« Kake-agare umadomo » (« les chevaux qui galopent ») est l’un des jeux conçus en 30 heures pendant la deuxième édition du Fukushima Game Jam au Japon, un événement pour dépasser la catastrophe. © DR
< 06'09'12 >
Fukushima Game Jam, le jeu plus fort que la réalité
(Fukushima, envoyé spécial)
Fukushima ? Déjà presque de l’histoire ancienne. Alors que les produits alimentaires de la région inquiètent légitimement (depuis fin août, le riz est systématiquement testé pour les radiations) mais que les équipes de télévision se font plus rares sur place, on a tendance à oublier la situation dans les zones dévastées par le tsunami. Poursuivant l’objectif improbable de lier jeux vidéo et soutien à la région de Fukushima, les organisateurs du Fukushima Game Jam, lancé l’an passé, ont récidivé cet été pour une deuxième édition, début août à Minami-Soma. Poptronics a pu prendre le car avec les développeurs et passer le week-end au cœur de l’événement.
Le Fukushima Game Jam 2012 en images :
(MAJ 2019 : Pour visualiser le diaporama avec la totalité de ses légendes, cliquer au centre de l’image pour l’ouvrir dans Flickr).
Visant le même but lointain de relancer l’activité économique du Nord-Est du Japon et l’objectif plus proche de rompre l’isolement dans lequel se trouve une partie de la population, le Fukushima Game Jam avait lieu simultanément à Minami-Soma, Nagoya, Fukuoka (Japon) et dans deux villes taïwanaises. Cette compétition de création de jeux en un temps record a réuni 60 personnes réparties en huit équipes qui, pendant 30 heures, devaient créer un jeu vidéo de A à Z.
« L’an dernier, l’événement avait été organisé à la hâte, mais cette fois nous avons vraiment réussi à mêler professionnels du jeu vidéo venus de Tokyo et étudiants et lycéens de la région de Fukushima », explique Kiyoshi Shin, président pour le Japon de l’International Game Developers Association (IGDA), à l’origine de l’événement.
La moitié de l’effectif est donc composée de locaux, étudiants en informatique de la région de Fukushima et même quatre lycéennes de Minami-Soma. L’une d’entre elles vivait en mars 2011 à moins de 10 km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, dans ce qui est maintenant la « zone interdite ». 160 000 personnes comme elle vivent encore dans des hébergements temporaires, dans la préfecture de Fukushima et dans tout le Japon.
Visite des zones dévastées
Et la partie de jeu commence par une mise en situation. Le Game Jam commence à l’aube par une visite des zones dévastées par le tsunami aux environs de Minami-Soma, jusqu’aux abords de la zone interdite à 10 km de la centrale, devant laquelle le car devra finalement faire demi-tour. Maisons toujours effondrées ou dont il ne reste que les fondations, bateaux encore échoués loin de la mer, sols toujours inondés… les traces du tsunami, un peu moins douloureuses que l’an dernier paraît-il, sont loin d’être effacées.
Depuis le 15 avril dernier, cette zone située entre 10 et 20 km de la centrale est de nouveau accessible aux habitants, qui ont cependant toujours interdiction d’y passer la nuit.
A la lumière de l’aube, les participants naviguent dans le brouillard formé par les terres inondées, marchent jusqu’à une digue, en partie détruite par le tsunami. La mer qui s’est déchaînée dix-sept mois plus tôt est invisible derrière l’immense paroi de béton, mais le grondement des vagues et l’odeur du sel sont bien perceptibles. Avançant lentement dans ce paysage lunaire, Kensuke Tadano, conseiller municipal de Minami-Soma, se souvient de la ville qui s’étendait là, qu’on a à présent bien du mal à imaginer en observant les tas de gravats, les tiges de métal tordues et le cimetière aux tombes effondrées, seuls témoignages du passé.
Originaire de Minami-Soma, cet ancien journaliste de la NHK, la télévision nationale japonaise, est revenu s’y installer quelques semaines seulement avant le tsunami. Il raconte comment le tremblement de terre a fait descendre certains terrains sous le niveau de la mer, ce qui explique qu’ils soient toujours inondés. Et observe que dans les mois qui ont suivi le tsunami, 300 à 400 volontaires venaient chaque jour prêter main forte, alors qu’ils ne sont guère plus d’une dizaine maintenant.
Un marathon de trente heures
Après avoir expérimenté la réalité, il est temps pour les développeurs de développer. Très vite, ils investissent les locaux du bâtiment municipal mis à la disposition du Game Jam. Les étudiants de Fukushima arrivent enfin et les équipes se forment. Un tour de table pour faire connaissance, puis, passage obligé, chacun devient ami sur Facebook.
Le chronomètre tourne à présent : trente heures pour créer un jeu de toutes pièces autour du thème imposé « rise », en anglais dans le texte, dont les traductions françaises de « monter », « s’élever », « gravir » ou « réussir » ne suffisent pas à rendre tous les sens. Chaque équipe doit intégrer dans son jeu des éléments des dessins d’enfants de Fukushima qu’on leur a apportés.
Sueur et boîtes à bento
Commence alors un marathon rythmé par les repas à heures fixes, apportés dans des boîtes à bento par un magasin voisin. La salle, tour à tour bruyante, studieuse, fébrile et somnolante, retentit parfois d’un hennissement de cheval, bruitage utilisé dans l’un des jeux. Sur Twitter, Kenji Ono, l’un des responsables de l’IGDA Japon, donne le ton : « Même en vitesse, pas le temps de changer son t-shirt plein de sueur. » Avant une nuit sans sommeil, toutes les équipes viennent présenter un prototype devant les caméras du podcast diffusé en direct sur Ustream (en japonais, puis pendant la nuit en version anglaise pour les internautes américains). Bugs, fous rires, et tout le monde retourne à sa copie.
Le lendemain, c’est l’heure du verdict : chaque équipe présente son jeu (tous jouables ici) devant les 80 personnes présentes. Il n’y a pas de classement, tout le monde est sorti gagnant de ce week-end, au sacrifice de quelques heures de sommeil.
A peine le temps de ranger la salle et de participer à une beuverie chronométrée, c’est l’heure de retourner à Tokyo. Le Fukushima Game Jam connaîtra-t-il une troisième édition ? Chacun pense au rôle qu’il voudrait prendre dans l’équipe si c’était le cas. Histoire de remettre Fukushima dans l’actualité, de manière positive…
Jouez !
Tous les jeux de cette deuxième édition sont jouables à
cette adresse (page en anglais). Petite sélection.
« Rise of beetle ». Le jeu le plus fun du Game Jam et celui qui respecte à la lettre le thème imposé de l’événement : « rise ». Le misérable scarabée s’élève de son tronc d’arbre jusque dans l’espace.
« Kake-agare umadomo ». Plusieurs des jeux du Game Jam mettent en scène des chevaux, un clin d’œil au nom de la ville qui accueille la compétition. Le « ma » de Minami-Soma s’écrit en effet avec l’idéogramme du cheval (馬). Ici, il faut guider le troupeau jusqu’en haut de la colline en jetant des carottes.
« KiriKiri-Nyokki ». Le plus mignon de la Game Jam. Une jeune fille prénommée « li-sé » (la prononciation à la japonaise de « rise », le thème imposé) aide à la reconstruction des maisons balayées par le tsunami en fendant le brouillard avec son arme. Des cendres doit renaître la ville (et la vie).
« Nyoki-Nyoki Town ». La jouabilité la plus improbable, mais l’univers le plus poétique. Une abeille aide une fée à reconstruire une ville sur un marécage. Littéralement, « nyoki-nyoki » décrit en japonais l’action de pousser comme un champignon.
mathias cena
|
|
|