Daydream Nation, réédition chez Polydor/Universal de l’album de Sonic Youth, que le groupe jouera en concert le 17 août à la Route du rock à Saint-Malo.
Sonic Youth ne jouera qu’une fois en France cet été son album mythique "Daydream nation", à Saint-Malo le 17 août. © DR
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Sonic Youth en Dorian Gray rock
C’est du dernier chic rock : jouer un album en intégralité lors d’un concert. Slint, les inventeurs du post-rock, baladent leur « Spiderland » un peu partout depuis un an, Lou Reed retourne ces jours-ci à « Berlin », Etienne Daho s’est ridiculisé à l’automne en reprenant « Pop Satori », et désormais Sonic Youth s’y met, qui passera une partie de l’été à donner son incunable « Daydream Nation ». Cette formule de « récital rock » (un artiste joue une œuvre) va assez bien au quatuor new-yorkais qui ouvre depuis plus de vingt-cinq ans un autre chemin dans l’expérimental, à côté de la musique dite contemporaine – Thurston Moore et Lee Ranaldo ont d’ailleurs débuté avec Glenn Branca, une figure de l’avant-garde. Les sceptiques se pencheront sur les albums intransigeants que le groupe sort sur son label SYR pour finir de s’en convaincre. Cette série de concerts, une petite quinzaine dont un seul en France (à la Route du rock évidemment, le 17 août), accompagne la réédition de l’album original. Un deuxième CD l’accompagne, avec des versions live de tous les morceaux et quelques titres rares, dont la demo d’« Eric’s Trip » et les reprises de « Touch me I’m sick » de Mudhoney ou de « Computer Age » de Neil Young. « Daydream Nation » n’est pas une redécouverte, c’est l’un des disques essentiels de la décennie 80, la pierre angulaire de la discographie de Sonic Youth. Le pont entre le son crade né dans l’underground downtown du début des années 80 dans lequel le groupe a incubé et les expérimentations arty des années 90 et 00. Avec le premier album du Velvet Underground et le « Satisfaction » des Stones, il a d’ailleurs été inscrit l’an dernier au National Recording Registry. Emanation de la bibliothèque du Congrès, cette liste regroupe les 225 enregistrements qui « sont culturellement, historiquement ou esthétiquement importants aux Etats-Unis ». A l’été 1988, Kim Gordon (35 ans), Thurston Moore (30 ans), Lee Ranaldo (32 ans) et Steve Shelley (26 ans) n’imaginaient sans doute pas une telle postérité quand ils enregistraient leur sixième album à New York, épaulés par Nick Sansano (également à la production de « Goo », premier album sur la major Geffen deux ans plus tard). Ils sont déjà à part dans le paysage rock, électrons libres de SST, l’excellent label hardcore-noise de la côte ouest (Black Flag, Bad Brains, Hüsker Dü…). La liberté de ton de « Daydream Nation », unanimement saluée à sa sortie, ne fait qu’enfoncer le clou, jusqu’à l’esthétique de la pochette, incongrue dans l’univers rock, œuvre de l’artiste allemand Gerhard Richter. Le groupe a appris à canaliser son énergie et à parfaire ce que Moore appelle « sonic pop », un maelström musical où s’entrelacent mélodies et feedbacks. Mais l’essentiel demeure : la dissonance comme trame mélodique, la répétition pour viatique. Ouvert sur l’immarcescible « Teenage Riot » et clos sur la trilogie-manifeste « The Wonder »-« Hyperstation »-« Eliminator », l’inframonde sonore de Sonic Youth, pour la première fois de si longue durée (70 minutes, 15 titres), se nourrit de la confusion des genres : pop (« Candle », « Kissability »), rock (« Cross The Bridge », « Eric’s Trip »), expérimental (« Trilogy »), jusqu’à un inclassable « Providence » piano-feedback. Les alliances inédites des guitares comme les longues plages abstraites et contemplatives sont autant de voyages sensoriels. Organique et magmatique, cette musique vit, respire, avec des hoquets, des fulgurances, des passions. Vingt ans plus tard, « Daydream Nation » n’a pas pris une ride, en parfait Dorian Gray rock. On ne saurait trop conseiller cette cure de jouvence.
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