« Superstition(s) », exposition de Pascal Lièvre à la galerie Vanessa Quang, jusqu’au 8/03 du mardi au samedi de 11h à 18h, 7, rue des Filles du calvaire, Paris 3e. Rens. 01.44.54.92.15.
Pascal Lièvre en plein cours d’aérobic tonique philosophique. © DR
< 27'02'08 >
Spinoza en short, Heidegger en slip
Le sol de la galerie Vanessa Quang, dans le Marais parisien, a été temporairement recouvert de moquette beige pour un « cours » d’aérobic philosophique. Dernier avatar branché des corps hédonistes parisiens ? Pas vraiment, plutôt la lente et déterminée chorégraphie de la pensée, présentée par un Pascal Lièvre facétieux et en grande forme. Pendant toute la durée de l’exposition qui lui est consacrée, l’artiste, qui s’est fait une spécialité de retourner-détourner les figures les plus connues de notre patrimoine populaire (en mixant Abba et Mao par exemple, un must absolu qui date de 2001) ou artistique (il « refait » le baiser d’Orlan à 1 euro à la Fiac en 2004), organise des séances d’aérobic « Kant », « Nietzsche » et « Heidegger ». Après un échauffement tout symbolique, l’artiste déroule ses bras au ralenti en prononçant quelques-unes des phrases les plus cryptiques de Kant, Heidegger ou Nietzsche. Avec Heidegger, ça donne par exemple : « Le corps de l’homme est quelque chose d’essentiellement autre qu’un organisme animal » (extrait de la « Lettre sur l’humanisme »). C’est très drôle et si l’on prend deux secondes pour y réfléchir, ça dépasse le simple clin d’œil. Dans une société d’images, le corps est devenu le dernier refuge de nos egos tout à la fois hypertrophiés (nous sommes tous des gens célèbres, via l’Internet notamment) et fragilisés (le quart d’heure de gloire promis par Warhol aurait plutôt tendance à ne durer qu’une poignée de secondes). C’est aussi le constat que l’esprit et le corps ne font plus désormais chambre à part alors que la philosophie reste une denrée galvaudée, au mieux réduite au slogan, au pire inaudible, trop compliquée pour le 20 heures de TF1… Pascal Lièvre utilise nos rites contemporains pour nous renvoyer un miroir certes pas très glorieux de nous-mêmes, mais toujours tendre. Ainsi, trois vidéos dans l’exposition reprennent ces mouvements d’aérobic en version « strip-tease », avec le même « professeur » se déshabillant de philosophe en philosophe (Kant vaut un habit, Nietzsche un pantalon, Spinoza un short et Heidegger le radical, un slip). Cette désacralisation (au bon sens du terme, qui rapproche la philosophie de nos vies quotidiennes) s’accompagne d’une marchandisation (puisque le monde tourne désormais autour des icônes et des produits dérivés) : t-shirts brodés aux noms des principaux tenants de la philosophie, slips griffés Spinoza, pulls en V chics estampillés Nietzche. Pour aller au bout du process, Pascal Lièvre a imaginé une campagne de publicité où douze jeunes et beaux garçons posent dans ses vêtements (perso) brodés. Et c’est naturellement que la boutique des arts décoratifs à Paris met en vente 100 de ses « polos philosophiques » depuis la mi-janvier. Des polos noirs pour homme brodés et numérotés Emmanuel Kant et Friedrich Nietzsche vendus une quarantaine d’euros (et qui partent comme des petits pains), transformant la philo en support arty, sinon en œuvre d’art… L’exposition s’intitule « Superstition(s) » (celles de notre époque, dit l’artiste, sont « la philosophie et la post-démocratie ») et présente un ensemble d’acryliques sur toile qui s’emparent des icônes de l’histoire de l’art, toujours en les détournant avec malice. Une autre façon de mettre les pieds dans le plat : l’art « Made in France » que propose Pascal Lièvre, né en 1963, ce sont les grands tableaux de la peinture hexagonale en pochoirs bleu-blanc-rouge. Géricault, David, Journiac, Declercq… passés aux couleurs du drapeau national nous renvoient à des questions plutôt très contemporaines : l’art a-t-il une nationalité ? la propagande passe-t-elle par la création ? Y a-t-il un « style » français (ou une exception culturelle française) ?… Et voilà comment, d’un vulgaire cours d’aérobic, on glisse à des questions plutôt très politiques…
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commentaires
écrit le < 27'02'08 >
Ok mais ça fait longtemps que les angliches pratiquent la chose : http://www.philosophyfootball.com/
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