« Je te demande de me demander », performances de Lucille Calmel au Théâtre Paris-Villette, Parc de la Villette, Paris 19ème, dernière le 18/12 à 21h00, rendez-vous online jusqu’au 21/12, une création x-réseau, inscription en ligne, 80 places, 5 €.
Lucille Calmel convoque l’internaute dans son intimité-réseau, sur le Net et sur la scène du théâtre Paris-Villette. Dernière représentation-performance ce jeudi. © DR
< 18'12'08 >
Lucille Calmel, les liens du flux
A priori, la tentative de Lucille Calmel paraît vaine, voire impossible : faire exister le réseau, les chat rooms, leur production textuelle et visuelle sur une scène de théâtre dans un temps donné, devant des spectateurs assis… A priori donc, la dématérialisation des échanges, le flux en direct, autant d’éléments qui semblent incompatibles avec la dramaturgie classique. Et pourtant, elle y réussit. Rien à voir cependant avec un spectacle de Jean-François Peyret : ce qui se passe sur la scène est ici beaucoup plus brutal et brut de décoffrage. L’artiste Lucille Calmel n’est pas une débutante. Elle aime prendre des risques, quitte à ne pas trouver son public ou la solution. Depuis des années, elle alimente son site de ses rencontres, de ses poèmes visuels, de ses textes. Habituée des performances, dans des bars ou des festivals, elle sait que cette présentation n’est qu’une étape de plus qui alimente les multiples variations de l’œuvre Myrtilles.org. Invitée du programme x-réseau, une tentative de relier la scène du Net à celle d’un théâtre vivant, elle envahit la petite salle du théâtre Paris-Villette, qu’elle habite au sens propre comme au figuré. Son décor : un intérieur moderne avec lit, canapé, commode rouge, tasses à thé, bouteilles de bière, d’eau, paquets de cigarettes, chaussures, sous-vêtements... Une affligeante banalité. A un détail près, des feuilles imprimées jonchent le sol comme une métaphore entre le parquet textuel et les mots qui apparaissent sur l’écran qu’elle allume de temps à autre… Bien visible aussi, un autre ordinateur ouvert, qui enregistre les fluctuations de son thorax, dessinant un étrange graphique. A la frontière entre théâtre et performance, depuis près de trois semaines Lucille Calmel convoque des gens à venir la voir, un rendez-vous quotidien intitulé « jetedemandedemedemander », pour comprendre comment elle construit pas à pas un discours, une parole qui s’enracine dans le flux de la Toile pour éclater sur scène, parfois avec bonheur, souvent avec violence, toujours avec beaucoup de pudeur… Ne pas s’attendre à un gadget interactif, ici, le discours se fabrique non pas au moment de la séance mais avant : lorsque certains après-midis, elle se connecte sur sa plate-forme où vous et d’autres discutent, échangent, la regardent au travers d’une webcam. De prime abord, le travail de cette artiste frise l’autisme, un délire narcissique de plus, mais il n’en est rien. La demoiselle, née en 1969 en Belgique, met à jour ses blessures et ses joies en composant des lignes de texte comme d’autres alignent des lignes de codes. Nue dans son lit, elle se drape des projections, s’enivre des dialogues, des inscriptions qu’elle tape sur son clavier. Elle use de ce clavier dont le son est amplifié, composant une douce mélodie. Si on ne regarde que sa manipulation des logiciels, Lucille Calmel performe à longueur de temps. Elle soupire, parle à voix basse, met en forme des pages très graphiques où les mots viennent en temps réel se superposer ou remplacer des images, elle anime les Gifs, puis disloque le son, ses propres paroles et ses poèmes en grattant le micro incorporé dans son ordinateur, elle ébranle le matériel… Elle cherche à comprendre, à retrouver un certain « Jack », homme réel croisé sur le Net, ou simple personnage inventé, personne ne le sait. « Jack » existe bel et bien, mais ce n’est ni un homme, ni un prince charmant idéal, c’est son ordinateur portable blanc nappé de coulures rouges… Elle joue avec, danse avec, le manipule, le maltraite parfois, le griffe, le mord, le recouvre d’une texture rouge… Il est tour à tour compagnon, amant, partenaire… L’ordinateur pleure des larmes de sang, se suicide ou a ses menstrues. Qu’importe l’interprétation, Lucille Calmel la laisse libre ! Elle est lui, elle devient lui, elle s’intègre à lui… Il y a du Petra von Kant chez Lucille Calmel, et cette même rage qui animait Geeshe, autre héroïne de Fassbinder, celle de « Liberté à Brême ». Geeshe empoisonne son amant, son frère puis toutes les personnes qui entravent sa liberté, Lucille, elle, accumule les mots, détruit les textes et les images à mesure qu’elle tape, reconfigure ses échanges, ses codes, ses pages, ses logiciels… Tout y passe, le son, les fréquences, la parole, les captures d’écran, les images, les montages. Habillée, épuisée presque, elle quitte la scène, tandis que le diaporama continue, son montage sonore aussi... Et le spectateur contemple, interloqué, le maelström défiler sans pouvoir quitter les lieux… Peu d’applaudissements, ce n’est pas grave, car ce n’est pas la fin, mais le commencement du prochain rendez-vous.
< 3 >
commentaires
écrit le < 21'12'08 > par <
guibertc FT3 criticalsecret.com
>
Il fait vraiment plaisir de lire un tel compte-rendu sur la performance de Lucille Calmel qui est une fille extrêmement talentueuse et inventive et qui taille dans le vif de ce qui nous gène, de ce qu’on refoule, de ce qu’on réprouve, en le métamorphosant dans un monde immatériel — pas seulement numérique mais encore conceptuel — distance qui le rend abordable mais pas moins éprouvant d’ailleurs, parce que le corps propre du refoulement est abstrait — et comme quoi : point n’est besoin maintenant de s’y abîmer le corps vivant comme auparavant. Mais peut-être fallut-il en passer par l’avant, corps et âme, source et hacks expérimentés par sa propre expérience avant d’être transformés en sa langue artistique à elle, depuis toutes sortes de tendances de l’art contemporain entre Body Art, Art S&M et art Queer des mutants, autour de la musique industrielle. À force de se hacker elle-même de ses sources et parfois en les ayant imitées à son porpre niveau, elle émerge enfin comme une artiste particulièrement originale, avec l’oeuvre en ligne de mire et déjà commencée, un grand art abstrait de l’hyperactivité ente l’artiste et ses partenaires (ses amateurs ou son public d’aventure), dans une critique radicale du naturalisme à l’opposé de ses références et de son passé personnel qui lui sert de langue : soudain grâce à son ordinateur, elle crée un corps sans organe inédit, actif en nous, une énigme violente, qui émerge d’une réalité imprévisible de l’étrangeté critique de l’être, qui nous innove réellement mutés par cette poésie multipolaire, sans qu’un seul poil de notre corps n’ait changé en apparence. C’est peut-être aussi une resurgence surprenantte de la tragédie antique, et je le dis en pesant les mots, comme parfois elle reste à m’effrayer :) Par contre un grand Zéro au théâtre Paris-Villette qui ne l’a pas reçue dans la salle où on peut ouvrir la porte aux retardataires, mais dans l’autre... un peu trop de dogmatisme pour permettre aux artistes d’être honorés par TOUT leur public, je veux dire pas seulement les spécialisés ni les amateurs car il y en a qui se trouvant là par hasard pourraientt s’en trouver captivés, dans le monde pressé où nous nous trouvons. Lucille je la verrai ailleurs. Paris l’a accueillie en l’honorant, mais avec une porte à demi fermée pour quelques autres que moi dans mon genre de public — donc j’en suis mais alors furieuse car par deux fois — plutôt qu’à-demi ouverte ;-) Même au théâtre et aux concerts on regroupe les retardataires pour attendre le moment où on pourra les faire entrer ensemble.. Vu la longueur de la performance ça valait vraiment le coup et installait un rendez vous ultérieur pour l’intégralité... Ce n’était même pas par respect de la performance, puisqu’on m’a proposé d’aller dans celle commencée dans l’autre salle.. mais parce que voilà : dans cette salle là la porte posait problème donc "on" avait décidé que ce serait comme ça. Bonjour la subtilité cognitive de l’accueil...
écrit le < 22'12'08 > par <
agnes cEL agnesdecayeux.fr
>
Aliette, Nous avons choisi au Théâtre Paris-Villette et pour son programme x-réseau de produire la création de Lucille Calmel comme l’on produit un spectacle vivant, c’est-à-dire sérieusement. Nous avons choisi d’accompagner la performeur dans ce théâtre et son fonctionnement. La performance de Lucille Calmel avait une durée de 40 minutes. Lucille concentrée, Lucille en live, en improvisation aussi, Lucille en péril parfois, Lucille offerte au regard du spectateur de théâtre, Lucille essayant, expérimentant une écriture nouvelle, fragile et dense. Lucille dans ce rapport très formel, de celui que l’on nomme frontal. Les 10 premières minutes de cet instant précis offraient au retardataire d’entrer là, de faire intrusion dans une relation déjà émise, construite de ce corps, de ces mots, cet écran, ces connexions croisées. Lucille dénudée et mise à l’épreuve de son art. Oui, il nous a semblé plus respectueux de fermer doucement cette lourde porte après ce premier temps bruyant pour le regardeur précis et disposé à percevoir une écriture en cours. C’est un choix. Vous pourrez revenir, en juin au théâtre, Lucille y proposera à nouveau ce travail de recherche. A bientôt Agnès
écrit le < 23'12'08 > par <
aliette.guibert auL gmail.com
>
Agnès, ça c’est la réponse a fortiori pour clore le débat car de tels arguments ne supportent pas de discussion — droits humanitaires etc.. et là je ne mache pas mes mots pour caricaturer ce genre de réponse, car ce n’est pas du tout comme ça que ça s’est passé ni a été informé sur place, aucune des deux fois — si l’information avait été transsmise comme ça la première fois, voyant que je serai encore en retard la seconde fois, vu les personnes qui au second tout avaient voulu m’accompagner, j’aurais évité d’y retourner. Je dis "je" non par égocentrisme parce que jene parle pas à la place des autres, mais je sais qu’il y en a eu d’autres dans mon cas même si les performances artistiques de toutes façons ne déplacent pas les plus larges masses. Maintenant, pardonne-moi encore une fois de me rendre peu sympathique, mais s’il va dans le sens de la performance d’avoir de tels arguments à opposer à qui tente de faire ouvrir une porte contre la performance — mais sans l’avoir envisagé et pour cause : manque d’information — et bien justement on l’informe avant, autant dans les communications d’annonce du programme, listes sites ou autres, que sur place quand on arrive. C’est une question de professionnalisme de l’institution qui programme. Respecter les artistes est la base de tout l’édifice mais l’édifice n’esxiste pas dans son objectif de sens si le public (dans ce qu’il présente de plus divers et aléatoire) n’y est compris faute d’être égalemetn respecté. Si on protège l’artiste on ne lui donne pas son plus bel accès. Si on défend la performance alors on informe avant que les portes seront définitivement fermées dès le commencement de la performance. Tout le reste c’est la France comme d’hab quoi : les flics ou le m(p)aternage (le sécuritaire en tout domaine). Y en a marre : rien n’est vrai dans ce pays. Rien ne prend le risque de la masse — peu importe son nombre, là je parle de l’indéfinition du public comme du citoyen si l’on sort un peu de l’identitaire ou du réseau communo-identitaire — au sens propre... Flux tendus, Risque 0 (pour plagier Virilio) tu vois ce que ça représente dans une société vectorale . Prévenir que les portes seront fermées de sorte que les gens ne tentent pas d’y venir s’ils se savent en retard, pour un établissement de programmation artistique c’est la moindre des choses même si c’est prendre un risque qu’on prenait encore par respect des rapports institutionnels réciproques, il y a peu. Même celui-là on ne le prend plus, alors que c’est la base du pacte public-performeur-lieu de programmation.. .— Bof, mais tu es l’institution de x-réseau quelque part l’institution elle même et te voilà qui réponds de tous les droits sauf des "miens" au nom que les tiens te rendent aveugle du droit que tu n’imagines donc pas... de plus nous n’étions pas une clientèle invitée mais désirant contribuer du prix de la place, donc c’est bien à titre général que je m’insurge. Je répète non pas qu’il ne put exister une performance accessible après son commencement, mais bien de ne pas avoir informé auparavant ni à la fois sur place — ne serait-ce par un affichage à l’entrée — que cela constituait une des conditions de la perforrmance.
Métavers, tout doit disparaître (et Hubs aussi)
Il est plus que temps d’« Exploser le plafond » “Good Bye Schlöndorff” mixe multimédia, guerre et cinéma pour Banlieues bleues Mal au Pixel #9, l’art du réseau sans paillettes ni selfies Au secours du théâtre Paris Villette |