Enquête sur l’ouverture des données environnementales publiques, participant au mouvement de l’open data, une mise à jour d’« Allons enfants de l’open data ! », article publié dans le trimestriel « MCD » n°65 « L’Internet voit vert », sorti mi-décembre 2011, en vente 9€ dans les kiosques et librairies spécialisées et sur le site de MCD.
Ces photos aériennes collaboratives de la marée noire en Louisiane en 2010 ont permis la cartographie précise de la zone et l’intervention pour dépollution de la Louisiane Bucket Brigade. © Cesar Harada et Hunter Daniel/Louisiana Bicket Brigade
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L’open data au secours de la planète

2012, une année qui fera data ? « Free our data ! », le cri lancé par le « Guardian » en 2006 porte enfin : l’accès aux données publiques (open data, donc) se déverrouille en Grande-Bretagne, le mouvement touche aujourd’hui une cinquantaine de pays, de la Suède aux Etats-Unis, du Kenya au Canada, du Brésil à la France (qui vient de s’y mettre en ouvrant début décembre un portail officiel dédié), jusqu’en Russie.

L’open data n’est pas qu’une simple lubie, encore moins une démagogie : ce mouvement de mise à disposition des bases de données statistiques et chiffrées est en passe de révolutionner le journalisme en ligne (pas encore tout à fait en France, hors Owni -on y reviendra-, mais en route du côté du datablog du « Guardian ») comme il peut donner de sérieux coups de main à la science. Cet automne par exemple, grâce au jeu sérieux « Planet Hunters » développé par les universités de Yale et Oxford, les joueurs qui ont fouillé la base de données Kepler de la Nasa ont découvert deux planètes inconnues ! De même, les joueurs de « Foldit », appelés à la rescousse par des chercheurs qui depuis des années se cassaient les dents sur la structure d’une enzyme proche du VIH, ont mis seulement trois semaines à en bâtir la structure.

Dans « MCD L’Internet voit vert », revue dont Poptronics a assuré la rédaction en chef, le focus s’est porté sur les données environnementales, secteur où l’ouverture des datas est porteuse d’espoir mais les données sensibles. En permettant l’accès à des millions d’informations sur l’état de l’eau, de la pollution, de l’air, des transports ou encore de l’activité sismique, l’open data promet une vigilance citoyenne accrue. Où chacun est potentiellement acteur de la sauvegarde de la planète. Revue de détails.

L’open data a fait irruption dans l’actualité à la sauvage, avec les télégrammes diplomatiques et les rapports militaires américains sur l’Irak et l’Afghanistan publiés par WikiLeaks. Dans sa version moins polémique, l’open data permet le recours aux informations stockées dans les bases informatiques, pour organiser par exemple ses déplacements en fonction des aléas du trafic et du réseau ferré, trouver le vélo libre-service à portée de main ou surveiller l’activité des parlementaires. L’open data offre la perspective de mettre librement à disposition les bases de données, publiques comme privées, afin que les citoyens puissent les utiliser, les modifier, les rediffuser. Ce vaste programme qui nourrit le rêve d’une nouvelle ère du vivre ensemble démocratique prend forme jour après jour : en France, la réutilisation des données publiques est un droit depuis 2005, et de nombreux groupes (privés comme data-publica, ou ouverts comme nosdonnées.fr, regards citoyens.fr ou l’association nantaise Libertic) sont bien décidés à le faire respecter.

Les enjeux pour l’environnement sont énormes. Quelques chiffres pour s’en persuader : 50 millions d’archives onusiennes, 1.200 indicateurs de la Banque mondiale, 30.000 ressources de 160 organismes sur toutlenvironnement.fr (du ministère de l’Ecologie) sont en open data… La masse des données publiques est colossale, les perspectives immenses et les désillusions sans doute à prévoir –des données, ça se manipule, et ça reste toujours une manière de voir, un point de vue. Emissions de CO2 dans le monde, pollution sonore en Ile-de-France (bruitparif), de l’air en Europe (eyeonearth.eu), comparaison du prix de l’eau (prixdeleau.fr), ou liste des sites Seveso de la Gironde (datalocale.fr)… : autant de données désormais accessibles à tous. Sur smartphones ou en ligne, les infographies se multiplient sur les pluies acides, les flux de carbone, les dépenses énergiques, la filière nucléaire… On peut vérifier les allergènes présents dans les aliments en scannant leurs codes-barres (par exemple, Shopwise), éviter les restaurants régulièrement en infraction sanitaire (Don’t eat at, mais à New York seulement), extrapoler sa consommation d’électricité grâce aux bases de données libérées, retrouver le propriétaire d’un vélo volé (à Toronto) ou tout connaître de l’Aquitaine, région qui a ouvert ses données environnementales, des espaces protégés à la gestion de l’eau, en passant par les poissons migrateurs et risques technologiques…

Outil-roi de l’open data environnemental, la cartographie vit sa révolution collaborative avec en acteur incontournable le site OpenStreetMap (OSM), lancé depuis Londres en 2004, qui permet de bâtir des cartes sous licence libre bien plus précises que GoogleMaps voire des organismes officiels, et surtout de les mettre continuellement à jour. Ils sont plus de 300.000 contributeurs (dont un tiers en France) à bâtir, outre les classiques cartes urbaines et de transports, des cartes nautiques, de l’accessibilité en fauteuil roulant ou encore de chemins de randonnées.

OSM a montré la force de son modèle collaboratif lors du tremblement de terre en Haïti : en quelques jours, grâce aux photos satellite, était créée la carte des routes praticables et des camps de réfugiés. Une carte évidemment beaucoup plus utile aux ONG que n’importe quel équivalent papier. La solidarité a ainsi permis d’enrichir collaborativement les données, une pratique en totale contradiction avec la manière de faire, commerciale bien qu’universaliste, de GoogleMaps.

Evolution de la carte d’Haïti après le tremblement de terre de 2010 :


Autre exemple frappant de ce que permet la cartographie numérique : MapKibera, toujours fondé sur OpenStreetMap. Depuis 2009, le projet s’attache à cartographier une zone jusqu’alors blanche sur les cartes de Nairobi. Pourtant, Kibera est le plus grand bidonville de la capitale nigériane, l’un des plus grands d’Afrique avec ses 500.000 habitants entassés sur 2,5 km2. Avec l’aide des habitants et au sein d’un projet d’aide au développement plus vaste, soins médicaux, point d’eau potable, décharges, autant d’éléments absents des cartes traditionnelles, sont dûment cartographiés. Des projets similaires sont en cours dans les favelas brésiliennes.

Présentation de Map Kibera à la conférence e-learning Africa, 2010 :


GreenMap, en ligne depuis la préhistoire (1995 !), cartographie sans relâche les espaces naturels, les zones protégées, mais aussi les calamités naturelles (voir Banjul, en Gambie – fichier pdf). A New York, le site Garden Maps, comme son nom l’indique, liste les jardins publics, privés ou partagés avec leurs spécificités (potager, fleurs et arbres remarquables). Oliver O’Brian du Centre pour l’analyse spatiale avancée (CASA) de l’University College London a, lui, bâti grâce à OSM, une carte qui permet en temps réel de connaître le nombre de vélos disponibles (et à quelles stations) dans une trentaine de villes du monde (Montréal, Tel Aviv, Bordeaux, Mexico…). Sa Bike Share Map se paie même le luxe d’être plus belle et plus ergonomique que celles des opérateurs !

A Londres ou San Francisco, d’autres cartes interactives renseignent en direct le trafic des bus, trams et métros. Sans parler de la flopée d’applications pour smartphones sur les zones sismiques, informant en temps réel (et de manière précise) des territoires touchés par les tremblements de terre, certaines associant les Twittos sur place pour mesurer les dégâts.

Certains font ce qu’on commence à appeler du maptivism (« cartactivisme »), à l’image de MapsForAmerica, avec ses cartes des usines chimiques (et leur niveau de pollution), ou Sourcemap, qui permet de connaître le flux de marchandises : d’où viennent les métaux composant un ordinateur, un matelas Ikea, un sac Hermès, ou un jean Lee Cooper (oui bien sûr, massivement d’Afrique pour les matières premières, de Chine et d’Asie du Sud-Est pour le façonnage). La très riche base de données Worldmapper informe elle sur les épidémies, la déforestation, le recyclage, les déchets nucléaires ou les émissions de CO2…

Trajet du recyclage à Winnipeg, Manitoba (Canada), d’après les données fournies par la ville :

Le mouvement PLOTS (Public Technology for Open Technology and Science) est lui sur le terrain, développant des outils DIY pour faire des prises de vue aériennes avec des cerfs-volants et des ballons sur lesquels sont accrochées des caméras numériques. A New York, PLOTS surveille l’état des végétaux en utilisant l’infrarouge ; depuis mai 2010 sur les côtes du golfe du Mexique, souillées après l’explosion d’une plate-forme pétrolière de British Petroleum, il cartographie les dégâts associés dans ce « Grassroots Mapping » avec la Louisiana Bucket Brigade (la « brigade des seaux ») qui déboule pour le nettoyage. Autre vigie environnementale, SkyTruth s’appuie sur les images satellite et des photos aériennes libres de droit pour informer des dégazages et marées noires dans le monde entier.

Présentation en juin 2010 du projet Grassroots Mapping pour lever des fonds :


On peut donc tout savoir de ce qui se trame, créer ses propres outils et informer le grand public. En France, après avoir créé une bouteille d’eau urbaine et durable baptisée Gobi, l’association Eaupen s’est lancée dans la recension des points d’eau accessibles où la remplir. Sur son site se bâtit une cartographie participative où l’on peut signaler fontaines, robinets, restaurants ou cafés où se ravitailler en eau… et éviter en achetant une bouteille de générer de nouveaux déchets. Tous les lieux sont signalés par un autocollant. En Islande, sur Open Elm, on alerte sur les ormes malades de la graphiose, qui décime l’espèce, en photographiant un arbre qui semble mal en point. Une équipe va alors sur place vérifier et au besoin (et s’il en est encore temps) soigner l’arbre. Le Muséum national d’histoire naturelle en France propose de documenter les plantes sauvages de la rue en Île-de-France. Un projet participatif et scientifique, avec protocole d’observation et relevés de terrain.

Plus politique est la démarche de Valentin Lacambre, pionnier de l’Internet indépendant et à ce titre très attaché à la notion de biens communs. Pour lutter contre le brevetage du vivant par l’industrie pharmaceutique, il a lancé Seedsburo, un vaste projet participatif visant à documenter les graines et les plantes qui nous entourent pour empêcher leur possible appropriation par les entreprises en les « libérant ». En prime, on découvre des noms exotiques (morelle noire, monnaie du pape…). En parallèle de catalogue qui ne demande qu’à grossir, Valentin Lacambre s’adresse aussi aux agriculteurs avec Bongraine.info, « un semencier spécialisé dans la fabrication et la distribution de semences adaptées à une agriculture biologique » (Poptronics s’était d’ailleurs fait l’écho de cette initiative en février 2011 lors d’un « Green Rush » de l’artiste Shu Lea Cheang, dont le livestream est encore consultable en ligne -conseil : passez les 10 premières minutes).

Sensible elle aussi à l’encadrement et à la surveillance des multinationales, l’artiste Olga Kisseleva a créé l’installation « Arctic Conquistadors » pour documenter en direct l’installation de groupes, essentiellement pétroliers, sur les terres arctiques. A chaque nouveau forage, à chaque nouvelle plate-forme s’affiche sur une carte le logo de la multinationale. Le programme informatique finit par anticiper le futur, en accélérant les implantations à un rythme fou, les logos recouvrant bientôt toute la carte de l’Arctique. Une manière de souligner combien il est urgent de lutter pour la sauvegarde de la planète, et que l’open data pourrait bien être une arme fatale pour nourrir une réaction citoyenne.

Pour l’heure, l’open data environnemental est embryonnaire et le conditionnel reste de mise. Les données, sensibles, sont encore trop parcellaires ou imprécises. Entre petites applis pratiques et pédagogie du désastre planétaire en cours, l’offre de données ouvertes est encore trop globale pour s’ancrer dans le local –à la différence des datas politiques ou économiques. La faute sans doute à la difficulté de créer ses propres outils d’expertise, comme les cerfs-volants de Plots, ses propres bases de données, sa propre contre-expertise. Daniel Kaplan, cofondateur de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing), posait différemment le problème en novembre 2010 : « Comment diffuser une “culture des données” et éviter que la fracture sociale ne passe par la capacité à comprendre les données ? Cette “culture” doit-elle inclure une réflexion sur le bon niveau de transparence à obtenir des acteurs publics (et privés) ? Quel est, aussi, le statut des données produites par les citoyens ? » Si aujourd’hui, les datas prennent date face à la crise écologique, demain, prendront-elles le maquis ?

matthieu recarte 

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