Premier hack des Yes Men par des activistes libéraux.
Les Yes Men à Washington, piégés par des activistes de droite... © DR
< 23'07'07 >
Les Yes Men piégés par des activistes de droite
À première vue, l’histoire rappelle indéniablement l’arroseur arrosé. C’est le risque encouru par tout hoaxer téméraire : se faire piéger par celui qu’on pensait mystifier. Les Yes Men, après leur canular d’anthologie contre Exxon Mobil, ont été démasqués le 11 juillet dernier à Washington DC par des activistes néo-libéraux se revendiquant du « guerilla activism ». Depuis plusieurs jours, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno enchaînaient les rendez-vous auprès des plus grands think-tanks néo-libéraux de la capitale fédérale américaine pour leur prochain film (qui devrait sortir l’an prochain). A la sortie d’un bureau les attendaient des activistes libertariens de Bureaucrash, accompagnés de leurs amis français de la BAF (la Brigade de l’Argent des Français). Les deux premiers jours de fausses interviews s’étaient déroulés sans encombre. Les Yes Men, qui se présentaient comme des documentaristes chargés par un riche mécène de produire une suite aux célèbres reportages « Free to Choose » de feu Milton Friedman, avaient obtenu de rencontrer les principaux lobbies ultra-libéraux, notamment le Competitive Enterprise Institute, think-tank néo-libéral créé en 1984. Au troisième jour cependant, le 11 juillet, les dirigeants du CATO Institute qui avaient été prévenus de la véritable identité de leurs interlocuteurs, firent longuement patienter leurs hôtes avant de leur demander de quitter les lieux. A la sortie du bâtiment, les Yes Men étaient attendus caméra au poing par un petit groupe de personnes lookées Village People, s’autoproclamant No Men (ah, ah, ah !) qui les aspergèrent de paillettes colorées en déclarant : « Vous n’êtes plus socialistes à présent, vous voici libres et capitalistes ! » Fondé en 1977 par Edward H. Crane pour appuyer la révolution libérale engagée par Ronald Reagan, le CATO Institute (22 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2005, 100 salariés et autant de chercheurs et d’universitaires) est célèbre pour ses pamphlets libertariens prônant la disparition de l’État et l’organisation de la société suivant l’unique règle du libre marché. Derrière ses grandes déclarations en faveur de la liberté individuelle, de la libération des femmes et des Noirs, ledit institut place sur un pied d’égalité la question du dénigrement systématique des immigrés et le discrédit public qui est censé affecter les riches… « C’est de bonne guerre » Interrogé par poptronics, Andy Bichlbaum semble s’amuser de la mésaventure. « C’est de bonne guerre, et cela vaut pour toutes les fois où de fiers justiciers se sont précipités à la tribune d’un grand séminaire pour interrompre un authentique orateur aux propos surréalistes pensant injustement avoir affaire aux Yes Men ! » Le prix de la notoriété ? « Peut-être… Nous n’avons pas chômé au cours des deux dernières années, et le canular contre Exxon à Calgary est sans doute encore très frais dans la mémoire des dirigeants de certaines grandes corporations ». En juin 2006, lors d’un symposium consacré aux Serious Games à Birmingham, certains journalistes les avaient reconnu et avaient éventé la mystification avant qu’elle ne puisse être menée à terme. C’est la première fois en revanche qu’ils se retrouvent filmés et vedettes malgré eux sur Youtube. Si les visages d’Andy et de Mike restent assez peu connus du grand public, ils sont de mieux en mieux identifiés par ceux qui officient régulièrement sur Internet, comme les activistes ultra-libéraux de Bureaucrash. Bureaucrash, « réseau des activistes de la liberté », est né en 2001 dans le giron même du très institutionnel Competitive Enterprise Institute, avec pour objectif central de « crasher » la bureaucratie. Ce groupe à l’idéologie libertarienne, guidé par un certain Jason Talley autoproclamé « Crasher-in-chief », se définit comme « un réseau international de militants pro-liberté qui œuvrent au changement idéologique de leur génération par l’entremise d’un activisme créatif », et produisent une « propagande anti-étatique », appellation en vogue pour qualifier aujourd’hui ce qu’on dénommait autrefois anticommunisme. Méthodes activistes, moyens capitalistes... Une large part de leur rhétorique et des techniques qu’ils utilisent emprunte à l’hacktivisme contemporain. Une petite visite sur leur site souligne leur capacité à s’approprier jusqu’à l’esthétique et l’imagerie même de la contre-culture. Sans que leurs méthodes soient aussi créatives qu’ils le prétendent, ni leurs actions aussi spectaculaires et virales, les Bureaucrash disposent toutefois de moyens matériels importants grâce aux largesses de leur respectable maison-mère. C’est par hasard qu’ils sont tombés sur les faux documentariste. Les Bureaucrash traînaient dans les locaux de la CEI en compagnie de deux Français de la BAF, micro-groupe parisien affilié au réseau. Sans doute leur plus beau fait d’armes en plus de six années d’existence et de canulars assez rudimentaires. L’envoi de la vidéo sur Youtube et le rajout d’un court paragraphe à leur ode sur la notice consacrée aux Yes Men dans la version anglaise de Wikipedia montrent leur capacité à faire savoir, autant qu’à savoir faire. C’est une réalité à laquelle il faudra se faire : la droite activiste et les milieux néo-libéraux, non seulement suivent les formes nouvelles de mobilisation politique et le développement de communautés réticulaires, mais les appliquent à leurs propres fins. À la gauche de conserver une ou plusieurs innovations d’avance…
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