Le pop’labo c’est quoi ? Réponse d’Elisabeth Lebovici et Annick Rivoire, en mai dernier.
« L’exposition a vécu. Elle dure encore, mais le rapport à l’espace physique qu’elle institue est depuis longtemps mis à mal par l’accélération du temps dont parlait Paul Virilio dès 1996 dans "Cybermonde : la politique du pire" (réédité en 2007). Le penseur du "grand accident" y rappelle le défi vertigineux que posent les réseaux informatiques en ce sens qu’ils transforment radicalement notre rapport au temps et à l’espace. L’Internet est ce média de l’ubiquité où le temps s’est découvert "réel" (comme s’il y avait un temps irréel…). Virilio a évoqué cette "accélération de l’histoire où le progrès finit le monde, le réduit à rien". Avec l’Internet, je peux potentiellement depuis Paris découvrir l’actualité de Moscou, discuter avec un ami au Cambodge tout en ignorant mon voisin de palier avec lequel je n’ai aucune affinité. La mondialisation, qu’on la considère positivement ou pas, a rétréci le monde, l’a même clos si l’on suit Virilio.
"Nous vivons en temps réel la fin du monde, pas sa fin apocalyptique mais eschatologique", dit-il. "C’est le monde qui s’enferme dans ses propres limites et qui produit un individualisme de masse. Le temps réel l’emporte désormais sur l’espace réel et sur la géosphère." Et l’invention de cette nouvelle perspective, qui viendrait déplacer la perspective spatiale vers une perspective à dimension temporelle, conduit à cette perte de repères que traversent nos sociétés.
La création contemporaine n’échappe pas à ce bouleversement. Le pari que fait poptronics, le "nouveau" média de la culture numérique, c’est d’affirmer qu’il n’y a pas une soi-disant crise de l’art, mais une révolution aussi féconde que l’ont vécue en leur temps les artistes du Quattrocento avec l’invention de la perspective.
C’est les deux pieds (virtuels) plantés sur cette nouvelle frontière que poptronics propose aux artistes d’investir un espace-temps, celui du magazine en PDF pop’lab. Fier d’être hybride, le pop’lab sera le lieu de réflexion, de proposition et d’expérimentation des artistes, parce que le format PDF est lui-même hybride (il conserve la mise en page et l’enrichissement typographique propres à un document papier, mais circule sous forme numérique sur les réseaux informatiques) et parce qu’il constitue une passerelle entre l’Internet et le papier, ce média pseudo-archaïque qui prouve tous les jours sa durabilité (persistance, praticité, simplicité, transportabilité, multi-fonctionnalités).
Coupler l’architecte, le musicien, le romancier, le net-artiste, le graphiste ou l’hacktiviste aux flux informationnels, lui demander de poser ce rapport avec cette idée du temps qui passe, trop vite, ou qui passe mal, ce temps globalisé, glocalisé, géolocalisé, c’est l’ambition du pop’lab.
Ce temps qui s’envisage plus difficilement, plus génériquement aussi, c’est aussi le temps vécu sur un mode privé. Le pop’lab est également une expérimentation à la frontière de disciplines artistiques, à la lisière de temps plus ou moins "partagés" et plus ou moins "réels". Il ne s’agit donc pas de "produire" un objet, une œuvre, un document, ni d’entrer dans une relation au public qui rapprocherait l’expérience d’une galerie ou d’un lieu d’exposition. Ce laboratoire de l’hybride doit favoriser toutes les audaces, laisser passer tout type de production. La juxtaposition des espaces-temps de chaque artiste invité à s’approprier le pop’lab fera émerger du sens. Ni catalogue ni cabinet des curiosités, la cohérence du pop’lab naîtra de l’étendue du champ couvert : architecture, nouveaux médias, art contemporain, dessin, webdesign, musique, théâtre, littérature, cinéma et nouveaux cinémas, hacktivisme et post-graff, graphisme et BD, toutes les créations doivent y trouver place.
Le pop’lab paraît tous les 15 jours au démarrage, puis toutes les semaines, en parallèle à l’agenda de la culture électronique (l’actualité culturelle des réseaux). Il évoque le feuilleton des illustrés de la fin du XIXème, la juxtaposition de plusieurs pop’labs devant faire l’objet d’une publication sur papier glacé. »
L’art en pdf, on fait comment ? Comme ça :
• Avec une grille « L’artiste invité découvre « son » pop’lab comme un canevas, une grille maquettée de la façon la plus légère possible, afin de permettre toutes les expérimentations mutantes. La pagination est limitée à six pages (Une et Der comprises). »
• Avec une icône « La Une affiche le logo, le nom de l’artiste ainsi que l’icône qu’il aura imaginée. Une icône, ce logo miniature entré dans les mœurs informatiques (et officiellement défini au Journal officiel comme "le symbole graphique qui représente une fonction ou une application logicielle particulière que l’on peut sélectionner et activer au moyen d’un dispositif tel qu’une souris"), qu’on pourrait rapprocher dans le monde physique des panneaux de signalisation au bord des routes. Et puis, l’icône fait doublement sens : hier religieuse, aujourd’hui image statufiée limite idolâtrie, ou signe digital. Voire triple : clin d’œil à l’artiste en tant qu’icône, puisque le pop’lab n’est pas lieu d’exposition ou d’exhibition de l’artiste, où celui-ci viendrait s’icôniser lui-même, mais constitue un pont entre genres (archi= =graphisme= =littérature= =art= =netart…), entre médias (papier= =online) et entre artistes eux-mêmes. »
• Sur quatre pages « Entre la Une et la dernière page, consacrée à l’artiste (interview, playlist de choix musicaux, visuels, littéraires, cinéma…, actualité), deux doubles pages (voire plus), au format A4, où tout est possible en terme de forme, texte, images, photos, liens, etc. »