Deuxième partie du journal de résidence au parc de la Poudrerie, par Jean-Philippe Renoult, artiste sonore et pop’chroniqueur, dans le cadre de Bande Originale, exploration artistique du canal de l’Ourcq (12 juillet-10 août), dont il est l’un des artistes invités.

Bande Originale, jusqu’au 10/08, programme sur le site de BO et sur le blog (poptronics-isé) AuFilDeLaBO.

Retrouvez les compositions de Jean-Philippe Renoult pour Bande Originale sur l’application SoundWays, (version internet par ici) pour smartphone Android (gratuite).

Les secrets de fabrication d’un artiste sonore, à partir des enregistrements de terrain au parc forestier de la Poudrerie, en Ile-de-France. © Julie Crenn-Collectif MU
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Journal de bord d’un chasseur sonore (2/2)

Deuxième partie du journal de résidence de Jean-Philippe Renoult, adepte de field recording (et pop’chroniqueur émérite) au parc de la Poudrerie.
Ces quelque 135 hectares entre Sevran et Vaujours ont été son atelier puis sa scène (il s’y est produit en live le 13 juillet) dans le cadre de Bande Originale, le parcours artistique autour du canal de l’Ourcq orchestré par le collectif MU cet été.


L’atelier du chasseur de sons : des hectares de nature domestiquée. © J. Crenn-Collectif MU

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De retour au pays (euh… à Paris quoi !)
Je dérushe… opération que je préfère réaliser à chaud, dans la foulée des prises de sons. Livrerai-je mon secret de fabrication ? Voici un extrait (brut, avec annotations franglaises de mon cru) du carnet de notes de mes prises de nuit après dérushage.
140523 - ORTF (prises naturalistes larges à l’aube)
 > chant 1 + crow back : beau chant presence, + crow back (6)
 > sifflets : sifflets aigu continu + crow back (7)
 > sifflet + multiple : éveil multiple, évènements en L (6)
 > marche lente : clic de portail, bris de branche light, moteur au loin, présence décroissante des birds (7)
 > lead gimmicks : (9)
 > (previous 140523_11) lead gimmick unique :
 > lead variation + coucou back : longue boucle un peu rythmique (8)
 > tic-tic + divers ev : stéréo, mvtv sons tournants (7)
 > auto sifflet JP : 1ère et dernières boucles courtes (7)
 > portail grince : portail grince + coq + marches lente (boucle ?) (8) 140523-18 PCM 120°
 > Lead gimmick 2 : forte présence (8)
 > kid bikes (5)


Décryptage :
L : left (gauche)
ORTF : type de prise de son stéréo avec un écartement de deux capsules de microphones distincts mesuré à 17cm et 110°. Le grand classique de la prise de sons inventé par l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF donc).
(≠) : le chiffre entre parenthèses correspond à une note sur 10 équivalant à la clarté supposée de l’information enregistrée. Cela dit, une note haute n’est pas forcément sélectionnée pour la composition… et inversement.
PCM 120° : un enregistreur portable de Sony, ici positionné en mode stéréo avec un écartement de capsules à 120°. Je laisse tourner l’enregistrement en roue libre –hors de ma présence et de mon contrôle. Ça s’appelle un piège à sons. C’est bien utile quand il s’agit d’enregistrer des espèces que l’on peut difficilement approcher.

Sons perméables
Le Parc Forestier de la Poudrerie a les atours étranges d’une nature construite sur des reliquats de l’industrie. C’est une nature non-naturelle. J’entends le faire paraître dans ma réalisation par divers stratagèmes techniques et électroniques.


Le pavillon Maurouard au cœur du parc forestier de la Poudrerie, là où se préparait la poudre à canons. © JP Corre-Collectif MU

Comme la composition est destinée à être écoutée avec un casque ouvert en géolocalisation spatialisée à l’endroit-même où j’ai recueilli mes sons, j’accentue la perméabilité aux sonorités ambiantes du parc lui-même. Le spectre dynamique est large. J’insère des respirations, des silences, en gardant à l’esprit que l’écoute sera nourrie en retour. C’est un feedback organique, sans bruit et sans fureurs électriques. J’opte ensuite pour une composition en quatre parties, soit quatre situations qui explorent la dichotomie entre le son réel et le son fixé.

Un jeu de miroirs en trompe-l’oreille
Je ralentis légèrement la cadence ou la tonalité du chant des oiseaux. La différence est peu perceptible dans les murs du studio, mais en extérieur se crée un fin déphasage entre la nature enregistrée et la nature vivante.
Parfois, dans une approche plus radicale, je ralentis à l’extrême certains sons courts, percussifs, sifflants, industriels. C’est un procédé de « pitch ».


Exercices de frottements et de percussions sur la matière résonnante de métal, parc de la Poudrerie, avril 2014. © Julie Crenn-Collectif MU

Ils sont nombreux les logiciels et plug-ins adaptés à ce type de transformation sur les stations de travail en musique électronique. Cependant il en est un qui n’a pas survécu à l’obsolescence programmée des machines et que je souhaite particulièrement utiliser. Paul Stretch est un logiciel open source qui n’a pas dépassé la version pour OS 10.6 d’Apple. Impossible de le faire tourner sur une machine récente. Un linuxien de mes amis m’a proposé de le réécrire pour mon ordinateur. Chose qu’il fera partiellement, sans toutefois émuler toutes les possibilités de filtrage et d’harmonisation offertes par l’algorithme original.
Je dois donc me rabattre sur un « vieux » Mac pour faire fonctionner le logiciel, sans réussir à le faire dialoguer directement avec l’ordinateur principal. Mon travail s’en trouve étrangement ralenti. Il me faut constituer une base de sons que je traite individuellement.
Je les empile ensuite dans un jeu d’harmonies indépendant du travail fixé sur l’ordinateur principal. L’opération est en fait très stimulante. Elle s’apparente au collage, comme un travail à même la bande d’un magnétophone, puis d’un autre, avant de recouper la somme des opérations sur une nouvelle machine…
C’est un travail électroacoustique à l’ancienne ! Au même titre que le Parc de la Poudrerie s’établit sur des restes industriels, ma composition se développe à l’aide de vestiges technologiques. Je réveille l’histoire !
Ma composition pour BO mixe quatre matériaux différents, tous issus du Parc forestier de la Poudrerie :
 > Des sons strictement naturalistes, principalement d’oiseaux.
 > Des field recordings ouverts sur l’activité humaine : conversations lointaines, bruits de circulation, RER, vélo, brouette…
 > Des rythmes joués sur place à l’aide de la matière présente (bento box, pièce de métal, bite d’amarrage)
 > Des pitchs et transformations électroacoustiques de ces éléments.

L’Oiseau Siffle Avec ses Doigts : une BO d’un siècle passé
Je pense à nommer la composition « Touche pas à mon Oiseau ». Je ne suis pas pas sûr d’aimer ce titre plus que ça… surtout quand, dans les greniers du Web, je trouve une étonnante chanson interprétée par le célèbre acteur et humoriste vieille France Fernandel, la bien nommée « Si tu touches à mon oiseau ».
Le refrain est stupéfiant de sous-entendus :
« Si tu touches à mon oiseau / N’oublie pas d’être gentille / Tu sais bien que mon oiseau / Aime les petites filles / Si tu touches à mon oiseau / Donne-lui de ta tendresse / Il te montrera bientôt / Qu’il adore les caresses »
Le reste de la chanson est aussi éloquent. Gare aux « petites filles » non averties !!! Je botte en touche et trouve un titre plus parlant.
« L’Oiseau Siffle Avec ses Doigts » Voilà, c’est mon titre. Il vient de loin…
Initialement, « Les oiseaux chantent avec les doigts » est une phrase inscrite par Apollinaire sur une aquarelle qu’il a peinte pour Picasso en 1916. Le poète écrit cette même phrase dans une lettre à son ami Jean Cocteau, qui la cite dans « Opium Journal d’une désintoxication » en 1930. Cocteau la reprend ensuite à son compte sous une forme au singulier et la donne à entendre à plusieurs reprises, à travers un poste de radio, dans son film « Orphée » en 1950.
Puis c’est en 1976 au Pakistan qu’apparaît dans le premier film du metteur en scène Jamil Dehlavi, « Tower of Silence », la phrase « L’oiseau chante avec ses doigts », en version originale « The bird sings with its fingertips ».

« L’Oiseau Siffle Avec ses Doigts », Jean-Philippe Renoult, 3e partie, 2014 :

En 2014, j’intitule ma composition réalisée à partir d’enregistrements sonores de la faune ornithologique du parc de la Poudrerie « L’Oiseau siffle avec ses doigts »… Une célébration du quasi centenaire de cette petite phrase énigmatique et de ses transformations sur quatre époques…

« L’Oiseau siffle avec ses doigts » live, Jean-Philippe Renoult, pavillon Maurouard, parc de la Poudrerie, 13/07/14 :

jean-philippe renoult 

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