"Shadow Monster", l’installation ludique du britannique Philip Worthington. © Benoît Hické
< 20'06'07 >
Enormisssime Sonar 2007
Alors, le Sonar, c’était comment cette année ? Trois jours après l’ultime fiesta, on en est encore à vérifier qu’on a toutes ses jambes et neurones, tant la bouffée d’oxygène et de beats fut grande et dense, mais pas que. Petit inventaire très sujectif, qui commence par un constat très sec : le Sonar est certes l’un des événements les plus marquants dans l’électro-sphère mondiale, il n’en est pas moins ultra-controversé par les Barcelonais eux-mêmes, lassés du déferlement de la horde mondiale, au détriment du mythique état d’esprit initial. Quand les nuits dérapaient en aubes décadentes sur les plages du centre de Barcelone, à l’époque du Forum de Mar Bella, où se déroule le Primavera Sound dans un registre plus pop aujourd’hui.
Il faut dire que les Fieras, foire à bestiaux où s’entassent les spectateurs du Sonar, ont le charme d’une autoroute ouzbèke en plein hiver : éternel problème des manifestations underground à succès qui grossissent inexorablement au fil des années. Le Sonar by Night prend donc des allures de rave géante sous plastique, et il faut beaucoup d’efforts pour se laisser aller.
Premier soir, « gala » des Beastie Boys dans le Sonar Park, l’espace le plus intime des Fieras (5000 personnes) : impression plus que mitigée. Les papys vêtus à la Don Corleone se contentent la première heure de décliner les morceaux – intrumentaux, donc – de leur prochain album. Sorte de funk-rap mou du genou, gros temps morts entre les morceaux, l’ennui gagne. En dernière partie, DJ Mix Master Mike se réveille, et nous avec, pour quelques tubes vintage toujours sautillants, excellente transition vers Narod Niki, dont la prestation reste l’une plus marquantes du festival.
Narod Niki est un projet collaboratif monté par Dieu lui-même, entendez Ricardo Villalobos, l’un des musiciens électroniques les plus talentueux dans un registre « minimal » et son compère à mèche, Richie Hawtin. L’idée est de réunir des DJs sur scène, face au public, qui se livrent au délicat exercice de l’improvisation. Le line-up reste mystérieux jusqu’au bout, nos deux compères piochant dans leur carnet d’adresse pour convoquer ce samedi-là, entre autres, Luciano et Maurizio. Musicalement, quatre heures de techno minimale et pourtant très riche, Villalobos aux rythmiques laisse ses pairs animer la course : début un tantinet laborieux, puis de belles échappées. Belle expérience revigorante, à suivre de très près (rumeurs d’album).
Impossible de tout voir au Sonar By Night, mais le live du duo Digitalism a fait mouche : mélange de batterie synthétique à la New Order – avec sample de Blue Monday (et des Daft Punk) à l’appui et déluge électro-pop du meilleur effet. Peut-être pas très raffiné mais bigrement efficace, un peu comme des Justice brittons. Justice, d’ailleurs, dont la prestation très taptaptap au Sonar Pub devait marquer l’avènement d’une supposée post-French touch (soupirs…) désormais très convoitée. Se trouver au milieu de 5000 fans, brandissant les fameuses croix fluo et reprenant en chœur extasiés le tube « We are your friends » a certes de quoi convaincre les vieux barbons. C’est rigolo un moment, tout le label est sur scène, Pedro Winter et DJ Medhi haranguent la foule, mais on préfère courir au concert d’un ami de la famille, Cornelius : le petit Japonais crée un environnement audio-visuel très coloré épatant, agrémenté des vidéos (expé-animation) de Koichiro Tsujikawa et tricote un son rock enfantin, comme du surf-rock allongé sous acide, tiens-tiens.
Dizzee Rascal (grime faussement méchant) et Skream (le nouveau roi du dubstep, très connu à Brixton) amusent et surtout changent des rythmiques martiales prodiguées par Jeff Mills. Et puis viennent les Devo, forcément un peu empâtés mais toujours aussi surréalisants. On en sortit ravi, le mythique groupe américain, pionnier de l’électro-rock arty fondé en 1972, s’amusant beaucoup sur scène ce soir-là. « Mongoloid » et « (I Can’t Get) No Satisfaction » n’ont pas pris une ride et on hurle les paroles en souriant, au milieu d’une foule a priori pas trop cible.
Sous le soleil de plomb se déroulait le Sonar de jour au Centre de culture contemporaine (CCCB), en plein centre-ville, avec pas moins de quatre programmations en parallèle de 14h à 22h... Le premier jour, James Holden, l’autre héros de l’année pour les amateurs d’une électro qui sait déraper, scotche littéralement. L’élégant Britannique produit une musique à développement durable, tout en rythmiques sourdes qui progressent par à-coups en grondements noisy et raffinés. Une musique dont on s’imprègne plus qu’elle ne s’écoute. Au SonarComplex, Charles Hayward, quinqua brit présenté comme un héros du rock expérimental (avec le groupe This Heat), bastonne avec rage ses fûts en hurlant des paroles cryptiques, sur fond d’images expérimentales. Passionnant ou pesant, c’est selon.
Toujours au cœur du musée d’art contemporain, Planningtorock s’enflamme, se brûle, vocifère, se contorsionne, tombe, comme une espèce de diva soul plongée dans un chaudron de beats. Entre performance et concert, la collègue multitouches version US de Peaches (le travail vidéo très intéressant, c’est aussi elle) amène un soupçon d’entertainment dans un festival souvent très sérieux.
L’anglais Clark (Warp Records) déçoit un peu en version live/batterie un peu brouillonne, tandis que sa collègue de label Mira Calix amène un peu de féminité et de délicatesse, avec sa musique expérimentale douce et ses films d’animations mignons. Mais c’est surtout le concert de Sun o))) qui marque durablement. Pas très dancefloor certes mais crénom, quelle tarte ! On se demande ce que fait un membre de Sun o))) au réveil, s’il met la radio et sort faire son jogging avec son chien, ou s’il sirote un grand bol de sang de chauve-souris tout en accordant sa basse. Car la musique du groupe américain est des plus radicales, tenant davantage de l’expérience que du son. Imaginez la petite (ouf !) salle du Escenario Hall, plongée dans la pénombre, face à une scène où l’on devine trois formes, oui, ce sont bien des hommes, mais que font-ils ? Vêtus de capes, deux d’entre eux entament une séquence constituée d’une seul long bourdonnement de basses poussées au maximum, pendant qu’au milieu la forme se retourne vers le public dans une danse de Saint-Gui expérimentale tenant du rituel pour fans pétrifiés. Le chanteur, puisque c’est bien lui sous ce sac de jute, perruque péroxidée, masque noir très bizarre, psalmodie et vocifère des histoires qu’on ne veut pas connaître, sous un déluge sonore des plus drone, c’est-à-dire extrêmement lent et compact. A ne pas mettre entre toutes les oreilles…
Histoire de se détendre, on monte d’un étage pour sourire devant les installations du SonarMatica, qui avait pour thème la magie et ses déclinaisons. "Shadow Monster" du britannique Philip Worthington y fait sensation. Dans un espace sombre, deux écrans se font face, l’un, blanc, semble absorber les formes qui passent devant lui, et les restitue sur l’autre sous formes d’ombres chinoises animées, très colorées, et étirées de poésie. Le visiteur peut voir des papillons sortir de sa bouche ou sa main se prolonger en buisson d’épines. Succès garanti du clubbeur looké au minot impatient. Enfin, pour finir sur une touche « intello », l’italien Alessandro Ludovico, à la tête du magazine « Neural », invitait à une passionnante réflexion sur la question du spam. On y revient sous peu.
Un extrait de la perf de Jeff Mills :
Mills
benoît hické
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