Après-coup : retour sur la 5e Nuit numérique de Reims du 20 octobre dernier, sur le thème « don d’ubiquité - webintimité ».
Suzy ne vit que sur MySpace et dans des performances à la webcam signées Coralie Datt. © DR
< 30'10'07 >
Nuit intime, nuit câline, nuit on line
L’intimité est-elle compatible avec le réseau des réseaux, où nombre d’internautes semblent avoir oublié toute pudeur ? Plasticiens, net-artistes, musiciens, comédiens et metteurs en scène de théâtre avaient rendez-vous le 20 octobre à Reims lors de la cinquième Nuit numérique, pour tenter de (re)donner un sens au terme. Premier constat : l’intimité du rapport au public était totale, celui-ci s’étant visiblement peu mobilisé. L’objectif était pourtant d’interroger le regard, comme l’affichait d’entrée (ou plutôt de façade) de jeu le tour du monde sous l’œil très subjectif de webcams, projetées sur chaque fenêtre du centre Saint-Exupéry de Reims, d’un centre commercial en Hongrie à un coin de rue en Russie, de la place Jacques Cartier à Montréal au contenu d’un réfrigérateur au Japon. La caméra connectée au réseau comme métaphore de nos intimités bousculées par l’Internet... En hommage à la première du genre, installée en 1991 devant la cafetière d’un labo informatique à Cambridge, « The Trojan Room Coffee Pot », une série de webcams placées à l’intérieur du centre poussaient le côté inquisiteur de la chose : l’une d’elles, particulièrement intrusive, était placée face au miroir des toilettes des femmes. Mais le dispositif a pris toute sa dimension quand Benjamin Duval, comédien, dit « La nuit juste avant la forêt » de Bernard-Marie Koltès, face à une webcam montée sur un trépied, représentation retransmise en direct sur le Web. Les autres webcams deviennent alors supports de diffusion et de désynchronisation du son et de l’image, créant un jeu de résonances et d’échos dans chaque recoin du centre. Quand l’intimité rejoint la surveillance : un questionnement mis en exergue par la plasticienne allemande Ulla Lückerath et ses peintures à l’huile et aquarelles inspirées de webcams d’un nœud routier en Allemagne, « Barbarossaplatz », où toutes les infrastructures sont dématérialisées au profit de la couleur et du mouvement. Surveiller ou transformer l’autre en voyeur… L’artiste pousse l’expérience jusqu’à la gêne. Ainsi, la petite caméra fouineuse du Net s’active avec la gouaille de Coralie Datt, qui, trois heures durant, performe avec webcam en occupant littéralement l’écran comme d’autres la scène, avec son personnage, Suzy, qui a sa page sur MySpace. « La webcamisole de Suzy » s’inscrit dans le projet des « Flâneries de Suzy », où Coralie Datt, installée dans son atelier, crée une nouvelle aventure de son personnage aux prises avec les turpitudes quotidiennes. A défaut d’une multitudes d’actions anodines, la performeuse suscite un dialogue avec le spectateur et crée par la musique ou des petits mots face caméra un univers propre à ancrer son personnage. L’intime médié, peut-être, mais l’intime toujours aussi secret d’une certaine manière. Agnès de Cayeux, qui présentait deux vidéos à Reims, « In my room » et « Justagurl23 », d’enfoncer le clou avec ses interventions sensibles et radicales à la fois. Prix Scam 2007 de l’œuvre numérique, « Justagurl23 » est un montage de vidéos postées sur Youtube par une jeune femme anorexique. Elle « blablate », comme le dit Agnès (qui en donne quelques extraits sur son site), comme si l’exposition intime fictionnalisait sa vie. Au-delà de la simple transposition d’un médium à un autre, cette vidéo est un geste radical qui change la perception des séquences courtes présentées sur cette plateforme pour l’inscrire dans une dimension cinématographique. Avec Nicolas Thély, nous avons d’ailleurs regardé et parlé de cette vidéo le 22 octobre à la Scam (à voir ici). Nicolas Frespech lui aussi met à nu l’intime technologisé. Après sa performance « Talkshow », où le public l’interrogeait à l’aide de questions déjà formulées sur sa vie et ses goûts, il était venu présenter la vidéo « L’un la poupée de l’autre » (dont poptronics a déjà dit le plus grand bien), fruit de la performance réalisée avec Annie Abrahams au Flash Festival à Beaubourg. De la rencontre à la découverte par fragments webcamés, aux gestes dévoilés et/ou non réalisés, les deux performers esquissent par la voix et l’image véhiculées sur la toile, des correspondances, des relations qui se concrétisent sur l’espace scénique.
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