« La loi des rendements décroissants », texte de Jérôme Mauche, Seuil, coll. « Déplacements », 16 €, en librairies.
Poète performer, Jérôme Mauche écrit désormais une litanie de mots, de 656 signes en début d’ouvrage à 1348 à la fin de « La loi des rendements décroissants », qui vient de paraître. © DR
< 03'12'07 >
Mauche fait mouche des mots à maux
Poète performer, Jérôme Mauche utilise dans son dernier livre le réel dans ce qu’il a de plus trivial, comme on le parle, partant d’un « mot d’ordre, mais déceptif ». Avec « La loi des rendements décroissants », il quitte ses micro-narrations aux chutes incisives (« Electuaire du discount », Le Bleu du ciel, 2004), pour un travail de rythme de la phrase plus radical et proche de l’oralité. Pas si surprenant compte tenu de son parcours : l’homme enquille les lectures performances au Musée Zadkine ou à la Ménagerie de Verre et participe notamment à l’« Encyclopédie de la parole » aux Laboratoires d’Aubervilliers, qui invite des DJs à mixer des documents parlés. Dans « la Loi des rendements décroissants » se succèdent 202 fragments progressant selon une loi « incrémentielle » (comprenez, du plus court au plus long). Dans chaque section, un enchaînement de phrases avec associations et détournements en cascades. Recyclant le vocabulaire politico-économique, Jérôme Mauche fonde une poésie fantasmatique des relations sociales, où il est question tout à trac de la ménagère de moins de cinquante ans, de « turnover constant » ou du « Colisée télévisuel ». Exemple : « Une inquiétante prolifération d’entreprises, à moyenne distance, fait retentir sa corne de brume, dans l’indifférence attentive des politiques, soucieuses de chiffrer, misant sur des marchés étrangers, le luxe, le vin et le tourisme, avides d’acquérir nos plus beaux fleurons industriels et commerciaux dans le brouillage du brouillard économique. » Ici, les machines se grippent, on se perd et on glisse subrepticement du corps économique au corps organique, jusqu’à des formules à l’efficacité sûre, comme l’« aliment roboratif du protégé social de base » ! Et ce n’est pas un pur hasard si l’auteur évoque dans sa postface une « sur-littérature », « qui s’écrira tout contre ». Ses textes composent avec les expressions toutes faites et autres phrases entendues, qu’il détourne et répète jusqu’au non-sens. « Déplacements », c’est le nom de la collection dirigée par François Bon dans laquelle paraît ce livre : ici l’écriture se fait « compte tenu des mots », selon le vœu de Francis Ponge, en se laissant guider par leurs sons. On pense aussi à Olivier Cadiot, parlant de « rajeunir l’image tout en gardant l’ancienne » (« Un nid pour quoi faire », P.O.L., 2007). Jérôme Mauche revendique l’esthétique du collage, évoquant le Picabia de la dernière période et ses nus féminins à l’imagerie érotique à tendance clairement vulgaire. Au final, l’humour est très présent dans ses textes, qui flirtent avec le mauvais goût sans jamais y tomber vraiment.
Il faut qu’on parle, naturellement !
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