La chronique « NextGen » du net-artiste David Guez pour poptronics s’intéresse cette semaine à la question de la communication, envisagée depuis sa plus simple expression jusqu’à son mode le plus technologisé.
Spécimen d’ancien nouveau média, le principe du téléphone arabe en tant que support de l’oralité trouve une nouvelle jeunesse avec les réseaux sociaux. © David Guez
< 26'05'10 >
Le téléphone arabe, un nouveau média ?

(Nextgen) Dans un système de communication informatique en réseau, il est nécessaire de vérifier le bon acheminement de l’émission d’une information entre un émetteur et un récepteur. Par exemple, si une information est envoyée d’une machine A vers une machine B, il y a des chances qu’une perturbation du milieu (parasites, coupures de courant, piratage...) empêche la bonne réception de l’information. La solution à ce problème est multiple : soit la machine émettrice envoie plusieurs fois l’information à la machine réceptrice qui compare alors les différents résultats et statue sur la véracité de l’envoi, soit la machine réceptrice renvoie à la machine émettrice l’information reçue qui la compare avec les données initialement transmises et qui, le cas échéant, recommence la procédure d’envoi.

Ces procédés sont perfectibles mais il n’est jamais certain qu’une information arrive dans de bonnes conditions au récepteur. On est cependant sûr de la cohérence de l’information reçue : elle a du sens ou elle n’en a pas !!

Un phénomène typiquement humain

Dans un système d’échanges d’informations humain, c’est à peu près la même chose et la mimique d’un visage, une réponse cohérente ou tout autre signe oral ou physique est synonyme de bonne réception. Mais les choses se compliquent quand le réseau d’échange d’information dépasse le nombre de deux protagonistes.

Dans un réseau de communication entre deux ordinateurs, la quantité (2,5 ou 10.000) est une affaire de statistiques et de redondance, le contrôle se faisant par couple de machines. Chez les humains, l’information se transforme de couple en couple pour donner un résultat souvent fort différent de l’original : c’est la définition posée par le principe du jeu du téléphone arabe.

Au couple émetteur-récepteur s’ajoute donc un paramètre qui n’est ni du parasitage ni de la piraterie : c’est le phénomène typiquement humain de la transposition, induisant une sorte de léger décalage, une imperceptible erreur de transcription orale, qui, lorsqu’elle s’applique à un nombre important de personnes change le sens de la phrase.

Aucune machine n’est ainsi capable de produire ces transformations subtiles et machiavéliques dont le résultat n’est le fait d’aucune personne en particulier. De là à dire qu’il y a création collective, œuvre participative ou phénomène holistique, c’est sans doute précipité. Mais notons avec intérêt ces résultats inexplicables et tentons d’en établir les critères et les conséquences :
> Collectif
> Basé sur l’échange et la transmission.
> Basé sur la transformation, la mutation.
> Où chacun participe au propos sans effort intellectuel, critique ou subjectif.
> Où le résultat est différent de l’énoncé.
> Peut se transmettre dans le temps et l’espace sans limite ni contrainte.
> Ne coûte rien.
> N’engage à rien.
> Ne laisse aucune trace.
> Ne produit rien.
> Ne contrôle pas la portée de ses conséquences.
> Dont le résultat ne permet aucun commentaire critique, philosophique ou théorique.
> N’implique aucune religion, ni dogme.
> Est applicable uniquement à l’homme.
> Est virtuel sans être numérique.
> Court-circuite les distances.
> Est économe en énergie physique et proche de zéro en énergie électrique.
> Est indépendant du moyen de transport tout en étant moyen de transport.

Puissant et fragile à la fois

Et pourtant :
> Existe depuis la nuit des temps.
> A été pendant des millénaires l’unique média.
> Est encore utilisé aujourd’hui dans la plupart des pays, quels que soient la race, l’ethnie, la religion, la culture, le système politique.
> Est parfois le seul moyen de résistance face à une dictature d’Etat.
> A sans doute permis l’émergence de la rencontre entre les peuples et donc le déplacement des populations, la mixité, le mélange.
> A sans doute aussi engendré des guerres par erreur, des ruptures tragiques et des tromperies monumentales.

Pris dans cet ordre, ces critères laissent rêveurs ou perplexes quant à la définition d’un nouveau média aussi puissant et fragile à la fois. La réception et son complémentaire, l’émission, sont sans doute inscrites dans une logique humaine de la transformation par l’échange et la transmission.

Sans entrer dans les considérations de l’esthétique relationnelle ou dans un discours sur un art public et participatif, je trouve néanmoins intéressant de reconnaître sur un phénomène finalement très basique et assez répandu que celui du téléphone arabe les signes d’un art qui prend place aussi de nos jours dans les réseaux virtuels, connectés et mondiaux.

Et de par sa fragilité à résister aux tempêtes du temps, l’oralité a une place non négligeable à reprendre sur la mappemonde des médias en devenir.

Avec mon projet « Humanpédia », je pose les questions d’un média oral et universel qui ferait de chaque humain le « dépositaire » et le « passeur » d’une connaissance encyclopédique et dynamique découpée en millions de morceaux d’une longue chaîne de caractères. Chacun de nous aurait la responsabilité d’un bout de la chaîne en vue de son « RELOAD » en cas de perte de l’ensemble des données. Une première performance, ce vendredi 28 mai à Angoulême, à partir de 19h, lance « Humanpédia » dans le cadre de l’événement proposé par Databaz, « Objectif texte », lui-même partie prenante de la manifestation nationale « A vous de lire » du Centre national du livre.

Avec « Humanpédia », je propose à chacun de participer à la constitution d’une mémoire universelle, hors de tout contexte technologique, en partageant l’encyclopédie en ligne Wikipédia vue comme un énorme fichier textuel PLAT, le code d’une longue chaîne de caractères découpée en plusieurs millions de séquences. Lors de « S.Low Tech », je proposerai aux visiteurs un « morceau » imprimé du code Wikipédia à conserver, en vue d’un « RELOAD » de la connaissance en cas de catastrophe magnétique planétaire...

Plus généralement, il y a une notion à approfondir, ce que je me ferai un plaisir de faire dans les prochains Nextgen, sur les médias faibles, low-tech, zéro énergie, associés à des technologies en réseau qui permettent d’être tout autant efficaces, voire moins polluants que ceux qu’on dit sociaux.

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