European Sound Delta poursuit son parcours artistique avec haltes festivalières le long du parcours, jusqu’à Strasbourg, le 29/09.
23e jour d’European Sound Delta, résidence sonore nomade au fil du Rhin et du Danube : sur le Rhin, la péniche « Gavroche » est à Anvers et « l’Ange-Gabriel » est amarré à Belgrade.
European Sound Delta poursuit son parcours artistique avec haltes festivalières le long du parcours, jusqu’à Strasbourg, le 29/09.
Performance de fieldrecording de Tô, sur le ponton de la péniche Ange-Gabriel, le 18 juillet dernier, en Bulgarie. © poptronics
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Une oreille sur le Rhin, l’autre sur le Danube, mon tout sur le Net
(A bord de « l’Ange-Gabriel », envoyée spéciale) Au vingt-troisième jour de la « croisière sonore s’amuse », l’épopée fluviale concoctée par le collectif parisien Mu qu’a décidé de suivre poptronics cet été, les deux péniches sont chacune amarrées dans des grandes villes. Anvers pour le « Gavroche », à proximité d’Air Antwerpen, une résidence d’artiste dans le port (« post-industrielle », précise le descriptif), et « l’Ange-Gabriel », après une dizaine de jours de navigation sur le Danube, a accosté à Belgrade, sous un soleil de plomb et dans une atmosphère encore plus explosive du fait de l’actualité (Karadzic arrêté et conduit devant le TPI). Et c’est reparti pour une série d’événements, ce week-end, en partenariat avec des structures locales (le Belef, le festival estival belgradois et Air Antwerpen, donc) pour un mélange qu’on imagine foutraquement joyeux de parcours sonores, de streaming et de live au-dessus des fleuves, du Rhin au Danube et inversement. La ville entre les oreilles Pour se faire une idée de l’atmosphère à bord, le mieux est encore de se reporter deux semaines en arrière, à Roussé, Bulgarie, 160 000 habitants, plus grosse cité bulgare en bord de Danube, lors du Bridge festival. La journée au soleil, casque et audioguide en mains, les visiteurs découvraient la ville avec leurs oreilles, déplaçant le rapport entre des sons captés à la Goutte d’Or ou sur le delta et le trajet conçu par Philip griffiths (aka WMPG) et Vincent Voillat du collectif Mu. En fin d’après-midi, le soleil tapait encore fort pour la performance sur le ponton de Thomas Thilly alias Tô, qui avait installé ses micros sous l’eau. Du fieldrecording où le son premier (sous l’eau, les mouvements du bateau et les coups contre le ponton) est travaillé comme n’importe quel instrument, la partition étant totalement aléatoire : si aucun bateau ne passe sur le Danube, les vibrations restent légères, et paradoxalement plutôt aériennes. Malgré la chaleur qui fait ruisseler les spectateurs, quelque chose se passe. Un pape sur l’eau C’est encore plus flagrant avec la performance attendue de Phill Niblock, sans doute le plus vieux résident à bord de la péniche, à 74 ans, mais pas le moins enthousiaste. Il a tout traversé, d’underground en avant-gardes, ce natif de l’Indiana qui habite le même loft new-yorkais depuis 40 ans, depuis ses débuts de photographe de jazz (la seule musique qu’il dit aimer) jusqu’à ses travaux vidéo pour l’Open Theatre, entre Fluxus et « post-Cunningham » comme il le dit tranquillement, attablé à la terrasse d’un café de Roussé. Phill traîne un peu la patte et a failli tout annuler à cause d’ennuis pulmonaires mais conserve la même jeunesse d’esprit qu’à ses débuts. Il sourit en rappelant qu’il a certes « rencontré John Cage dès 1969 mais c’était un voisin, je n’écoutais pas sa musique ». Le son, c’est plus tard qu’il y est venu, quand, pour accompagner ses propres pièces vidéo, il s’est préoccupé de « composer des sons à partir d’enregistrements tout simples ». La technique, l’Internet, le son granulaire et tout ce que les compositeurs sonores d’aujourd’hui mettent en avant, lui les met à distance, expliquant qu’à l’époque déjà, il n’était équipé que d’un micro et d’un enregistreur et que s’il est aujourd’hui qualifié de « pape du minimalisme » (ce qui l’amuse) c’est parce qu’il s’est fait une spécialité de compositions à partir d’un seul instrument dont il modifie la tonalité, comme ici, pour European Sound Delta, la captation de l’eau autour du bateau. « Je fais sensiblement la même chose qu’à mes débuts de compositeur en 1974, ma différence, c’est que je travaille avec un seul instrument, et qu’à chaque fois la structure du son est différente ». A partir de six enregistrements d’une à cinq minutes maximum, captés le long du delta du Danube la première semaine d’European Sound Delta, Phill Niblock a composé « Zound Delta 2 », dont il livre in extenso la version finale ici-même. « Zound Delta 2 », Phill Niblock, 2008 : (durée:12 mn) Les mains comme des écouteurs Lors de la performance, le clapotis enfle et vibre dans le noir complet de la Maison Canetti, un centre d’art aux murs décrépis, dont l’acoustique lui plait beaucoup, lui qui préfère de loin celle des églises. Le démarrage a pourtant donné lieu à quelques scènes d’incompréhension, départs précipités, spectateurs refusant de laisser le son strident leur vriller les oreilles. « Harm », pièce pour violoncelle, de 2003, est emblématique du travail de Niblock, qui joue sur la tonalité, enlevant, ajoutant, retirant et superposant jusqu’à saturer le spectre sonore. Le son a l’air de faire vibrer l’espace entre les oreilles, grâce à un phénomène physique particulier : en cas de stress, la vibration paraît déchirer le tympan, alors qu’en ouvrant bien grand ses oreilles au contraire, et en jouant avec ses mains comme d’écouteurs paraboliques, on a l’impression de pouvoir sculpter le son. Une entrée en matière qui donne de suite le ton, entre performance extrême, proche de la noise des musiciens électroniques, et art sonore plastique, le tout sur des images filmées par Niblock en 1991 lors d’un précédent voyage dans le delta. Des images d’Epinal quasi, où l’on voit des pêcheurs, des femmes faisant la lessive à la rivière et des enfants se baignant. Phill enchaîne avec « AshEli », une pièce de 12 minutes composée en mai dernier pour un saxophone soprano et cymbales (« bowed crotales », en anglais, une référence trop pointue pour la journaliste embedded de service…). Arc-en-ciel sonore En deuxième partie, entre en scène Katherine Liberovskaya, qui a filmé le delta au côté de Phill, et dont les variations vidéo épousent la composition plus tranquille de « Zound Delta ». De temps à autre, en attendant le streaming avec Mons, en Belgique, où officie Joachim Montessuis, Phill interrompt sa bande son pour intégrer les voix chuchotées et retravaillées des interviews réalisées par Katherine. Images et sons se répondent, composent un ballet docu-sonore hypnotisant, étonnant, totalement dépaysant. Puis Joachim Montessuis, depuis Mons, prend la main. C’est imperceptible puisque Phill et Katherine lui ont envoyé vidéos et sons en amont afin qu’il retravaille à partir de cette matière. Au moins au début, mais petit à petit, les vibrations semblent plus chargées, les couches plus nombreuses. Comme si les deux fleuves n’en faisaient qu’un ou plutôt comme si la performance en réseau créait un arc-en-ciel sonore entre la Belgique et la Bulgarie. Ce soir à Anvers et Belgrade, la même impression de flottement, pas celle qu’on expérimente physiquement sur un bateau, mais celle du déplacement de perception, se reproduira-t-elle ? L’internaute en mal de dépaysement traînera volontiers l’oreille sur le site de la radio du projet qui retransmet en direct les performances.
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