Pour Poptronics, Véronique Godé, qui arpente les festivals et connaît musiciens, artistes et tendances comme sa poche, revient sur quelques-uns des rendez-vous de ce printemps électronique, des Qwartz en passant par les 20 ans de la techno, du pionnier Derrick May jusqu’à la relève australienne Kučka.
Clone fusionné de Björk et d’Hello Kitty, Kučka débarque d’Australie avec une électro printanière. © DR
< 10'05'13 >
Printemps électronique

L’art des bruits a cent ans, la techno en a vingt. Pop, rock, punk ou ethno, petit tour en mode après-coup du vent d’électro qui souffle de Chine, de la Mer noire ou d’Australie. Où l’on évoque Russolo, Derrick May, les Qwartz Awards, Sonic Protest, et autres « Renée se voit en botaniste dans les plans hyperboles »...

Le 4 avril, le printemps des avant-gardes était invité à la Machine du Moulin Rouge, pour les Qwartz et leur célébration des Musiques nouvelles (improvisées, montées, éditées, concrètes ou électro-acoustiquement composées). Parmi les labels Lentonia Records (dédié aux compositrices électro), Staalplaat et M-Tronic, Avoka présentait son Dyskograf : Jesse Lucas, Erwan Raguenes et Yro ont d’ailleurs reçu le prix Qwartz-Max Mathews pour ce lecteur de disques graphiques (qui concourt actuellement dans la catégorie design aux Fubiz Awards).

Aux côtés des Kvitnu, Staubgold et autres Shitkatapult, l’éditeur Allia présentait « A Composer’s Confessions » de John Cage (1948), « Experimental music » de Michael Nyman (1974) et sa réédition de « L’art des bruits », le manifeste du peintre et compositeur futuriste italien Luigi Russolo, précurseur de la musique électronique : « Pouah ! Sortons vite, car je ne puis guère réprimer trop longtemps mon désir fou de créer enfin une véritable réalité musicale en distribuant à droite et à gauche de belles gifles sonores, enjambant et culbutant violons et pianos, contrebasses et orgues gémissantes ! Sortons ! » écrivait-il en… 1913 !

Autre pionnier, lui bien vivant, Derrick May, figure emblématique de la techno world wilde made in Detroit, j’ai nommé DJ May (day), fondateur du label Transmat, était appelé ce soir-là à monter sur le podium, pas seulement pour « y mixer, palper, façonner sa musique », mais pour y recevoir un Qwartz d’honneur. « Ce qui m’a plu, ce n’est pas tant le prestige (bullshit) d’une remise de prix, c’est que tous les artistes rencontrés aux Qwartz y défendent leur musique, leur style avec autant de passion et de sérénité... » En anglais dans le texte :

Et oui Derrick, au pays des Pierre(s) Henry et Schaeffer, « c’est cool » comme tu dis, même si nos belles salles dédiées à la scène électronique ne sont pas tant que ça ouvertes à l’improvisation, à l’expérimentation pur jus, bref à la création. Et à Detroit, comment ça se passe en ce moment, pour toi qui viens du pays du GROOVE (du nom du logiciel conçu par Max Mathews en 1970 « pour épauler le musicien dans sa performance live ») ? Réponses et digressions sur l’avenir des villes quant à la nécessité de préserver leur creative class, en mode « interview sans cut ni make up », à 3h du mat, juste avant son set :



Aux Qwartz toujours, Danièle Rivière, fondatrice de la maison d’édition Dis Voir, présente la collection de livres-DVD « Zig Zag », où sont édités d’autres passeurs plus contemporains tels qu’Ikeda, Laurie Anderson, Lee Ranaldo, ou encore le collectif Soundwalk, nominé pour « Medea », une pèche aux sons, chants et paroles remixés en Mer noire.

Kink Gong (Laurent Jeanneau), tout juste rentré de Chine après treize ans d’investigation, faisait découvrir les voix des minorités arrangées à sa sauce électro, dans une série éditée de parcours sonores... en avant-première du live proposé dans une tempête d’événements électro-acoustiques par Sonic Protest.

Toujours début avril, période décidément faste pour l’électro (on n’oublie pas Présences électroniques, le rendez-vous de l’INA et du GRM), Technopol, le (pour ainsi dire) syndicat des musiques électroniques, conviait au Forum des images à la projection du film d’Amélie Ravalec, « Paris-Berlin, 20 Years of Underground Techno ».

« Paris-Berlin, 20 Years of Underground Techno », Amélie Ravalec (2012, bande-annonce) :


Ce 52’ qui montre les liens et les différentes approches des deux capitales était précédé d’un retour aux sources « Detroit » (2001), dans une pastille de 8’ où la réalisatrice Jacqueline Caux en mode road movie, nous montre le versant totalement délabré de feu Motor City. On attend son long métrage.

Ces visions assez pessimistes, teintées d’une certaine nostalgie résistante et cruellement réaliste, rappellent le combat des premières rave parties face à la répression policière. La vision apocalyptique du Detroit contemporain souligne qu’il ne suffit pas d’être pionnier, encore faut-il que les idées nouvelles et leurs pratiques soient soutenues. Les David Guetta et autres Mika, assez malins pour soutirer avec de la pop et de la house, 400.000 euros à la ville de Marseille (qui « souhaitait satisfaire les jeunes générations » !) sont l’exception : en matière d’innovation culturelle, rares sont les semeurs de graines qui en récoltent les fruits.

Côté graines justement, le printemps apporte d’Australie quatre jeunes pousses et une chanteuse, clone fusionné de Björk et d’Hello Kitty. Kučka a la fraîcheur d’un elfe et la voix d’une diva asiatique, elle arrive de Perth auréolée d’un « song of the year 2012 » décerné par le WAM (West Australian Music Industry Association), et clôturait la soirée Technopol par un tout premier concert en France.

Kučka, extrait de leur premier concert français, 2013 :


Alors que l’électro s’immisce dans tous les champs de la création, des arts plastiques au spectacle vivant, ce printemps est aussi l’occasion de découvrir les nouvelles explorations chorégraphiques de Système Castafiore, soit Marcia Barcellos sur la musique minimaliste de son complice Karl Biscuit, pionnier du collage électronique.

« Renée en botaniste dans les plans hyperboles », la nouvelle pièce de Système Castafiore récemment présentée à Chaillot puis au CDA d’Enghien (et cet automne à Nevers, au festival Effervescence les 8 et 9/10 et à Cannes, pour la Biennale de danse, le 22/11), interroge notre rapport au temps, aux technologies et au langage. Reflet de la folie du monde, elle explore les mécanismes poétiques de la mémoire, avec une dose d’humour surréaliste et des projections d’images sophistiquées tendues vers l’épure. Une belle façon de se souvenir de sons portés par le vent où l’on s’invente des harmonies aussi chaotiques que le hasard.

v.godé/orevo 

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