Interview d’Han Hoogerbrugge à l’occasion de l’exposition H.E.C. (Han Hoogerbrugge, Emmanuel Régent, Caroline Bach), jusqu’au 24/01 à la galerie Le Cabinet, 62 rue Saint-Sabin, Paris 11e, 14h à 19h ma-sam. « Modern Living The Graphic Universe of Han Hoogerbrugge », catalogue (200 pp et DVD), 39 €. Le plus pratique pour se le procurer : Bis publishers ou Bol.com. En France, à la galerie Le Cabinet et à la galerie Espace à vendre à Nice (17 rue Smolett). En Belgique : Base Alpha, Kattenberg 12, Anvers.
Han Hoogerbrugge, 45 ans, l’un des plus brillants auteurs d’animations sur le Web. © L.P Eisenstadt ®
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Han Hoogerbrugge : « Capturer le temps qui passe »

(Pop’archive). Han Hoogerbrugge n’est pas qu’un personnage noir et blanc du réseau, à qui il arrive toutes sortes de situations cocasses, désespérantes, humiliantes, fâcheuses. Le Néerlandais s’était fait connaître au début des années 2000 avec ses animations en Gif et Flash, usant d’une interactivité très premier degré, low-tech avant l’heure. Il investit désormais les galeries, comme à Paris au Cabinet où ses œuvres sorties de l’écran de l’ordinateur n’ont rien perdu de leur mordant. De « stills » (clichés-captures de ses webanimations) en aquarelles, Hoogerbrugge continue d’explorer sa face dessinée animée, comme dans le livre catalogue que vient de publier Bis publishers en coproduction avec les excellents Submarine Channel.

Bien avant l’avènement des identités doubles sur le Net, bien avant la culture de masse de l’avatar et du clone numérique, Han Hoogerbrugge ferrait les internautes avec son double à lui, qui lui aussi, vieillit de série en série : depuis peu, des rouflaquettes sont apparues sur son visage crayonné, les mêmes qui ornent les joues du facétieux Hollandais de 45 ans.

Poptronics, fan de la première heure, a voulu en savoir plus et a posé ses questions par mail à l’intéressé, qui balance quotidiennement ses strips interactifs dans Prostress 2.0, une alternative hypermédia aux bd-blogs.

Poptronics : Pourquoi sortir du Web, pour toucher un nouveau public ou pour être pris au sérieux par le marché de l’art ?
Han Hoogerbrugge : Je considère le Web comme un moyen de montrer mon travail. Exactement comme le papier est nécessaire pour montrer un dessin. Si j’ai choisi d’utiliser le Web pour mes animations, c’est parce qu’il semblait que c’était le meilleur média pour le faire. Pour mes plus récents autoportraits, j’ai choisi la peinture à l’eau parce que ça marchait mieux ainsi. Je ne sors pas du Web, je me sers d’une variété de médias, du jouet en passant par des installations, des strips interactifs ou des t-shirts… Tout ce qui colle le mieux à mon travail.

Dans votre travail, vous semblez éviter les couleurs (sauf à considérer le noir comme une couleur), Chez poptronics, nous avons opposons le noir et blanc du graphisme au flot des couleurs criardes qui clignotent partout sur le Web, entre autres pour montrer que tout n’est pas totalement neuf et que la culture de ce média fait partie d’une histoire, celle des médias et celle de l’art. Partagez-vous ce point de vue ?
Ça tient davantage à la façon dont telle ou telle couleur marche avec mes idées. Dans mes animations web, j’utilise principalement le noir et blanc pour exprimer l’impression que vous êtes en train de regarder un personnage qui vit complètement isolé dans son propre monde. Mais je sais aussi colorier : regardez le film « BlackHole Anthrophobia » (2007) ou la série web « Hotel » (2004-2006), qui sont pleins de couleurs.

Quelle relation entretenez-vous avec votre clone web-designé, est-ce un avatar ou remplit-il le rôle du Portait de Dorian Gray ?
Ha, ha, ce serait génial ! Mon personnage vieillissant tandis que moi je resterais jeune.
J’ai toujours présenté mes animations web comme un autoportrait en cours. Donc puisque je vieillis, mon personnage vieillit aussi.
Il est conçu à mon image, certes, mais il représente surtout ce que je pense, mes rêves, espoirs, peurs.
Le fait que mon personnage change à travers le temps fait de lui plus qu’un héros de dessin animé. Ça le rend vivant d’une certaine manière.
Il m’est vraiment difficile de mettre des mots sur notre relation. C’est moi, mais en même temps c’est une marionnette sur laquelle je projette mes idées.
Tout tourne autour de moi, et en même temps j’espère toujours que les gens se reconnaîtront dans mes animations. J’espère ainsi créer une capsule temporelle. Pour capturer le temps qui passe.

Avec « Modern Living » (1998 – 2001) et « Flow » (2001), vous avez inventé une forme d’interactivité très basse à base d’animations web très courtes. Que pensez-vous de l’actuelle évolution des nouveaux médias ? Est-ce encore un nouveau territoire à explorer ? Quelles directions prend aujourd’hui votre travail ?
Je suis le courant. Je m’empare de n’importe quelle idée qui me vient en tête et semble valoir la peine d’être explorée. En ce moment, ce sont des aquarelles et dans le même temps Prostress 2.0, une BD quotidienne sur le Web. L’an passé, j’ai aussi produit de grands tirages numériques, du papier peint et un jouet. Actuellement, je commence à travailler sur un nouveau projet intitulé « La grande fête » (en français dans le texte, ndlr). Je n’ai aucune idée d’où cela va me mener, peut-être un film, peut-être de grands dessins, je suis toujours à la recherche du média le plus juste.

Le design sonore de vos créations est toujours brillant, mélangeant subtilement musique et bruitages. Comment procédez-vous ?
Pour « Modern Living », j’utilisais des samples de mes musiciens préférés comme Nick Cave, Lou Reed, David Bowie, New Order. Après quoi, dans « Hotel » et « Nails », j’ai commencé à composer moi-même la musique. Enfin, pour « Flow », j’ai travaillé avec Gil Kay.

Le livre rétrospectif « Modern Living » est-il un moyen de faire exister votre œuvre différemment, hors du réseau ?
Beaucoup de gens me posent cette question. Cela semble étrange pour quelqu’un qui travaille sur le Web que de fabriquer quelque chose d’aussi démodé qu’un livre. J’adore le Web, mais tenir un livre entre ses mains est aussi agréable.

Votre travail fait penser à l’atmosphère des films de Jacques Tati et plus particulièrement à son personnage fétiche, Monsieur Hulot (comme dans cet extrait de « Mon oncle »). Est-ce une simple coïncidence ? Fait-il partie de vos sources d’inspiration ?
Oui je peux comprendre, j’aime aussi ses films. Je ne pensais pas à lui quand j’ai commencé à créer mes animations, mais sans aucun doute, il a d’une certaine façon influencé mon travail. Mes sources d’inspiration viennent de tout un tas de choses. Ma tête est comme une poubelle… J’aime Nick Cave, Charles Bukowski, Chris Ware, Winsor Mc Cay, Tommy Cooper, Tarantino, David Lynch, Chris Cunningham, Damien Hirst, Matthew Barney… et la liste ne s’arrête pas là. Je ne peux pas dire quelles choses en particulier dans mon travail viendraient de Bukowski ou de Chris Ware. Je compile les œuvres de tous ces artistes dans ma tête en espérant toujours qu’un peu de leur génie déteindra sur mon travail…

Cet article a été publié la première fois le 23 janvier 2009.

annick rivoire 

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