Agnès de Cayeux écrit à Frédéric Mitterrand, en réponse à l’intervention théâtrale du nouveau ministre de la Culture à l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi controversé d’Hadopi, deuxième mouture (qui n’est toujours pas adopté...). Une lettre que poptronics a choisi de relayer. Oyez oyez, Frédéric M., l’ode anti-Hadopi de cette artiste vigilante et concernée.
Agnès de Cayeux lors de la Flashmob Artichaut pirate, devant les bureaux de la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel, en avril dernier. © DR
< 30'07'09 >
« Cher Frédéric M., à propos d’Hadopi », par Agnès de Cayeux

Agnès de Cayeux, à travers le collectif Internet mon amour (à l’initiative de la pétition Téléchargez-moi, largement relayée par poptronics) ou en tant qu’« artiste subventionnée » (c’est elle qui l’écrit), n’abandonne pas le combat anti-Hadopi face au nouveau ministre de la Culture. Alors que le gouvernement part en vacances, que le débat sur Hadopi 2, la version remaniée de la loi antipiratage sur l’Internet, repassera devant le Parlement à la rentrée (trop d’amendements déposés, la fronde parlementaire de fin d’année a fait reculer momentanément le gouvernement), Agnès écrit à son ministre. Frédéric Mitterrand a voulu faire de son premier discours à l’Assemblée nationale une tribune « à l’ancienne ». La bien belle lettre « à l’ancienne » d’Agnès, poptronics se fait un plaisir de la relayer, histoire de maintenir la flamme.

« Longtemps, je me suis couchée tardivement. Je regardais les films de Vito Acconci qu’enfin je pouvais percevoir, je téléchargeais les films de Chris Marker qu’à présent je peux entrevoir, je downloadais à outrance la nuit pour pouvoir distinguer le jour ce miracle de la culture qui se produit à l’écran, cet accès démesuré à la connaissance, cet abîme si sensé et sensible que l’artiste nous offre de regarder, l’artiste, celui qui crée en silence pour moi, toi et les autres. Celui avec qui j’ai une relation précise et immatérielle, une sorte de contrat inexplicable. Longtemps, je me suis endormie connectée, rêvant de Borges, Kafka, Bioy Casares, Cronenberg ou Nicholson, ceux qui ont écrit ce miracle. De cette augmentation de la pensée, de ce partage du savoir, de cette mutation, de ces déambulations dans ce nouvel espace public brillant, intelligent, cet Internet libre au service de la pensée et de ses citoyens. Je mémorise aujourd’hui des mots, des images, des sonorités qui modélisent mon esprit. L’accès inespéré, non surveillé et non légalisé à cette culture m’a permis de choisir des livres, des films, des musiques et leurs auteurs, de les acheter, de les partager, de remplir mon rôle social et politique de citoyenne si fière d’honorer cette créance avec mes artistes, de cette relation merveilleuse et indispensable. »

« Vous ne pouvez pas, cher Frédéric M., affirmer à l’Assemblée Nationale, qu’il y a urgence à voter cette loi méprisante envers le public et ses artistes, et dire ainsi que le piratage des œuvres doit être stoppé sans vous souvenir de la pudeur de Marguerite Duras qui ne souhaitait pas publier “India Song” pour ne pas livrer à son si cher public une histoire non littéraire vécue avec son réalisateur et son équipe. Vous ne pouvez pas ignorer cette figure borgésienne de Pierre Ménard et isoler la France du reste du monde avec cette loi anticonstitutionnelle et crétine. Auriez-vous omis d’interroger les penseurs, artistes et auteurs étrangers et leur perception semblable et désolée qu’ils ont de notre refus d’accepter ce territoire public et ses possibilités d’accès inespérées à la culture pour chacun. Auriez-vous également oublié que Beaumarchais s’est élevé contre les abus des Comédiens Français : il s’agissait d’un acte politique et attaché à la survie des auteurs vivants, à cette création précise, ces artistes que l’on aime, ceux qui écrivent leurs perceptions du monde, ceux dont nous avons besoin pour vivre et mourir. Vous le savez, cette loi protège quelques majors, quelques amis du Prince. Et au nom de quelques-uns, vous, Frédéric M., seriez prêt à instaurer l’inculture promise, ici, en cette terre désirante ? En cette terre, mes enfants continueront de s’augmenter de la culture à laquelle je crois. Longtemps, je l’espère, ils s’endormiront de bonne heure, de rêves, de mots et de sonorités nouvelles, car je leur apprends chaque jour à percevoir le monde, à télécharger, à être de futurs citoyens épris de culture et d’intelligence. »

« J’étais une femme, une citoyenne, une mère et depuis quelques mois, je suis une pirate, une ennemie de la culture et des artistes, je suis damnée, quasi terroriste, je suis passible de ripostes en tout genre, d’emprisonnement et pourtant je suis une ayant-droit, moi comme d’autres, je ne gagne rien de ceci et je ne veux rien en gagner d’ailleurs, en garder seul l’esprit et la filiation exemplaire d’un homme et ce cratère lunaire que vous ne pourrez pas enlever à moi et mes enfants. Il me reste ceci, c’est un miracle, me dis-je. “Il suffirait de conserver simplement ce qui intéresse la conscience”, comme l’écrivait Bioy Casares, artiste de ceux qui écrivent nos lendemains librement, pour nous pauvres publics. Cher Frédéric M., par pitié, relisez l’exposé des motifs de cette loi, relisez le rapport Olivennes, relisez ces textes absurdes qui ridiculisent la France avant d’exprimer cette urgence à “faire passer” une loi dont le seul résultat sera de massacrer la perception et l’accès à la culture que Malraux, toi, moi et les autres ont tant espéré. »

Agnès de Cayeux, artiste subventionnée

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< 5 > commentaires
écrit le < 30'07'09 > par < annick.rivoire 5Jc poptronics.fr >

Ne pas lâcher, c’est bien le but, dans cet interminable bras de fer entre les politiques, les majors et le public (les auteurs étant évidemment au milieu du gué). Merci de cette petite missive bien sentie.

D’autres idées des internautes pour "rhabiller" l’identité graphique d’Hadopi grâce au concours lancé par nos confrères de PC Inpact, et qui fait bien des émules. Allez-y voir fissa en cliquant ici-même.

écrit le < 31'07'09 > par < ana.vocera aUz emosmos.com >
où puis-je piller du agnès de cayeux .. est-elle présente sur les news groups ? es-t’elle active sur la scène hack’ ? merci si c’est le cas de nous lister des liens où trouver ses oeuvres sous label creative commons. ana.
écrit le < 31'07'09 > par < meserette pK7 yahoo.fr >
n’importe quoi
écrit le < 31'07'09 > par < karrrlo rCX gmail.com >
Hadopi, à mon avis semble être bien plus subversive qu’il n’y parait . Lutter contre le piratage des oeuvres mediatiques n’est qu’un versant de cette loi sur lesquelles tout le monde se braque. J’ai bien peur qu’il s’agit d’une loi qui favoriserait une surveillance en profondeur des "habitudes digitales" et communications des internautes . Sauf paranoia aigue de ma part , j’ai le sentiment que Nicolas Sarkozy cherche à contrecarrer, briser les mouvements alternatifs, altermondialistes, écologistes radicaux, anarchistes et autres nouveaux mouvements politiques d’opposition. internet est l’outil principal de ces groupes et réseaux. Ces mouvements indépendants sont de mieux en mieux organisés et de nombreux penseurs , intellectuels s’y rattachent au travers du monde. Avec la crise actuelle et la fracture sociale grandissante il y a de fortes chances que de plus en plus de gens vont se rattacher aux nouveaux ideaux émergeants de ces mouvements . Ces mouvements representent un reel danger politique pour le pouvoir en place en France ou en Europe bien plus que le problème des banlieues dont la droite aime tant se servir pour manipuler les opinions . Briser à temps les mouvements politiques d’opposition est je pense une préoccupation reelle de Sarkozy. il nous a déjà démontrer comment avec un talent machiavelique il a coupé les jambes et les têtes de l’opposition "officielle" du paysage politique actuel. Hadopi ne punirait pas seulement le piratage mais autoriserait la lecture des courriers électroniques des internautes, chose que je trouve bien plus grave, et chose dont on ne parle pas assez . Hadopi non seulement protègerait les majors mais aussi permettrait le contrôle des populations et donc faciliterait le maintien du pouvoir et du système économique en place. Les deux vont de paire. mes humbles petis deux centimes paranoiaques . Il semble évident qu’il faut réagir fermement contre Hadopi, la liberté d’expression et de libre pensée est cruellement mise en danger et ce qui est en jeu est de bien plus grande importance qu’il n’y parait. Il est de notre devoir pour les generations futures de protéger la liberté d’expression et de libre pensée dont internet était une belle démonstration jusqu’à peu de temps. Hadopi no pasara !
écrit le < 04'08'09 > par < simon.cussonait 9oM yahoo.fr >
tu l’as dit toi-même : "sauf paranoïa aigue de ma part"... faudrait arrêter un peu avec la théorie du complot, certes extrêmement fertile pour l’imagination !!