Alvin Lucier, invité d’honneur de Feedback, événement dédié aux relations entre musique et arts plastiques, avec concerts, performances et exposition « Feed me with your kiss », au centre d’art contemporain Consortium, du lundi au vendredi de 14 h à 19 h, du 27/09 au 14/10.
Alvin Lucier en 1976 dans Music for Solo Performer. © DR
< 28'09'07 >
Alvin Lucier s’asseoit sonore au Consortium

« I am sitting in a room
different from the one you are in now
I am recording the sound of my speaking voice
and I’m going to play it back into the room again and again
Until the resonant frequencies of the room reinforce themselves
So that any semblance of my speech, with perhaps the exception of rhythm is destroyed.
What you will hear then are the natural resonant frequencies of the room
articulated by speech.
I regard this activity, not so much a demonstration of a physical fact,
but more as a way to smooth out any irregularities my speech might have. »

Dans « I am sitting in a room », pièce pour voix et bandes magnétiques performée pour la première fois en 1970, Alvin Lucier entonne ces paroles pendant plus d’une heure et réalise une expérience acoustique déterminante. Cette phrase n’est prononcée qu’une fois, puis, en suivant l’exact processus décrit dans la proposition, les mots se réinjectent dans un phénomène de boucles progressivement augmentées par leurs propres résonances. Après une douzaine de répétitions, le sens est déjà gommé au profit d’ondulations chaudes-froides hypnotiques. Plus loin, les harmoniques s’additionnent et révèlent la richesse d’un son pur que les convolutions mêlées portent dans une infinie beauté, érodant la notion de temps et même l’idée de répétition qui est pourtant ici le moteur de l’action.

Plus de 30 ans après, la performance est reconduite au centre d’art contemporain le Consortium de Dijon, dans le cadre du bien nommé festival « Feedback  ». On appelle feedback le phénomène de réinjection qui consiste à boucler le signal sortant d’un appareil vers une entrée de cet appareil. La boucle la plus commune, constituée d’un microphone, d’un amplificateur et d’un haut-parleur est bien connue : c’est le larsen. En français : alimentation en retour… un principe acoustique plutôt associé à une perturbation qu’à un aboutissement artistique. Le feedback est popularisé par Jeff Beck dans les 60’s agitées britanniques, et devient même un bijou cinématographique pour la séquence culte immortalisée par Antonioni dans la scène de club de « Blow Up  », où les Yardbirds, avec Jimmy Page et Jeff Beck aux guitares, sont en train d’exploser « Stroll On », et Beck accessoirement sa guitare.

Le procédé qui naît ainsi s’imposera dans toute l’histoire du rock, de Neil Young à My Bloody Valentine, plus quelques milliers de groupes entre les deux, autant après, et bien sûr pléthore d’instruments dédiés au dit effet, telles les pédales de distorsions tant prisées par les guitaristes. Avec tout ça, le feedback apparaît bien comme la marque déposée du rock.

Alvin Lucier va bien plus loin. Ici pas d’effet, mais un process. Par sa radicalité mais aussi sa beauté, « I am sitting in a room » est une pierre angulaire de l’art sonore. Une œuvre à la fois conceptuelle, rigoureuse et minimaliste. La performance de 1970 fait date. L’utilisation de l’acoustique des lieux dans le principe même de la composition est alors une vraie nouveauté. On doit par ailleurs à Alvin Lucier d’autres innovations remarquables comme la génération d’images par les sons ou l’utilisation des ondes cérébrales dans cet autre classique, « Music for Solo Performer (1964-1965) for Enormously Amplified Brain Waves and Percussion ».


Le fil rouge des œuvres de Lucier n’est finalement pas tant l’étude de phénomènes acoustiques, voire biologiques et psychologiques, que l’accaparation et la transformation de ces événements en explorations musicales poétiques et envoûtantes. « Ce qui m’intéresse, c’est le mouvement que le son effectue de sa source jusqu’à l’espace, sa qualité tridimensionnelle. Parce que les ondes sonores doivent bien aller quelque part une fois qu’elles sont émises. Ce qu’elles deviennent alors m’intéresse au plus haut point ».

Pour toutes ces raisons, Alvin Lucier est l’invité d’honneur du festival Feedback du Consortium. Il est au centre de diverses performances. En plus de la très attendue réinjection de « I am sitting in a room », d’autres œuvres viennent compléter le portrait du compositeur. « Music for cello with one or more amplified vases » créée en 1992, à la frontière du concert et de l’installation. Ici, le son du violoncelle se diffuse dans la salle où a lieu le concert, mais il est également capturé et diffusé dans différents vases qui deviennent autant de petites pièces avec chacune une résonance particulière. Un concert portrait d’Alvin Lucier par l’Ensemble Zeitkratzer de Berlin qui propose un programme exclusivement dédié à l’œuvre instrumentale du compositeur, retour sur plus de trente ans de recherches sur la mécanique acoustique et harmonique des ondes sonores, et sur les relations entre matière et mouvement…
L’Ensemble Zeitkratzer, performera aussi d’autres œuvres comme la bruitiste composition « Pendulum Music » de Steve Reich, la quatrième face du Maudit- Malsain-Mythique double album Metal-Machine-Music de Lou Reed. Enfin, sont de la partie les non moindres Rob Mazurek, initiateur du trio Chicago Underground et de Panamerican, ainsi que Sonic Boom, fondateur des Spacemen 3 et aujourd’hui tête chercheuse de E.A.R — Experimental Audio Research.

Traduction :
Je suis assis dans une pièce différente de celle où vous vous trouvez maintenant / Je suis en train d’enregistrer ma voix et je vais la jouer dans la pièce encore et encore / Jusqu’à ce que les fréquences dues à la résonance de la pièce se renforcent elles-mêmes / De cette façon, toutes ressemblances avec mon discours, sauf peut être son rythme, seront détruites / Ce que vous entendrez alors, seront les résonances naturelles de la pièce, articulées par ma voix / Je conçois cette activité pas tant comme la démonstration d’un phénomène physique / Mais plus comme un moyen de lisser toutes les imperfections que ma voix pourrait avoir.
(Alvin Lucier, "I am sitting in a room", 1970).

jean-philippe renoult 

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