Dernier jour de l’Unité de production fongique V 2.0, du collectif Les Saprophytes à la Condition publique de Roubaix, le 16/10. Concert sous champignonnière à 20h, avec l’intégrale des Mazurkas de Chopin, par Olivier Penven, du conservatoire de Roubaix, 6 et 4€. L’Unité de production fongique est ouverte de 10h à 20h en entrée libre, 14, place Faidherbe, Roubaix.
L’Unité de production fongique produite par le collectif d’architectes et urbanistes lillois Les Saprophytes, à la Condition publique de Roubaix. © Les Saprophytes
< 16'10'10 >
Les champignons poussent la culture à la Condition publique de Roubaix

(Roubaix, envoyée spéciale)

La culture des champignons pour relancer un lieu de culture(s)… L’annonce avait de quoi surprendre : la Condition publique, ce site chargé d’histoire industrielle devenu manufacture culturelle en pleine euphorie Lille 2004, transformée pendant un mois, du 18/09 au 16/10, en véritable champignonnière. Le tout scénographié pour en faire une « autofiction »… C’est aujourd’hui jour de fermeture officielle de « l’Unité de production fongique V2.0 », en fanfare. Ou presque : l’intégrale des mazurkas de Chopin y sera donnée sur l’estrade entourée de champignons géants (qui, eux, n’ont rien d’authentiques).

L’espace « clairière » clôt de fait le parcours gustativo-culturel mitonné par une Condition publique régénérée par ce projet fongique. Etrange, intrigant, il mélange la nature et la culture, l’industrie culturelle et le bricolage, les systèmes d’échanges locaux (une recette de cuisine contre un panier de champignons), la poésie, la vidéo et même une pincée de théâtre impromptu. Frais et piquant à la fois, ce projet doit beaucoup à la nouvelle directrice de la Condition publique, qui, « à deux ans de la cinquantaine », explique la pétillante Anne-Isabelle Vignaud, a posé sa candidature « pour faire de la médiation culturelle plutôt que de la diffusion ». L’ex-directrice du centre culturel Saint-Exupéry de Reims a été choisie « à l’unanimité pour l’originalité de son dossier d’intention », selon le quotidien régional « la Voix du Nord ».

La mission est des plus délicates, après un turn-over de directeurs pour ce site magique réputé « difficile », comme l’ont pudiquement prévenue collègues et amis. La Condition publique est un lieu géant mais hybride, inscrit dans un territoire lui-même marqué par l’histoire de la crise industrielle : Roubaix, banlieue plutôt chic de Lille, où résidaient les lainiers et autres patrons du textile, est aujourd’hui peuplée à 40% de moins de 18 ans. Tant mieux ? Encore faut-il les convaincre de pénétrer l’enceinte de cette « manufacture culturelle » en plein quartier du Pile, où le chômage est roi, eux qui préfèrent filer à Lille faire la fête. Bref, d’autres, et non des moindres, s’y sont cassé les dents avant elle (on pense notamment à Manu Baron, plus à l’aise au Social Club à Paris que sur les 4000 m2 de l’ancienne usine de conditionnement de la laine rénovée et transformée avec tout le talent de l’architecte Patrick Bouchain).

Paille, mycélium, terreau et gobetage
Anne-Isabelle Vignaud a donc invité le collectif lillois les Saprophytes, « du grec sapro, pourri, et phyte, plante, un nom prônant le recyclage, comme les plantes qui repoussent sur du pourri », explique Claire Bonnet, en salopette rouge. Formé depuis quatre ans, ce mélange d’architectes, urbanistes et musicien mitonne un substrat bio-do-it-yourself-utopie douce très dans l’air du temps. Ce sont eux qui ont imaginé de transformer la Condition en champignonnière, avec paille, mycélium, terreau et gobetage, comme chez les pros de Comines, pas loin de là. La ferme de Gontière, deuxième producteur français de champignons de Paris (100 tonnes par semaine) ont aidé avec amusement nos apprentis mycologues à monter cette fiction réaliste.

« Le champignon est un point d’accroche pour aller à la rencontre des gens, et partager ces espaces de convivialité autour de la cuisine, qui sont généralement privés mais peuvent à l’occasion devenir festifs (on est très forts en repas de quartiers, dans le Nord) », explique Damien Gravat, en salopette rouge lui aussi, histoire de marquer la présence des Saprophytes en « fermiers urbains ». Objectif : faire pousser les champignons, les cueillir, les cuisiner, les offrir dans la ville (via une cuisine mobile), les faire déguster autour de la table lustre dessinée pour l’occasion (immense, en bois brut, avec ses luminaires en gouttes d’eau disposés avec soin par l’éclairagiste Annie Leuridan).

Cuisine de l’extraordinaire et concert de légumes frais
C’est que cette champignonnière féérique a été transformée en « autofiction » par toute une équipe. Les Saprophytes ont revisité le tunnel agricole (les pleurotes poussent à la verticale sur des ballots de substrat, les champignons de Paris à l’horizontale), le marionnettiste David Girondin Moab a conçu un personnage de paille et de vidéo dans le cou duquel pousse un « champignon au pédoncule ombilifère » (« Chant de Maldoror IV », Lautréamont), le comédien et metteur en scène Jean-Michel Guérin y a lu des textes choisis pour leur résonance mycologique, Eric Van Osselaer y a fait un concert de légumes frais. La réalisatrice Marie-Laure Cazin y a programmé des vidéos d’art lorgnant du côté hallucinogène de la thématique fongique, la plasticienne culinaire Caroline Valette y a mitonné des recettes inédites (confiture de champignons sur tranche de radis noir, meringues aux champignons, rouleaux de printemps d’automne…), tandis que le cuisinier invité du restaurant l’Alimentation (à l’intérieur de la Condition publique), Gérard Vives, spécialiste des poivres et des épices, y a conçu une « cuisine de l’extraordinaire autour des champignons ».

Le champignon, cet inconnu aux mille sexes…
Au rayon découvertes, papilles et pupilles sont donc servies. Et c’est tout naturellement qu’on découvre l’incroyable propriété du règne fongique, telle qu’expliquée par Sylvain Billiard, du Laboratoire de génétique et évolution des populations végétales de l’Université de Lille. Figurez-vous que le champignon préexiste à l’homme, qu’il n’est ni animal ni végétal et qu’il a la particularité d’avoir, selon les espèces, jusqu’à mille sexes différents… « A l’intérieur de l’espèce, certains ont un seul sexe et peuvent se reproduire avec n’importe quel individu, d’autres en ont des milliers. » Mais « pourquoi le sexe », alors ? Hélas, la science n’a pas encore la réponse. Le sexe n’est pas indispensable à la reproduction, puisque certains n’ont pas besoin d’une différenciation sexuelle pour se reproduire. Le sexe n’est pas non plus conçu pour le seul plaisir, les champignons n’ayant pas de terminaisons nerveuses. On en est réduits aux hypothèses (« brassage génétique », avance Sylvain Billiard).

Ajoutez à cela un Freud totalement mycophile, des cultures hallucinogènes prisées des sociétés primitives, une pincée d’Alice au pays des merveilles… Barquette de champignons en poche, vous repartez alors de la Condition publique, bardé de non-certitudes : grande culture, culture des champs, prototype de « ferme agri-culturelle »… Et si la Condition publique était tout bonnement réenchantée ?

annick rivoire 

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< 2 > commentaires
écrit le < 18'10'10 > par < annick.rivoire nGV poptronics.fr >
La fréquentation a suivi l’originalité de la proposition de la Condition publique : 3000 visiteurs en un mois sont venus découvrir l’Unité de production fongique (à titre de comparaison, l’exposition Ici Berlin en juin 2009 avait accueilli 4000 visiteurs en trois mois, selon la Condition publique). Un signe supplémentaire de cette "renaissance".
écrit le < 21'10'10 > par < kouskhir f8n free.fr >

Étrangement, vous ne parlez pas des produits chimiques utilisés pendant le cycle de production des champignons...

En tout cas, excellente opération de communication pour cette industrie dont on peut retrouver les produits uniquement dans les réseaux de grandes distributions.

Je trouve que ces artistes ont eu raison de se faire aider par un industriel car les petits producteurs de champignons de Paris n’auraient certainement pas pu leur offrir les mêmes moyens et les mêmes connaissances.

C’est vrai que la culture c’est sympa surtout quand on ne remet pas profondément en cause le fondement de la société. Et puis c’est pratique aussi, on peut mettre en contact localement les forces vives économiques et les acteurs administratifs culturels . Tout le monde y gagne : l’artiste, l’élu et l’industriel.

Que la foule perde le goût de vivre au milieu de ces cultures mortes, n’est en soi qu’un aspect secondaire de la chose. N’est-ce pas : après nous le déluge et buvons la coupe tant qu’elle est pleine.

Moins ironiquement, je trouve que ce papier est un excellent exemple de l’environnement UMPSPC dans lequel nous sommes : Culture + Industrie = Profits