Le Disque dur papier, un projet de David Guez pour le premier pop’lab de poptronics, en mai 2007, est exposé à Paris en trois impressions au format A0, qui archivent la Constitution française. © DR
< 03'05'11 >
David Guez au futur antérieur
Une petite foule se pressait vendredi dernier (29/04) à la Plateforme, chouette lieu riquiqui au fin fond du 20ème à Paris, pour le vernissage du solo show de David Guez, artiste compagnon de route de poptronics. Une sorte d’anti-expo passionnante, où les dispositifs présentés produisent des émotions et des spéculations les plus diverses.
Il suffisait de se poster quelques minutes devant « Radio 2067 », en apparence simple poste téléphonique et de voir les visiteurs tourner autour un bon moment avant de se résoudre à décrocher le combiné pour déposer un message vocal dans le futur. Dans la démarche de David Guez, le souci de l’altérité le dispute à celui de la mémoire et au final, de la relation et du fantasme d’un futur dissous dans le désir du maintenant. Désir que la matérialisation du projet de « Disque dur papier » vient considérablement enrichir.
Le tout premier pop’lab de poptronics, cet espace en PDF conçu comme une passerelle entre artistes, arts, papier et écran, connaît pour la première fois une existence physique. Le « Disque dur papier », mis en ligne en mai 2007, c’est l’idée (un peu folle, mais pas tant que ça) que le papier est un support de conservation bien meilleur que le numérique. Et qu’en miniaturisant plus qu’au maximum les données informatiques sur un morceau de papier, on pourrait permettre à la mémoire des 0 et des 1 de trouver une forme de pérennité. Ainsi exposés, les exemples de Disques durs papier donnent l’impression de pouvoir, enfin !, toucher du doigt une intelligence artificielle qui nous accompagne tous les jours. En trois impressions format A0 est ainsi archivée un extrait de Wikipédia, l’encyclopédie en ligne formant trois monolithes eux aussi réceptacles de beaucoup de questions et de projections, avant les sorties A3 de l’Ancien Testament, autre « lieu » psychologique et littéraire par excellence.
Ce travail sur le temps, la mémoire et le réseau est complété par la présentation vidéo du projet in progress « Humanpédia » et celui, célèbre dans le monde entier, d’« Email 2067 » ou comment envoyer un message dans le futur. Depuis 1995, David Guez réalise en effet des projets artistiques présentés sous la forme de sites web, objets, installations, performances qui questionnent des sujets tels que les médias libres, la psychanalyse, le rapport au temps, les usages collaboratifs de l’internet, les problèmes d’identité, de pertes de liberté, les questions d’archivage…
A l’intérieur de cette exposition dénommée « Le futur nous arrive en même temps », « 2067 » forme un ensemble de propositions artistiques autour du temps, de la mémoire et de notre rapport intime et collectif à ces questions via les réseaux sociaux et les nouvelles technologies : « E-mail 2067 », le site qui permet d’envoyer un courrier électronique dans le futur à une date prévue au jour près, entre demain et le 31 décembre 2066, « Radio 2067 », un poste dont les fréquences sont occupées par une ligne temporelle pour une écoute historique de la musique de 1900 à 2011 et enfin « 2067Télécom », un réseau de cabines et de combinés téléphoniques installés dans des espaces publics, qui proposent de laisser des messages vocaux dans le futur ainsi qu’une application de géolocalisation pour téléphone portable.
« La question du temps est primordiale, autant que la vie, la mort, le rapport aux autres et à nous-mêmes. » Obsédé par la timeline du réseau, David Guez y puise une matière conceptuelle et poétique assez éloignée des pratiques de détournement et de perturbation qu’on associe souvent au net-art. Précurseur des plateformes de partage vidéo avec « Teleweb » (1999-2004) ou « TV-Art » (1999-2002), des YouTube avant l’heure destinés aux médias libres et aux vidéos d’artistes, David Guez scrute et questionne la
machine à générer du lien et du temps qu’est l’Internet. « “E-mail vers
le futur” et “2067”, explique David Guez, m’ont conduit à créer
des machines à remonter le temps conceptuelles. »
Avec « Radio2067 », un poste radio customisé, la ligne des fréquences
devient temporelle et permet d’écouter de la musique dont le spectre va de 1900 jusqu’en 2011. Ecouter la musique du passé comme on change de station… Le poste de radio est équipé d’une mémoire interne, qu’on peut
alimenter de ses propres souvenirs audio.
L’artiste est aussi un cœur d’artichaut innervant son travail de ses propres souvenirs et émotions : « Le projet “Radio2067” est tout simplement né du
souvenir d’une fille avec laquelle j’écoutais la radio le matin... J’adore les mots et l’écriture, mais aussi l’émotion que dégage la voix. Cette radio me permet de sortir du Web tout en l’utilisant. Ce qui compte au final, c’est l’autre. Mon art, c’est l’autre, et peu importe si les œuvres sont physiques ou virtuelles, il s’agit toujours de connexion ! » Avec cette radio
temporelle si poétique, David Guez réinjecte à l’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud une beauté et une immédiateté aux accents
pop. L’art surgit de l’autre et de la manière dont il s’approprie l’œuvre. En activant la molette, l’utilisateur réactive du temps et de la mémoire, qu’elle soit intime ou collective.
« Radio2067 », objet connecté et désirant, opère la balance entre le maintenant du Web et l’hier de nos souvenirs musicaux et radiophoniques et
jette un pont entre technologies du passé et du futur.
Autre déclinaison physique de « 2067 », « 2067Télécom », un réseau de cabines téléphoniques dans l’espace public, permet d’enregistrer des messages vocaux pour le futur. Une sorte d’« extension vocale de l’e-mail », selon la définition de l’artiste. Et au passage, une manière de s’emparer
de la géolocalisation, en développant une extension pour smartphone : lorsque le récepteur passe dans la zone où le message a été déposé, un fichier vocal apparaît dans son téléphone. Une bonne anticipation de ce que sera le réseau du futur et de notre place au sein de cet « objet-réseau » flottant tout autour de nous et avec lequel l’interaction sera immédiate, sans intermédiaire, pour le meilleur ou pour le pire.
benoît hické
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