Les 24 et 25/03, de 15h à 18h, au Jardin C, La Fabrique, 62 bd de la Prairie-au-Duc, Nantes, sur inscription (info@mire-exp.org), 5€, gratuit pour les adhérents.
Vive le jardinage libre ! Des graines libres de droit, un jardin partagé… L’utopie gagne la terre du côté de Nantes qui fête ce week-end l’équinoxe façon expérimentale. « Semer ! », c’est le nom du programme concocté par l’équipe de l’association Mire, en charge du Jardin C de la Fabrique, qui propose d’explorer les friches de l’Île de Nantes pour récolter des semences gratuites et libres de droits samedi 24 mars (de 15 à 18h), avant de les planter le lendemain après-midi sur le site expérimental jouxtant la Fabrique. Et parce que Mire est à l’origine dédiée au cinéma expérimental, cette fête de printemps sera aussi l’occasion de projections (« Délaissé » de Marie Tavernier ce jeudi) et d’une performance samedi soir de Thomas Chatard et Antoine Ledroit.
Ils sont fous ces Nantais ? Pas tant que ça… Tout est possible à Nantes, capitale verte européenne 2013 qui a tout d’un laboratoire à ciel ouvert d’expérimentations écolo tous azimuts. La ville a tourné le dos à son passé industriel en misant sur la rénovation urbaine durable et la culture. Au-delà des politiques locales, c’est tout un tissu social d’artistes, d’associations et de designers qui participent à ce mélange d’urbagriculture, de dépollution, de réduction des gaz à effet de serre et d’utopies environnementales. Petite plongée in situ.
Ils n’y prêtent même plus attention, pourtant le ciel bourdonne en permanence du passage des avions. Mais loin de critiquer cette nuisance, les Nantais sont nombreux à s’opposer à la création du nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui soignerait leurs oreilles. C’est la grande lutte écolo dans
l’Ouest et rien d’étonnant à cela : d’abord, l’aéroport actuel est loin d’être saturé mais surtout, ici, on est mobilisé de longue date face à un environnement qui se dégrade (les marées noires et autres algues vertes ne sont pas loin).
La Ville mène un ambitieux Plan climat de réduction des gaz à effet de serre, entretenant par exemple les quelque 3 300 hectares d’espaces verts (l’équivalent de 57m2 par habitant) sans recours à des produits polluants. À Nantes, première agglomération française à avoir réhabilité son tramway (en 1985), les transports en commun font la loi (bus, tram), on circule depuis trois ans et demi en Bicloo (le Vélib’ local) et de rares bateaux taxis ont fait leur réapparition sur la Loire. L’agglomération se targue d’abriter quatre zones classées Natura 2000 – dont une zone naturelle sauvage unique en Europe en zone urbaine – et 15 000 hectares d’espaces agricoles.
L’île à l’arbre mécanique
Les initiatives publiques s’affichent, les associations pullulent et c’est logiquement que la métropole bretonne a candidaté au titre de capitale verte européenne 2013. Qu’elle a décroché. En regardant de plus près, on découvre une kyrielle de cabinets d’architectes (Metalobil, Phytolab…) dont le regard porte résolument vers un urbanisme réputé plus vert, plus soucieux de sortir du tout-bâti. Sur l’Île de Nantes, l’un des projets de rénovation urbaine les plus importants de France (avec Lyon Confluence et l’île Seguin de Boulogne-Billancourt), on est d’ailleurs accueilli… par un arbre mécanique, juste devant l’éléphant qui fait la fierté des Machines, nouveau lieu emblématique de ce que la mairie appelle « le Nantes de demain ».
Au milieu des grues et des terrains en friche, les espaces verts sont pourtant rares. Miles McKane a réussi à en préserver un, minuscule dans cette emprise de 340 hectares, partie prenante de La Fabrique, le tout
nouveau complexe culturel inauguré cet automne. Baptisé Jardin C, il est installé à l’emplacement du troisième bâtiment de la Fabrique, dont la construction est en
suspens pour cause… d’explosion de budget.
Miles McKane et l’association Mire, dont il est le directeur artistique, se sont empressés de proposer un plan d’occupation temporaire. « Nous travaillons depuis huit ans sur ce site industriel en friche, une ancienne fabrique de glaces. Le projet, très en lien avec le post-industriel, a évidemment évolué, on se retrouve aujourd’hui avec seulement 250 m2 de jardin et un bâti autour de nous très neuf ! Mais nous sommes restés sur notre idée de départ : faire du jardin une zone intermédiaire, un espace qui soit ouvert et perméable », raconte ce Néo-Zélandais au regard perçant, pendant que deux membres de Mire s’affairent pelles et brouettes en main devant d’énormes monticules de terreau.
Censés s’installer pour cinq ans, les promoteurs du Jardin C ont choisi de ne pas « correspondre aux codes habituels des programmes culturels » : « Nous voulons penser ce jardin comme un lieu artistique, social, et de recherche, en rendant visible le processus de création, résume-t-il. Notre souhait, c’est qu’il devienne un lieu de croisement de pratiques et de publics. Nous avons donc associé l’idée du jardinage pour que dans cet espace travaillent côte à côte des artistes, qui feront ici des résidences plutôt inhabituelles pour eux, et des jardiniers. C’est une manière homéopathique de faire que les gens aient moins peur de l’expérimental. Si on avait tout de suite mis en place des activités expérimentales ou multimédia, ça n’aurait pas attiré les gens. Aujourd’hui, les gens s’arrêtent, questionnent. L’échange est déjà là. »
Suivre le calendrier naturel
Trois semaines après l’inauguration de la Fabrique à la fin septembre, le jardin était autant en chantier que le reste de l’île : entouré de chevaux de frise, des sacs noirs remplis de terre, dont commence à s’échapper de l’herbe verte, masquaient aux regards le container où est rangé le matériel de jardinage. Toujours avec cette idée de transversalité, l’habillage a été confié au jeune architecte Julien Perraud (Raum Architectes) et au paysagiste Matthieu Picot (Campo) au cours d’un premier atelier baptisé « Milieux hostiles ».
Car le projet des quatre membres de Mire est clairement expérimental. « Nous allons avancer à coup d’ateliers. “Marges propices” débute sur du très théorique (Est-ce qu’on divise le jardin en parcelles ? Crée-t-on des allées ? Que faire de la dalle de béton ?) pour finir avec tout le monde au travail, les mains dans la terre. Notre programme d’événements est, lui, fonction du calendrier naturel. On a aussi travaillé sur le concept de nouvelle lune, avec des projets en soirée (des projections de films expérimentaux) et au moment des équinoxes. »
En résidence, les Nantais Antoine Ledroit et Thomas Chatard travaillent sur l’enfouissement des films et sont très intéressés par les réactions qu’il pourrait y avoir au contact des métaux lourds présents dans le sol : [ce jeudi 22/03, une performance clôt cette résidence avec la projection de leur film « Sans titre. 24xH2O »]. D’autres artistes, qui travaillent sur le développement de films avec une chimie naturelle (marc de café, jus d’oignon…), sont attendus dans la foulée.
Ancien des squats parisiens et artiste land art, Miles McKane ne voit rien d’incongru à se retrouver jardinier : « Depuis l’après-guerre au moins, l’art contemporain utilise les restes, les déchets. Il y a aussi cette culture de la récupération qu’on a connue dans les squats. Il n’y a rien d’étrange à venir du cinéma expérimental pour faire un jardin. Ces problématiques vertes, on les connaît dans le cinéma. C’est de l’argentique, il y a de la chimie. C’est finalement une industrie du XIXe qui est en train de mourir sur ce support. Après, l’alternative numérique n’est pas plus verte, sa pollution est moins visible mais existe bel et bien. »
Le « kit de survie » Ekovores
Le numérique, l’agence Faltazi est née
dedans. Pionniers du prototypage rapide avec
Monsieur Faltazi il y a déjà dix ans, Laurent Lebot et Victor Massip sont des designers pas tout à fait comme les autres. Faltazi dessine régulièrement aspirateurs et autres fers à repasser pour de grandes marques d’électroménager, mais ces deux moulins à parole ont une vision de leur métier nettement plus extensive, et militante. Après Ekokook en 2009, une cuisine écolo pensée pour la gestion optimale des déchets, ils ont présenté à la rentrée 2011 le projet Ekovores, qui pourrait faire date.
Les Ekovores imaginent la ville de demain, fondée sur la gestion des ressources (et des déchets) et une agriculture qui généralise le circuit court entre producteurs de légumes et « mangeurs » – le mot consommateur n’appartient pas au vocabulaire de ces deux diplômés de l’Ensci, l’école parisienne de design industriel. « L’urbain est aujourd’hui déconnecté de la campagne. L’idée, c’est de recréer des échanges avec la campagne avec les ceintures vertes et de sortir de l’agriculture pétrole (celle qui utilise pesticides et engrais et nécessite de longs et polluants transports, ndlr) avec un kit de survie fondé sur le circuit court entre le producteur et le mangeur », résume Laurent Lebot.
Ekovores - L’économie circulaire :
Ekovores a mobilisé une équipe de quatre personnes pendant dix-huit mois, défrichant par étapes la problématique de la crise alimentaire annoncée. « Ça fait partie de ce qu’on s’offre grâce à notre travail sur les aspirateurs !, sourit Victor Massip. On a commencé par six mois d’analyse de contexte. On a d’abord regardé du côté des tours végétales par exemple, avant de se rendre compte qu’elles étaient très consommatrices d’énergie. On s’est donc plutôt intéressés à la ceinture verte autour des villes : pour se nourrir, se tourner vers la périphérie immédiate. »
« On était balbutiants sur l’agronomie, reprend son comparse. On a tâtonné et construit le sujet en convoquant un petit comité d’experts (ingénieurs agronomes, agriculteurs, maraîchers bios…). Tous les mois, on faisait une présentation de nos travaux pour les faire réagir et retirer du projet ce qui leur semblait trop fantaisiste ou inadapté. Sans parler des conférences et des films qu’on a dévorés, ou de l’émission “Terre à Terre” sur France Culture. Et évidemment, on a beaucoup lu. »
« Créer de l’image mentale »
Loin d’être utopique et encore moins hurluberlu, Ekovores s’appuie sur cette solide expertise et des travaux d’agronomes reconnus. Il se présente sous la forme d’une série de vidéos en ligne à la fois drôles et pédagos, qui déclinent tous les changements induits par l’arrivée de « l’urbagriculture ». « On pratique depuis des années le design industriel pur et dur au contact d’industriels… purs et durs. On a donc utilisé leurs outils formels et détourné les méthodes marketing qu’ils apprennent dans les écoles de commerce pour super-consumériser la planète au service d’une cause plus saine : rendre compréhensible et visible un futur écologiste, justifient les deux quadras. Et surtout, par un effet de contournement, les mettre à disposition du public et des politiques à six mois de la présidentielle. »
Dans cette quarantaine de minutes d’images, les (bonnes) idées fusent : des jardins potagers flottants en bord de Loire, des poulaillers urbains pour fournir les œufs, des ruches citadines pour le miel, jusqu’aux toilettes sèches publiques à compost… Pas si utopique que ça à Nantes, où l’association Compostri a déjà installé 25 composteurs de quartier, ouverts à heures fixes et dont l’équilibre entre carbone et azote est contrôlé.
« On a voulu civiliser les produits pour faire sauter les blocages. Aujourd’hui, l’écologie est considérée comme quelque chose de trop contraignant, de moins confortable, reprend Laurent Lebot. Tous les objets liés à l’environnement sont de l’ordre du bricolage : ils manquent d’attractivité, d’accroche au niveau de l’œil. Par exemple, les toilettes sèches : les gens sont attirés par l’usage, mais le côté quatre planches branlantes et une bassine, il n’y a que les militants écolos qui ne sont pas effrayés ! Nous, nous voulons toucher Monsieur Tout-le-monde, l’engager à rêver de cet usage, en faisant des toilettes sèches un objet de séduction. »
« Idem pour le poulailler urbain, reprend-il, qui a une force symbolique pour engager une forme de curiosité. C’est un totem : il entre dans la ville comme une sorte d’œuvre d’art, avec une fonction qui a du sens. On est rompu à l’exercice de l’usage des signes pour créer de l’image mentale. Un mot-clé c’est une entrée pour recréer de l’image, la mémorisation d’un geste ou d’un produit. On a simplement créé des portes pour qu’il soit plus facile d’entrer dans ce monde écologique. Un designer a de multiples compétences, mais aujourd’hui on l’utilise comme simple habilleur, comme enveloppeur de matériel technique. Notre métier est beaucoup plus fin que ça ! »
De l’urbapiculteur à l’ambassatrice
Le projet Ekovores est à ce titre exemplaire : tous les équipements et les modes de transports sont prévus, toute la filière pensée, de la généralisation des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), pour lesquelles Faltazi a pensé des modules mobiles de distribution de légumes, histoire de recréer de l’échange entre agriculteurs et mangeurs, aux légumeries qui viennent se greffer sur les cuisines des cantines scolaires, en passant par un très ingénieux système de récupération des eaux de pluie.
« On ne voulait pas travailler que sur le neuf : ce n’est que 1% du renouvellement du bâti chaque année. Si on veut réduire les émissions de carbone rapidement, il faut penser des équipements qui peuvent venir s’apposer sur de l’ancien comme des greffes. » Le volet emploi n’est pas oublié non plus, avec une liste des nouveaux métiers créés par ce retour à l’agriculture locale : urbapiculteur, ambassatrice, amapeur, soupier, phytodoc, maître composteur…
Ekovores - Les métiers : les discrets
« Ce projet, qui bouscule deux gros systèmes en place (la grande distribution et la filière déchets) est réalisable : au Japon, la filière courte c’est 25% du marché pour 0,5% ici, rappelle Victor Massip. Et les agronomes assurent qu’on pourra nourrir toute la planète de cette façon. Avec l’agriculture pétrole, Paris n’a aujourd’hui que trois jours de réserves… »
« On voulait un lien avec la ville, reprend Laurent Lebot, avec des objets de production en ville pour la pédagogie, des serres maraîchères… Il y a 5000 hectares de friches disponibles sur la métropole nantaise, qui sont laissées à la spéculation foncière. Nous voulons mettre du vert et de la vie dans les rues. Nantes est une ville fluviale avec un fleuve fantôme. À force de comblements, la Loire a été bouchée alors qu’au début des années 1920, on surnommait la ville “la petite Venise de l’Ouest” : l’île de Nantes était alors composée de douze îlots, la Loire était pleine de bateaux-taxis. Il y avait une vraie vie du fleuve qu’on veut lui redonner en l’habillant de jardins familiaux flottants, en allant au-delà de la simple végétalisation. »
« Le retour à l’hippomobile »
« On met nos capacités de designers industriels au profit d’une économie verte pour redessiner une ville et ses équipements dans une perspective de développement durable. On a encore pas mal de travail, notamment tous les modes de transports à dessiner : on prône la démotorisation, le retour à l’hippomobile et le low-tech, sans pour autant s’interdire des greffes électroniques. Parce qu’on n’est pas du tout des anti-électroniques », concluent-ils.
Pour l’heure, Ekovores est encore à l’état de projet : les plans existent, reste à trouver des financements. Mais « ça commence à bouger de ce côté-là : Nantes, capitale verte européenne 2013, a besoin de contenus ». Et la Ville a déjà pris contact avec les deux designers. Comme le dit Miles McKane depuis son jardin expérimental : « C’est sans doute l’héritage des Allumées, toute cette bande devenue l’équipe du Lieu Unique et de Voyage à Nantes. Ici, on peut avoir des idées assez décalées et s’entendre dire oui par les institutions. La Ville est à l’aise avec des gens créatifs. »