« L’Argent », exposition au Plateau/Frac Ile-de-France, 33, rue des Alouettes, Paris 19ème, jusqu’au 17/08.

Evénements dans le cadre de l’exposition : Ce samedi 5/07, table ronde « L’argent pas Net », proposition de Poptronics.fr, de 16h à 18h, avec David Guez et Martin Le Chevallier ;
le 6/07 à 18h, visite guidée de l’exposition avec Caroline Bourgeois et Elisabeth Lebovici, commissaires ;
le 10/07 à 19h30, conférence de la Biennale de Paris (avec François Deck, Jean-Baptiste Farkas, Alexandre Gurita, Francesco Masci, Ghislain Mollet-Viéville, Sylvain Soussan, Jacques Salomon, Olivier Stévenart et Liliane Viala) ;
deux performances de Cesare Pietroiusti pour finir, le 18/07 à 19h30, « Donner à l’artiste un billet d’une valeur minimum de 20 euros, il le traitera avec de l’acide sulfurique et te le rendra avec un certificat », Au Plateau, et le 19/07 à partir de 15h30, « Regarder et garder l’argent / Money watching », chez Kill the DJ , 2 rue Franche-Comté, Paris 3ème.

« Sans titre (Mastercard) » (1986-1987), du collectif canadien General Idea
< 02'07'08 >
L’argent sur un Plateau

A l’entrée « Argent », Flaubert, dans son « Dictionnaire des idées reçues », accumule toutes sortes de désignations et d’usages du terme selon les classes sociales de ce XIXe siècle bourgeois au capitalisme industriel et financier conquérant : « Les ministres le nomment traitement, les notaires émoluements, les médecins honoraires, les employés appointements, les ouvriers salaires, les domestiques gages. » Et les artistes ? Quelle est la nature de l’échange ? Quel en est le nom ? Et avec qui ?

Dans leur présentation de l’exposition « L’Argent », qui vient d’ouvrir au Plateau/Frac Ile-de-France, les deux commissaires, Caroline Bourgeois et Elisabeth Lebovici (par ailleurs membre fondatrice de poptronics) rappellent en préambule, en background, une transaction restée célèbre dans l’histoire de l’art moderne, celle de « L’Asperge » d’Edouard Manet. Le commanditaire Charles Ephressi ayant payé plus cher le tableau « Une botte d’asperges », Manet, pour « rétablir » le « juste prix », peint, en supplément, une asperge, nature morte unique, valeur ajoutée en quelque sorte…

Liaisons ambiguës

Valeur esthétique/valeur financière : les liaisons sont ambiguës, le thème profus des relations entre l’art et l’argent, entre les artistes et les matériaux fiduciaires induisent désormais et aujourd’hui une infinité de transactions et de formes. Au Plateau, la proposition a, à la fois, la forme de l’inventaire contemporain autour du motif monétaire, et se concentre sur une période charnière, une période de basculement, liée (pour faire vite) aux transformations du capitalisme et des mouvements boursiers à la fin du XXe siècle : les années 70-80. Crise pétrolière et financière, mutations d’une société de biens industriels vers un monde des biens immatériels de la communication.

Ainsi le parcours pose une série d’interrogations : comment un certain nombre d’artistes contemporains ont travaillé, dans ce nouveau paysage, avec la matière argent (le billet, la pièce de monnaie, la carte bancaire) ou avec ce qu’elle génère (le luxe, les fluctuations boursières, la publicité) ? Comment l’argent est aussi un motif à l’œuvre ? Ou comment est-il concept dans/de l’œuvre ? Comment certains artistes, enfin, ont détourné les processus et stratégies des échanges financiers et commerciaux ? Comment d’autres ont travaillé avec les lieux même de la transaction (le magasin, l’agence commerciale, la galerie, la foire) ? Comment, encore, certains artistes ont-ils déconstruit les notions d’auteur et de propriétaire ? Inventaire, donc. Inventaire ouvert.

L’acte inaugural : Orlan

Fiac 1977 : « Le Baiser de l’artiste ». Orlan vend au chaland/visiteur/acheteur de la foire internationale un baiser. Pas n’importe lequel (mais peut-être que si !). Un baiser de l’artiste. Pas cher le baiser. 5 francs de l’époque. « Un vrai baiser d’artiste. Un vrai de vrai. En direct du consommateur au producteur », lance Orlan, dont le corps est caché derrière l’image d’un buste nu… Il n’y a qu’à glisser la pièce… Argent, commerce, sexe. Un trio corrosif où le corps de l’artiste se fait valeur d’échange et valeur d’usage. La harangue d’Orlan parcourt tout l’espace sonore de l’exposition pour nous rappeler, à chaque instant, que nous sommes bien dans le monde dominant du marché ou que l’art est définivement partie prenante et intégrante du marché. Le « nouveau monde » peut commencer !

Nouvelles économies, nouveaux échanges, nouveaux propriétaires

Alors, si le travail de l’artiste produit un bien marchand, un bien-œuvre, des économies s’instaurent (qui sont l’œuvre), avec ses protagonistes. Gilles Mahé dans les années 80-90, poussant l’ironie et le regard critique à l’égard du système marchand et de la galerie, crée un magasin de produits exotiques, « Chinatown » (1975), ou « Art/Gens dans le cadre de l’exposition « Art&Pub » au Centre Pompidou (1990-1991). Ou sous la forme de l’entreprise « Gilles Mahé&Associés S.A. », édite trente numéros d’une revue « Gratuit » qui demande une recherche constante d’annonceurs. L’artiste conçoit graphiquement la revue et décide du prix des espaces publicitaires. Dans cette économie de la gratuité, il estime seul la valeur de l’objet produit. Contestation du marché… Et pourtant, aujourd’hui, ce principe de la gratuité a été dévoyé par les « gratuits ». L’artiste anticipe, la société le rattrape et fait rentrer dans le rang !

Autre proposition, celle faite par le collectif IFP (Information Fiction Publicité) qui réunit en 1983 Philippe Thomas, Jean-François Brun et Dominique Pascalini. Toujours ces années 80 qui plongent dans le tout publicitaire. Les trois « associés » s’emparent de cette esthétique nouvelle pour réinterroger les statuts de l’œuvre d’art, ce qu’est l’artiste, comment est diffusée l’œuvre, comment elle est désormais perçue.

Philippe Thomas, seul, va radicaliser sa démarche en créant L’Agence Les Ready-made n’appartiennent à personne®. Il ne se veut qu’agent entre une œuvre possible et un acquéreur. Le concept fait l’œuvre : c’est parce que l’acheteur va signer que l’œuvre devient œuvre, et que l’acheteur devient le seul auteur. Un monde fictionnel se crée où l’artiste disparaît, dans des espaces en attente. Toute la « chaîne » artistique est ici déconstruite : la production de l’œuvre, le musée, le critique d’art, le catalogue…

Une des pièces importantes de l’exposition, avec la présence de « L’Agence » de Philippe Thomas, est la « boutique » de General Idea. Prenant acte de la marchandisation des formes artistiques, le collectif canadien utilisait tous les médiums de la communication publicitaire : annonces, flyers, blasons, affiches. Et en faisait l’exposition : le matériau publicitaire comme art. Avec les « Pastapaintings » de 1985, c’est le design de la carte bancaire qui devient matière et motif picturaux… L’argent comme motif.

Les paysages monétaires

En 1969, l’artiste conceptuel canadien Iain Baxter produit « Suite of Canadian Landscapes ». Il encadre de la façon la plus classique huit billets de banque de 100 dollars canadiens. Mais la marquise ne laisse voir au visiteur que les tracés d’un paysage. L’inscription de la valeur a disparu. Qu’est-ce qu’un billet ? Que vaut la série ainsi constituée ? Le collectionneur, puisque collectionneur il y a, avait acheté les billets. L’argent devient œuvre parce qu’il est mis en situation dans l’espace d’exposition ou dans l’espace muséal. Ready-made en série… Voir la « pièce » de Zoé Leonard qui accroche 100 billets de 1 dollar usagés, avec des inscriptions manuscrites qui racontent des histoires, des moments de vie. Ou le travail photographique de Moyra Davey sur le portrait de Lincoln gravé, « Copperheads ».

« L’Argent », ou plutôt « Money », le mot martèle l’exposition, depuis la voix d’Orlan jusqu’aux questions de Sophie Calle, et à la chanson du « Ballet mécanique » infernal et drôle de Malachi Farrell. L’argent a envahi l’art et comme l’ensemble des activités du monde global comme le signale l’installation-mappemonde de Société Réaliste, « Marka ».

En plusieurs points du parcours sont disposés des distributeurs automatiques. Il faut mettre 2 euros pour faire descendre un blister à l’intérieur duquel de petites pilules vous promettent de l’art. Ce sont les interventions discrètes mais efficaces de Dana Wyse. Le visiteur est-il choqué de l’entrée de l’argent dans l’un des « temples » de l’art ? Question majeure à laquelle l’exposition donne quelques « instruments » de réflexion et de critique. Voilà une exposition réaliste !

marjorie micucci-zaguedoun 

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< 1 > commentaire
écrit le < 04'07'08 > par < abel.a75 LcL gmail.com >

Pourquoi le visiteur serait-il choqué ? Après tout l’art et l’argent ont toujours fait bon ménage, non ?

Il revient à une certaine modernité (celle des avant-gardes, trempées jusqu’au cou dans le politique, version lutte des classes) d’avoir voulu récuser l’art comme valeur d’échange.

A ce jeu, les seules positions valables à mon sens sont celles des "artistes sans oeuvre". (les situs l’étaient, à leur façon).

Tout le reste est commercialisable, et d’ailleurs on ne s’en prive pas. Ni les artistes (il faut bien vivre), ni les marchands (idem).