« Arctic Conquistadors », installation interactive d’Olga Kisseleva dans le cadre de « Mind the Map ! », exposition du Barents Spektakel, à Kirkenes, Norvège, du 2 au 6/02/11.
La carte des "Conquistadors" du grand Nord selon Olga Kisseleva. © DR
< 22'02'11 >
La conquête de l’Arctique par Olga Kisseleva
(Kirkenes, correspondance) « Mind the Map ! » Attention à la carte, prévient le titre de l’exposition d’art contemporain du Barents Spektakel, sans doute le festival le plus au Nord de toutes les cartes. Il se tient chaque année à Kirkenes, petite ville de Norvège à proximité de la frontière russe et de la mer des Barents. Au début février, le centre d’art Pike Pa Braoen (les Filles sur le pont), à l’origine du festival, y proposait un cocktail de politique et de culture, dynamitant la question des frontières, réelles comme artistiques. Au programme : des conférences sur l’avenir de l’Arctique, des concerts, des performances croisées, et l’exposition « Mind the map », placée au cœur du centre commercial de Kirkenes. Manière de rendre palpable et immédiat le contexte de globalisation. Car la conquête de l’Arctique a commencé. Tôt ou tard, elle viendra bouleverser l’ordinaire des vies. Ce que souligne la version « polaire » de l’installation numérique « Conquistadores » (2007) d’Olga Kisseleva, « Arctic Conquistadors », qui met en perspective les conflits économiques possibles de ce nouvel Eldorado. Le nouveau partage du monde Sur l’écran, une carte de l’Arctique, plus précisément de la région des Barents, qui comprend une partie de la Norvège, de la Russie, de la Suède et de la Finlande. Des logos de groupes majoritairement pétroliers comme Shell, Esso, Total, Tschudi, y apparaissent au fur et à mesure. « Avec l’équipe de chercheurs du centre Arts et Sciences de la Sorbonne, explique Olga Kisseleva, on a construit un programme qui analyse les situations en temps réel et qui fait apparaître les entreprises sur la carte de l’Arctique là où elles sont en train de s’implanter. » Le rythme s’accélère, les logos se superposent de plus en plus vite, s’empilent, s’amassent jusqu’à déborder de l’écran. « Le programme se met à délirer tout seul, poursuit l’artiste russe qui vit à Paris. A la fin, ça explose, ça ne devient plus supportable. » Est-ce une mise en garde contre les risques qui guettent cette région riche en réserves de pétrole (une des premières au monde) et encore peu exploitée ? « On a eu des guerres de religion, des guerres d’empires, des guerres politiques, justifie Olga. Aujourd’hui, on assiste à la guerre des marchés entre multinationales. Tous les problèmes politiques découlent de ce nouveau partage du monde. » Parce que pour la plupart d’entre nous, l’Arctique ne reste qu’une idée, se décrit essentiellement par des mots comme froid, isolation, inhabité, et fait naître dans l’imaginaire des aurores boréales, il apparaît urgent pour Olga Kisseleva de montrer le nouveau visage de l’Arctique : importants gisements de pétrole, minerais, nouveaux couloirs de circulation dûs au réchauffement climatique… un nouvel Eldorado en quelque sorte. D’ici quelques années, ce territoire encore vierge pourrait lui aussi être dévasté. D’où l’alarme que tire Olga Kisseleva au travers de son installation politique « Arctic Conquistadors », un vrai outil politique. C’est la mission des artistes de rendre le monde meilleur en corrigeant ce qui n’est pas juste, estime-t-elle. « Comme l’artiste opère dans l’émotionnel, il a le pouvoir d’influencer les esprits. Et quand les opinions s’opposent aux décisions des acteurs économiques, parfois ça marche, on peut changer les choses. » Olga Kisseleva serait-elle une artiste engagée pour la cause arctique ? « Je suis originaire de la Russie, propriétaire à plus de 50% de l’Arctique, je me sens responsable. » Olga Kisseleva l’a déjà prouvé. En 2002, l’artiste avait pris part à une expédition scientifique pour « Hybrid Space », une exposition personnelle au Musée national de l’Arctique et de l’Antarctique à Saint-Petersbourg. Olga Kisseleva y dénonçait la représentation de ce territoire dans l’idéologie soviétique. Avec « Artic Conquistadors », elle va plus loin. Elle inscrit le territoire dans le temps de l’économie. A nous d’en arrêter la course.
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