faut tenter de libérer des espaces de la conception et de la production urbanistique classique afin de les offrir aux habitants pour qu’ils produisent eux-mêmes un espace. Les lots dévolus aux jardins ont été décidés par la SEM Ville Renouvelée (société d’économie mixte pour le développement économique et le renouvellement urbain des territoires de la métropole lilloise), mais ce sont les habitants qui décideront de leur affectation : tous ne veulent pas d’un jardin partagé, certains créeront des espaces éphémères, à la marge...

Boom des jardins partagés
Les préoccupations écologiques et de développement des quartiers concernent de plus en plus les citoyens. Le boom des jardins partagés en est un symptôme. Selon Yves Lepers, chargé de coordination du développement durable à la SEM Ville Renouvelée, toutes les initiatives sont intéressantes. Concrètement, c’est dès le cahier des charges que sont spécifiés les dispositifs pour accueillir les idées des habitants. L’énergie des projets DiY (qui réagissent, interagissent sur une durée plus courte) peut être intégrée dans un plan urbain sur le long terme. Il explique que la région Nord-pas-de-Calais souhaite se nourrir des idées proposées par les citoyens et offrir selon les projet des cartes blanches aux associations et aux acteurs du territoire.

Hacker l’espace public
L’artiste Shu Lea Cheang, quant à elle, renverse la perspective. Elle se demande au contraire comment intégrer les institutions publiques aux projets DiY dans l’espace urbain (plutôt que de tenter d’intégrer les collectifs citoyens aux projets d’aménagement). Elle pense l’espace public en terme d’open hardware. Membre active de différents collectifs, elle présente Re:Farm the City qui relie un réseau international d’artistes, urbanistes et architectes, avec des médialabs et d’autres structures locales dans chaque pays où il intervient (elle a d’ailleurs mené un atelier dans l’expo DiY avec les Saprophytes). L’important, dit-elle, est de réfléchir collectivement à des solutions pratiques pour par exemple gérer le compost et réfléchir à la façon dont la ville peut intégrer de manière la plus écologique possible le cycle naturel des productions de légumes, de la germination au recyclage du déchet. Après le « gold rush » (ruée vers l’or), voici le « green rush » (ruée verte) !

De nouveaux lieux, forcément hybrides
Pour clore cette journée de tables rondes, place au débat sur la façon dont ces nouvelles pratiques peuvent trouver leur place dans de nouveaux lieux. Les deux dirigeants de l’Imaginarium, Pierre Giner, pour l’artistique et Pascale Debrock parlent de leur lieu, forcément hybride (un hôtel d’entreprises innovantes, un pôle recherche publique sur les Visual Studies, et un accueil public pour des expositions, rencontres, performances...) et donc en recherche permanente de son fonctionnement. Franck Bauchard, lui, en charge de la Panacée, futur centre d’art à Montpellier qui ouvrira à l’automne prochain, explique qu’il sera un mix de résidences d’artistes et d’ateliers avec restaurant et résidence étudiante ! Sera-t-il d’accord pour accueillir les hackers et autres DiYeurs ? La Panacée se positionne avant tout comme un centre d’art contemporain au cœur de Montpellier, avec des missions en art visuel, en écriture numérique. Mais tout est encore ouvert !

La viralité du hackerspace
Vincent Roudaut, membre du hackerspace parisien la Blackboxe, tente de définir par la négative ce qu’est un hackerspace. « C’est pas un atelier, c’est pas une structure associative », juste un lieu qui fonctionne sur le viral et où se croisent et collaborent des designers, des artistes, des journalistes… Autre espace, autre lieu : Guillaume Libersat, cofondateur de la Coroutine, espace de coworking à Lille, explique que le lieu est autofinancé et autogéré. Dans la mouvance des tiers-lieux, la Coroutine se veut à mi-chemin entre la maison et l’entreprise, un espace où le monde du logiciel libre s’incarnerait dans la vraie vie.

Interlopes et intrigants
Même si ces lieux et ces pratiques peuvent paraître interlopes, cette journée a permis d’éclairer les acteurs et les divers opérateurs culturels, sur les enjeux artistiques, écologiques et politiques de cette scène DiY qui suscite de plus en plus la curiosité (comme le rappelle Owni, en titrant « les fablabs en route vers le grand soir » ou le « Monde diplomatique ». Pour aller encore un peu plus loin, on recommande l’ouvrage de Chris Anderson « Makers : The New Industrial Revolution ». on peut aussi se contenter de l’écouter en parler.

Ou encore se dégourdir les oreilles et les yeux avec cet extrait de la performance d’Arnaud Rivière et Jérôme Fino à Tourcoing le 4 décembre.

« MACRO_LIVE », Arnaud Rivière et Jérôme Fino, 2012 :
cyril thomas 

votre email :

email du destinataire :

message :