Le jeu indé est-il l’avenir du jeu vidéo ? Malgré son incomparable vista, il ne semble pas encore en passe de dominer l’E3, "LE" salon du jeu vidéo de Los Angeles, qui ouvre ses portes ce 11 juin. Comme à son habitude, l’E3 mise sur les gros : la nouvelle génération de consoles (Sony et Microsoft) et les blockbusters du secteur ("Fantasia", "Lego Marvel Super Heroes", "Infinite Crisis", "Skylanders Swapforce"…). Zoom sur la révolution du crowdfunding, qui donne aux game designers indé un plan de financement alternatif. A Los Angeles, du 11 au 13 juin 2013.
"In a Window", un puzzle game signé Ross Pinkstaff, game designer indé, où le robot-héros a des réactions plutôt sacarstiques. A voir à l’E3, côté Indiecade showcase, du 11 au 13 juin. A Los Angeles. © DR
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E3 : vous avez dit indé ?

L’E3 2013 ouvre ses portes à Los Angeles, grandiose, bruyant et attendu, avec son lot habituel de promesses, de promesses d’annonces, et de déceptions annoncées. Alors que les « triple-A », ces jeux blockbusters aux budgets pharaoniques, et les consoles huitième génération de Sony et Microsoft seront les plus visibles dans le plus grand salon de jeux vidéo du monde, les jeux indés auront aussi voix au chapitre. Une voix nettement moins audible, mais ils sont là, notamment via l’IndieCade Showcase, qui présente sur son stand 40 jeux indépendants, et à l’initiative Indies Crash E3, qui offre des accès au salon à des développeurs indés.

« Dominique Pamplemousse », jeu d’aventure-comédie musicale policière-indépendant en stop-motion, présenté à l’E3 par l’IndieCade :

Qu’est-ce au juste qu’un développeur indé ?
A l’origine, c’est un développeur qui se passe d’éditeur. Mais comme pour les yaourts bio ou le commerce équitable, les critères qui permettent à un jeu de mériter l’étiquette « indé », ont fini par devenir flous à mesure que les jeux indépendants ont grignoté de l’importance sur le marché et que leur bonne presse a attiré la convoitise des éditeurs. Ceux qui financent, distribuent et assurent la promotion d’un jeu, ce sont sans conteste les vilains dans la galaxie « indie », les synonymes de machine à fric et d’oppresseur du développeur.

Pour le développeur indé, statut dont la définition diffère grandement d’une personne à l’autre, la question financière est cruciale : la liberté, oui, mais comment ? Un grand nombre d’entre eux ont un emploi et travaillent sur leurs propres créations pendant leur temps libre. Quitter son travail pour devenir game designer indé à plein temps est un privilège réservé aux rares élus qui ont réussi à gagner de l’argent avec leurs jeux.

« Johan Sebastian Joust », le jeu vidéo sans vidéo de Die Gute Fabrik, fait partie de l’espace Indiecade à l’E3 (vidéo tournée à Copenhague en 2012) :


Le jeu indé en plein boom crowdfunding
L’an dernier, la donne a changé en un temps record grâce à la popularisation d’une nouvelle solution de financement pour les jeux, indépendants ou pas : le crowdfunding, ou financement participatif, qui permet aux internautes de soutenir des projets qui leur tiennent à cœur dans des domaines aussi variés que l’art, le cinéma, la danse, les produits alimentaires… ou les jeux vidéo. Le site le plus connu, Kickstarter, qui existe depuis 2009, est devenu pratiquement du jour au lendemain l’eldorado des développeurs de jeux en mars 2012 grâce à Tim Schafer, développeur entré au panthéon des jeux vidéo il y a bien longtemps avec « Monkey Island » (1990), « Day of the Tentacle » (1993), ou « Grim Fandango » (1998).

Sa campagne pour financer son projet de jeu d’aventure point-and-click old school « Broken Age », a de quoi faire rêver toute une génération d’indés : dès le lancement, les dons affluent et l’objectif initial de 400.000 dollars est atteint… en neuf heures. Au bout de vingt-quatre heures, le jeu a déjà reçu un million de dollars. A la fin des trente jours de la campagne, ce sont 3,3 millions de dollars, soit plus de huit fois la somme escomptée, qu’ont récoltés Tim Schafer et son équipe.
L’appel à dons de Tim Schafer, maintes fois copié et parodié depuis :

Malgré les craintes sur la viabilité du système au-delà de l’effet de mode, les dons des internautes-mécènes continuent d’affluer. En avril 2013, le jeu « Torment : Tides of Numenera » de Brian Fargo, créateur du très réputé « Wasteland » (1988), a dépassé les quatre millions de dollars.

Le record côté jeux vidéo est détenu par la console open source Ouya, qui a récolté 8,5 millions de dollars. Succès après succès, le jeu vidéo s’est ainsi imposé comme le secteur le plus attractif sur Kickstarter : en 2012, la catégorie jeux (qui inclue aussi les jeux de plateaux) a reçu 83 millions de dollars, soit plus du quart du total des financements.

Evidemment le charme n’agit pas à chaque fois. Depuis le lancement de Kickstarter, sur 5211 projets jeux lancés, les deux tiers n’ont pas réussi à atteindre l’objectif… et n’ont donc pas été financés. De fait, la majorité des jeux sont noyés dans la masse grandissante et peinent à se faire connaître, le site lui-même ayant tendance à mettre en avant les projets recueillant le plus de dons.

Le financement participatif est-il réservé aux stars ?
Sur le top 10 des projets de jeux vidéo financés sur Kickstarter, neuf appartiennent à des vétérans de l’industrie ayant connu le succès il y a dix, vingt ou trente ans… Outre Tim Schafer et Brian Fargo, le panthéon est occupé par Richard Garriott (« Ultima », 1981), Chris Avellone (« Planescape : Torment », 1999) ou les créateurs de « Total Annihilation » (1997). « Ces vétérans du jeu vidéo, qui pestent contre des éditeurs qui brideraient la créativité et ne voudraient faire que des suites, prévisibles et sans aucun risque, de jeux à succès de l’année précédente, proposent grâce à Kickstarter de faire… des suites, prévisibles et sans aucun risque, de jeux à succès de vingt ans d’âge ! », résumé un blogueur un poil désabusé.

Les Tim Schafer, Peter Molyneux, Charles Cecil (et bien d’autres monstres sacrés du jeu vidéo), qui ont voulu s’affranchir des éditeurs sont-ils pour autant des « indés » ? « Ces hommes dont vous me parlez, ils sont dans un monde différent du mien, ils ne font pas partie de ma communauté », lâche sans détour le gamedesigner Michael Brough à Poptronics. « Ils ont accès à d’autres ressources ; leur approche même de la création d’un jeu est différente », poursuit ce développeur indé néo-zélandais installé dans un village reculé d’Ecosse. « Ils ont plutôt tendance à employer des serviteurs qu’à faire les choses eux-mêmes. Bref, je ne vois pas vraiment de lien entre ce qu’ils font et ce que je fais. »

L’essence de l’indé
Faute d’une définition universelle du terme « indé », les avis divergent : « Oui, je les appellerais indés, répond à Poptronics Jim Crawford, membre unique du studio californien Twinbeards, notamment auteur de « Frog Fractions ». Leurs campagnes Kickstarter ont autant de succès tout simplement parce que tout le monde peut voir que ces gens sont passionnés par ce qu’ils font. Pour moi, John Carmack et id Software [studio à l’origine des jeux fondateurs « Wolfenstein 3D », « Doom » et « Quake », ndlr] étaient aussi des indés, même après leur rachat par [l’éditeur et distributeur de jeux vidéo] ZeniMax. Quand on leur demandait quel genre d’études de marché ils faisaient pour décider quels jeux ils allaient faire, John Carmack répondait qu’ils faisaient juste des trucs qu’ils trouvaient sympa. Pour moi, c’est ça, l’essence de l’indé. »

Les différentes interprétations et tentatives de définition du mot indé provoquent coups de gueule et débats enflammés sur le Web, alors que certains proposent carrément de cesser de l’employer. « Les gens s’identifient comme ils veulent. Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’établir des sous-catégories d’indés alors que le terme est déjà tellement nébuleux », tranche Mattie Brice, développeuse et critique de jeux installée à San Francisco.

L’indépendance ne serait-elle qu’une chimère ? « Nous dépendons tous tellement des autres, que ce soit pour leur soutien affectif, financier ou logistique, qu’à mon avis, parler d’indépendance n’a pas de sens », pense Michael Brough. « Aucun homme n’est une île, pas vrai ? Et nous devons tous parfois faire des compromis, qu’ils soient dictés par les idées d’un éditeur sur ce qui se vendra, ou par les limites qu’on finit par rencontrer si on crée des choses qui ne se vendent pas. »

mathias cena 

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