Grizzly Bear : « Un album plus optimiste, plus positif, plus dynamique »
(Pop’archive). Dire que le troisième album de Grizzly Bear était attendu est un euphémisme. Il était d’ailleurs disponible en ligne (illégalement) cinq jours à peine après avoir été terminé -deux mois avant sa sortie ! Depuis leur épatant « Yellow House », sorti il y a maintenant trois ans, on comptait sur ces Américains pour chambouler le paysage folk-rock (c’est d’ailleurs l’un des tout premiers groupes dont Poptronics a tressé les éloges). C’est chose faite.
Le son du confluent
« Veckatimest » (Warp/Discograph) est un disque ample, lumineux, en liberté. Un bouillonnement de propositions, de contrepieds, de coq-à-l’âne, tout du long porté par des harmonies vocales aériennes. On croise quelques fantômes (Arthur Lee et Love, Pavement, Red House Painters, Van Dyke Parks…), on songe à quelques autres défricheurs (Animal Collective, dont Grizzly Bear serait le pendant pop) sur ce grand album au confluent pop-rock-folk qui pourrait bien faire date.
Ces quatre Américains ont compris pas mal de choses à la musique d’aujourd’hui, en tout cas qu’elle se devait d’innover pour exister. Loin de se cantonner aux formats classiques, Grizzly Bear suit sa voie singulière, brisant la logique couplet-refrain, changeant de pied en plein milieu d’un morceau pour laisser toute liberté aux voix (« All We Ask »), aux guitares (« Fine For Now »), aux collages (« About Face »), multipliant les points de vue.
« Internet, c’est notre ami »
« Plus optimiste, plus positif, plus dynamique. » Pour Poptronics, Ed Droste, chanteur-guitariste de Grizzly Bear, résume par ce slogan (presque) olympique la philosophie de « Veckatimest ». « Il s’est passé trois-quatre ans depuis l’enregistrement de "Yellow House", on ne savait pas vraiment ce que ça allait donner de se retrouver en studio. C’était la première fois qu’on écrivait et enregistrait véritablement ensemble tous les quatre et on a voulu suivre cette ligne. L’année 2008 a été très dense, beaucoup de concerts et une tournée avec Radiohead. Du coup, l’enregistrement nous a pris six mois et nécessité trois lieux, mais c’était le processus naturel pour accoucher de ce disque. Les circonstances l’ont nourri, on a eu le temps de prendre du recul, de la perspective. Les chansons n’auraient pas cette force si on ne les avait pas travaillées en parallèle sur scène et en studio. »
Bien sûr, la fuite du disque a été un choc, que le groupe a d’ailleurs commenté en direct sur Twitter. Car Grizzly Bear est un vrai groupe de son temps, bien dans le réseau, qui maintient une grande proximité avec ses fans. « On n’aurait pas autant de fans s’il n’y avait pas Internet et le partage de fichiers. Pour nous, ça a beaucoup compté, assure Daniel Rossen (guitare, chant). Les premiers à s’être intéressés à nous, à avoir parlé de nous avec intérêt, avant les magazines ou les radios, ce sont des blogueurs. »
« Internet, c’est notre ami, reprend Ed Droste. Il y a évidemment des effets indésirables : les gens sont devenus distraits, écoutent un disque, puis l’oublient au téléchargement suivant. Nous avons construit cet album selon différentes séquences ce qui, me semble-t-il, fait qu’il se révèle au fil des écoutes. Ce qui est formidable avec cette histoire de fuite, c’est l’enthousiasme que ça a suscité. Les gens étaient vraiment impatients d’écouter l’album, même si la qualité était pourrie, du niveau du son qu’on entend sur Youtube. »
Esthétique du flou
Le clip de « Two Weeks » est signé Patrick Daughters, que les quatre Grizzly Bear connaissent bien pour avoir déjà réalisé la vidéo de Department Of Eagles, le projet parallèle de Daniel Rossen. Patrick Daughters doit adorer « Crash », de J.G. Ballard : l’un de ses premiers courts métrages, « Any Creature », racontait l’histoire d’une petite fille témoin d’un accident de la route. Nombre de ses clips sont traversés par une voiture folle ou des conducteurs patibulaires qui sèment la zizanie dans un décor souvent nocturne (voir le clip de Liars). Esthétique du flou, traits de lumière phosphorescente, images porno subliminales à la Chris Cunningham, l’univers de Patrick Daughters détonne (Depeche Mode lui a demandé d’illustrer le single « Wrong » en avril). Pour Grizzly Bear, le réalisateur a choisi le décadrage, plutôt mystique, en dotant les New-Yorkais d’yeux-loupes, bientôt transpercés de traits de lumière aveuglante. Une esthétique flippée et paradoxale qui contredit avec malice la douceur de cette chanson, l’une des plus moelleuses de « Veckatimest ».
Grizzly Bear - « Two Weeks » (réalisé par Patrick Daughters) :
Cet article a été publié la première fois le 3 juin 2009.
benoît hické et matthieu recarte
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commentaire
écrit le < 03'06'09 > cf aussi le dernier numéro de Butt, où Ed Droste interroge Nico Muhly...