Vous connaissez la fin de la saison 1 de « Heroes » ? Moi je connais la suite. « Claire, c’est ma colocataire, on a emménagé début mai dans un méga loft à Manhattan. Depuis le balcon, on observe avec intérêt les frères Petrelli en train de subir une intense mutation physiologique (nus sur un grand canapé vert, avec un beau docteur en blouse sur l’accoudoir). Ils se préparent à changer de sexe. La semaine dernière, on a reçu une carte postale en danois signée par Hiro. C’est Niki qui nous a dit que c’était du danois, franchement je sais pas quoi penser d’elle, elle me fout un peu la trouille et dire qu’elle souhaite nous rejoindre au loft. C’est pas la maison des Secrets ici, on se dit tout, méthodes d’épilation et superpouvoirs compris... » Moi je connais la suite… parce que je suis en train de l’écrire. Ce sera un One Shot Yaoi avec forcément du Self Insert parce que je veux participer, en toute modestie, à la quête de mes héros. Mon territoire d’élection créative se nomme « fan fiction ».

La fan fiction n’est pas un spin-off officiel, c’est un récit d’admirateur, une « fiction amateur non originale », selon la définition communément admise. La première règle est de partir du contexte de création auquel on se réfère. Puis l’écrivain en herbe propose au lecteur, souvent un autre fan, sa version du mythe. Bien que très réglementée, la fan fiction est souvent mal ficelée. Tout dévoués et pressés de transmettre au mieux l’épopée de leur personnage favori, ses auteurs se préoccupent rarement de qualité. Ce qui explique que ce genre adolescent ne dépasse pas le cercle d’initiés.

Pourtant, un fan qui se mêle d’écriture peut s’avérer être un auteur d’envergure. En mars dernier, l’écrivain Chloé Delaume publiait son premier « livre de fan », « La dernière fille avant la guerre » (éditions Naïve), récit né de sa fascination adolescente pour Indochine. Un autre est déjà en gestation à paraître aux éditions è®e en octobre, « La nuit je suis Buffy Summers », en référence à la Buffy tueuse de vampires, qui a particulièrement suscité les fictions amateurs.

Pour qui connaît sur le fil de la hache son manuel de Tueuse en 7 saisons, l’évènement préalable à la mise en place de sa fiction se situe épisode 17 de la saison 6, titre original « Normal Again  ». L’action se déroule dans un asile psychiatrique dans lequel Buffy serait enfermée depuis le début de ses aventures. Cet épisode laisse supposer que tout l’univers de l’héroïne ne serait qu’une chimère issue d’un délire schizophrénique. Le texte de présentation des éditions è®e reprend le premier précepte de la fan fiction, mise en contexte et mythe original mais s’ouvre déjà sur autre chose, puisqu’un jeu de rôles est proposé au lecteur. Le roman prend la forme d’un sous-genre de littérature, un peu oublié depuis le siècle dernier, celui du livre-jeu ou « livre dont vous êtes le héros ». L’auteur est donc un personnage de fiction qui se prend pour un autre personnage de fiction et qui propose au lecteur de devenir lui-même un protagoniste du récit…

Les seuls indices qu’on peut découvrir grâce au back-up documenté sur le site de création électronique Panoplie augurent d’un récit de fan extrêmement tordu déguisé en objet littéraire non répertorié. Familière des univers de jeux et des récits d’autofiction, Chloé Delaume réinterprète le parcours du héros de série télé et développe une « fiction non originale » en intégrant à la lecture un deuxième personnage de fiction, elle-même, encore démultiplié par l’intervention participative du lecteur. Si la fan fiction n’est souvent guère plus qu’un hommage, la rencontre entre la « chanson de geste » du fan et la « petite musique » de l’auteur crée l’hybridation qui fait le véritable objet littéraire.

Au-delà de la littérature, les fan fictions ont un peu débordé ces derniers mois sur le Net français du côté de la politique. Au départ de la fan fic, on trouve le Héros ou selon le terme consacré l’Elu. Se sont révélées quelques grandes figures d’élus pendant la campagne présidentielle : François Mitterrand et Nicolas Sarkozy en tête.

caroline hazard