« Eotone », spectaculaire installation cinétique et sonore d’Herman Holgen et David Letellier, permet d’écouter la brise d’ailleurs à Nantes, une première du festival Scopitone. © DR
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Scopitone 2014, du numérique à toute la sauce (nantaise)
Du 15 au 21 septembre, le festival des cultures électroniques et des arts numériques Scopitone de Stéréolux aiguillonne une ville de Nantes en pleine effervescence numérique durant la Digital Week.
(Nantes, envoyée spéciale)
Le Petit Lu n’a plus le monopole. Le numérique est en passe de devenir l’autre spécialité locale nantaise. Si le festival des cultures électroniques Scopitone (15-21 septembre) demeure la colonne vertébrale numérique de Nantes, il se superpose désormais à la Digital Week et sa déferlante de 45 conférences, rencontres, workshops et autres séminaires éparpillés un peu partout en ville jusqu’au 21 septembre. Sans oublier le lancement de Digital Intelligence le 17 septembre, symposium international consacré aux cultures et sociétés numériques. Scopitone « l’ancien » se démarque cependant et le public ne s’y trompe pas qui y retrouve des installations spectaculaires comme « Eotone », dispositif éolien monumental d’Herman Kolgen et David Letellier captant des données météo en temps réel, et une programmation scénique qui mélange le mainstream et quelques petites audaces.
« Eotone » (montage), Herman Kolgen et David Letellier, 2014 :
Brouillage de pistes et frénésie numérique
Derrière ce syndrome digital aigu se manifeste une volonté politique, celle de Nantes Métropole qui ne cache pas son ambition de se faire labelliser French Tech, une garantie pour développer son assise numérique et les ressources qui vont avec. « On est dans l’engrenage de la politique du numérique, mais il nous sert aussi », explique Cédric Huchet, programmateur arts numériques de Scopitone, qui défend l’autonomie et l’indépendance d’esprit d’un festival qui n’a pas attendu les volontés politiques pour aller défricher le terrain des cultures électroniques. « Je ne nie pas certains tiraillements, poursuit-il. Mais nous avons amené le festival là où nous le souhaitions et nous avons une entière liberté dans notre direction artistique. Maintenant, il faut savoir collaborer intelligemment avec le territoire. »
Le territoire et ses acteurs, Scopitone connaît. Son succès populaire se confirme d’année en année. En 2013, le festival avait déjà atteint le maximum de ses capacités d’accueil avec 40.000 visiteurs, tous âges confondus, en espère « peut-être 45.000 cette année avec les expositions ». Toujours pas de lassitude à l’horizon et nul besoin de têtes d’affiche pour alimenter l’engouement (les deux soirées électro de ce vendredi et demain samedi affichent complet). Seule héroïne électro-pop présente cette année parmi les 50 artistes invités, Christine and the Queens, l’enfant du pays « à qui on a demandé de venir avant même la sortie de son album »… et donc avant l’explosion de son succès.
Car malgré l’emballement de la machine, le festival qui en est à sa 13e édition conserve son côté chineur de talents. « Il y a un véritable appel d’air du numérique depuis 20 ans à Nantes », constate Adrien Cornelissen, responsable de la communication du festival. « Mais à la base, la vitalité artistique vient du tissu associatif local et de petits projets qui ont grandi et entraîné cette dynamique. » Le numérique ne fait donc pas tout. L’orientation du festival en témoigne, avec des confrontations d’installations allant de la virtuosité numérique totale (et un peu attendue) du « Supersymmetry » de Ryoji Ikeda au Lieu Unique en passant par le low-tech de « The Tenth Sentiment » de Ryôta Kuwakubo au Château des Ducs de Bretagne.
« Supersymmetry », Ryoji Ikeda (2014), une création du Japonais amateur d’abstractions arithmétiques au Lieu unique. © C. Claude
« The Tenth Sentiment », Ryôta Kuwakubo (2014), comme une lanterne magique 2.0. © DR
« On ne peut pas se contenter d’une course à la technologie, il faut savoir l’affronter, le critiquer, le réorienter. Les artistes le font très bien, même de mieux en mieux », ajoute Cédric Huchet.
Pour stimuler la création émergente, Scopitone multiplie coproductions et premières. Et joue savamment des contrastes de la programmation. Comme le 16 septembre, en faisant se succéder minimal conceptuel et grand show laser : d’un côté « Bsynthome » par Yro et le collectif berlinois Transforma, qui transforme en temps réel images, sons et vidéos en une sorte de magma organique et chaotique, de l’autre, « Lumières n°6 », show hyper léché et rigide de Robert Henke.
Mardi, la radicalité minimaliste de la performance d’Yro et Transforma a déstabilisé le public qui quitte la salle par petits groupes. « Nous n’avons pas l’habitude de voir aller et venir les gens pendant nos performances, dit Luke Bennet de Transforma. Du coup, nous ne sommes pas très contents de notre prestation. Mais cela nous permet aussi de réfléchir à l’évolution de son format. »
« Bsynthome », par Yro et le collectif berlinois Transforma, bande-annonce, 2014 :
Leur performance exigeante et très conceptuelle précédait les lasers géométriques tonitruants de « Lumières », de Robert Henke, le musicien à l’origine du projet Monolake. L’affrontement de ces deux antipodes était redoutablement bien pensé et efficace.
« Lumières n°6 », Robert Henke, 2014 :
« Le propos du festival est de confronter les démarches et de toucher à toutes les formes d’art, pas seulement numériques, pour créer un frottement entre artistes, public et scientifiques. »
Cédric Huchet, directeur artistique de Scopitone
Cette exigence s’illustre également via les quatre dispositifs de médiation scientifique « Explor’nova » répartis entre la Halle Alstom et Stéréolux, hors des sentiers de l’art numérique. D’autres « bifurcations » plus anecdotiques-ludiques sont au menu, comme « Touchy », du hong-kongais Eric Siu qui déambule casque-caméra sur la tête à la rencontre des visiteurs. Au public de le toucher pour ouvrir ses obturateurs oculaires. Surprise feinte et moment de gêne garanti, un excellent moyen de stigmatiser les errements techno de la déferlante des Google Glass et autres Oculus Rift.
« Touchy », Eric Siu, bande-annonce, 2012 :
À l’opposé, « The Blind Robot » de Louis-Philippe Demers apporte une touche empathique au rapport entre l’homme et sa création robotique, tandis qu’Yro s’illustre encore, cette fois dans un registre plus ludique, avec Erwan Raguenes et Jesse Lucas. « Dyskograf » est une platine qui transforme les dessins en sons. Le spectateur dessine les motifs de son choix sur un faux vinyle en carton. La caméra fixée au bras scanne les motifs et les convertit en son, avec une effet de boucles électro. Les visiteurs ne s’en lassent pas, qui font la queue comme à la fête foraine.
« The Blind Robot » (2012) de Louis-Philippe Demers. Pas totalement à l’aise, Luke Bennet, de Transforma, laisse explorer son visage par les mains agiles du robot aveugle. © C. Claude
« Dyskograf » (2014) de Jesse Lucas, Erwan Raguenes et Yro. © C. Claude
Filez donc à Nantes pour découvrir et profiter de quelques autres surprises ce 19 septembre et demain. Les live et sets de DJs d’abord, qui s’installent sous Les Nefs des Machines. Etienne de Crécy et son Superdiscount 3 est en vedette ce soir, suivi de Salut c’est cool pour la rigolade. Demain samedi, Joris Delacroix et Gramatik s’y collent. Dans la foulée, les incontournables Nuits électro de Stéréolux.
Carine Claude
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