« Douce France », exposition d’Olga Kisseleva, jusqu’au 25 février prochain à l’Abbaye de Maubuisson, rue Richard de Tour, Saint-Ouen-L’Aumône (95), ligne Paris Nord ou RER C.
Olga Kisseleva utilise le principe du tag pour téléphones mobiles comme support artistique. © Elisabeth Lebovici
< 31'10'07 >
Olga Kisseleva fait entrer le monde au couvent

L’abbaye de Maubuisson fut à ses débuts, en 1236, un bâtiment cistercien de style gothique dépouillé (d’où l’aspect architectural pour le moins strict) édifié grâce à Blanche de Castille à l’intention d’abbesses femmes. Voilà pour la culture générale.

A l’intérieur des bâtiments et dans le parc alentour, recyclés depuis 1987 et désormais aménagés pour l’exposition, l’artiste russe Olga Kisseleva a fait entrer la condition contemporaine de l’abbaye, vestige d’une « Douce France » désormais réduite au rang d’un slogan nostalgique, située entre voie ferrée et pavillons grumeleux, qui prolonge une agglomération urbaine (Cergy-Pontoise) laquelle fut, en son temps, « nouvelle ». Pour faire entrer le bruit et la fureur des rapports sociaux, sexués et/ou linguistiques parcourant les banlieues, Olga Kisseleva a sourdement barré toute vision simplement binaire.

Il y a dans son exposition monographique, quelque chose qui échappe au monolithe, qui refuse la composition, qui fuit la fusion d’une « nouvelle culture » multiforme, tout en la rattrapant par les outils technologiques que l’artiste utilise.

Suivant le sens de la visite, entrer d’abord à l’intérieur de l’ancienne grange aux dîmes. Des sortes de rideaux/écrans s’entrecroisent, portant chacun des images filmées dans un centre commercial de Cergy ; le modèle du « mall » est ici rendu visible comme par l’effraction des caméras de surveillance, balayant des silhouettes anonymes plus grandes que nature, avatars entre lesquels on erre aussi. Le sol, à la fois caoutchouteux (une partie est faite de pneus) et pierreux (du gravier), dessine les figures d’un tags, labyrinthe numérique redondant l’univers des images virtuelles. Comme dans un jeu vidéo, on est ici tout/e seul/e à chercher son chemin.

« Dans ce monde, explique Olga Kisseleva, il vaut mieux se munir d’un instrument de navigation ». Ici, c’est un téléphone muni d’un logiciel particulier, destiné à décrypter les tags pour mobiles, relais plus récents (qu’elle est d’ailleurs la première à utiliser en art) de l’ancien code-barre. Lorsqu’on porte la caméra du téléphone devant ces tags dispersés dans le parc, on lit alors les contenus écrits qui y sont encodés. Ce sont des petits textes qui mènent jusqu’à un grand tag, plaque de miroirs et de noirs, devenue sculpture publique.

Dans la salle du parloir de l’abbaye, trois appareils de musculation gentiment tapissés invitent à s’activer pour activer, à leur tour, trois écrans. Des images de foules s’animent. Le sentiment de perte, éprouvé dans la grange, fait place ici au délire manipulateur des appareils de décodage, puisque l’artiste a importé artistiquement un système de déchiffrage des mouvements de la foule, qui, paraît-il, peut anticiper de quelques secondes le comportement des manifestants…

Lorsqu’on passe à la salle des religieuses de l’abbaye, une nouvelle série d’installations succède sans transition : il s’agit ici, non de Second Life, mais de la double vie des travailleurs de l’art, contraints d’accepter un boulot sans rapport avec leurs compétences. Soient une doctorante en histoire de l’art serveuse au McDo, un étudiant en art caissier au supermarché et un squatter artistique distribuant des journaux gratuits près du Sacré-Cœur : les trois personnages ont mis la main à la pâte et réalisé, en commun avec l’artiste, un diptyque chacun, où ils réarrangent la réalité de leur travail, pour donner aux choses une autre visibilité.

Olga Kisseleva, une forte en maths artiste, qui participa à l’étonnante expérience menée à Paris, de « l’institut des hautes études en arts plastiques » (sous le triumvirat de Buren, Sarkis, Pontus Hulten), vit entre Paris et Saint-Pétersbourg : un contexte local à deux polarités, qui la rend sensible à ce ballotement singulier du monde dans l’enchevêtrement des informations simultanées et divergentes, d’où l’on ne sort jamais. Assimilées souvent à des jeux informatiques, explique le critique russe Viktor Misiano, toutes ses œuvres témoignent de la manipulation incessante du monde, de notre monde.

elisabeth lebovici 

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< 3 > commentaires
écrit le < 02'11'07 > par < nicolas Lco frespech.com >
J’ai pu décrypter le QR en illustration. J’ai pris le téléphone du travail, j’ai scanné l’écran du PC et la photo et le message est le suivant : "L’idéologie, c’est ce qui pense à votre place."
écrit le < 26'11'07 > par < arturmar rAb free.fr >
Oui mais la crotte de chien (ou apparentée) en haut à gauche de l’image est là pour semer le trouble : l’identité du sujet de la phrase devient douteuse, ce n’est plus forcément l’idéologie, c’est peut-être la merde, c’est peut-être le gravier, on ne sait plus bien...
écrit le < 29'08'08 > par < alakazou2003 NKP yahoo.ca >
Une liberté de presse encryptée ? Un état d’âme encryptée ? De la gêne ou de la lâcheté d’affirmer une vérité que l’on croie vraie.