« The Diamond Sea », de Claude Lévêque, exposition au Centre Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon à Sète, jusqu’au 3 octobre, tous les jours, de 12h30 à 19h, sauf le mardi, le week-end de 15h à 20h. Entrée libre. Dans le cadre de « Casanova Forever »,, 32 expos d’art contemporain en Languedoc-Roussillon, manifestation pilotée par le Frac Languedoc-Roussillon.
"The diamond Sea", installation de Claude Lévêque au Centre régional d’art contemporain de Sète. © Cyril Thomas
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Les naufragés de l’onirisme de Claude Lévêque
Sète, envoyé spécial Il y a des installations qui énervent, d’autres qui laissent indifférent, et une infime catégorie d’entre elles émeuvent au plus haut point. Pourquoi ? Parce qu’elles raisonnent juste, qu’elles rencontrent vos obsessions, vos peurs, éclairent vos réalités. Il y a quelque part, chez Claude Lévêque, une réserve, une sorte de non-dit. Paradoxalement, l’artiste enchaîne les entretiens, commente avec insistance ses œuvres, mais ne les explicite que rarement. « The diamond sea », présentée au Crac de Sète, pourrait être un conte de fées paradoxal, ou, plus exactement, une métaphore filée des trois dernières décennies et l’aboutissement des dernières pièces de l’artiste. Même si le discours de l’artiste semble vouloir relier cette nouvelle installation à Casanova, par le biais de la métaphore de la séduction, du reflet, etc., il est sans doute préférable de ne pas se fier à son propos explicite et ne pas trop chercher de lien avec la manifestation régionale dans laquelle cette œuvre s’inscrit. Dans un entretien avec Timothée Chaillou, l’artiste évoque une filiation entre Venise et Sète (le terme de dérivation semble plus approprié), notamment avec « Le grand soir », l’installation présentée à la dernière biennale de Venise. Loin de vouloir remettre en cause cette parole, si « The diamond sea » est l’aboutissement du « Grand soir », une simple observation s’impose : les deux œuvres n’obéissent pas réellement à la même grammaire plastique ; en revanche, toutes deux reprennent des éléments visuels qui se répètent tout au long de la carrière de Claude Lévêque. « Le grand soir » a fait couler beaucoup d’encre et a laissé les spectateurs, moi le premier, en proie à un sentiment d’inachèvement. Sans doute à cause des allusions parfois stéréotypées à l’anarchie, notamment le drapeau noir, très décalées dans le pavillon français. Le parcours interrompu du visiteur figurait à plusieurs reprises, de façon presque naïve, un monde tout entier régi par les apparences, une société contemporaine prisonnière de l’illusoire, où toutes les convictions politiques étaient décriées. Dans cet espace clos, dans cet univers tautologique où les moteurs des ventilateurs ne faisaient frémir que l’étendard, les paillettes censées signifier la dictature du spectacle se retrouvaient dispersées au sol entre les barreaux d’une prison. Le symbole du clinquant et celui de l’anarchie étaient ainsi mis sur le même plan, dans le contexte carcéral d’une société qui ne tolère pas les messages politiques non consensuels. A Sète, les paillettes sont également présentes sous la forme d’une boule disco, un élément récurrent qui n’a rien anodin dans l’œuvre de cet artiste, on se rappelle « Les champions à Paris » (1996) et « Strangers in the night » (1997). A Sète, donc, celle-ci est suspendue au milieu de filets de pêche qui dessinent un étrange labyrinthe plongé dans l’obscurité (autre élément cher à l’artiste). La lumière projetée sur la boule fabrique deux éclipses noires et violettes, deux cercles suspendus dans les airs… A priori, pénétrer dans ces filets paraît délicat, mais certaines ouvertures s’esquissent au fur et à mesure ; après quelques pas, les passages deviennent plus évidents. Le spectateur découvre une sculpture circulaire en forme de couronne mortuaire. Tel un diadème, l’anneau tournoie lentement, sans que le spectateur puisse s’en approcher. La mer de diamants évoquée par le titre de l’installation ne s’assimile en rien à un bijou : ici, l’océan signifie la mort et les désillusions plus que la luxure. Au loin, quelques paroles, un texte se murmurent. La couronne serait-elle remplie de sons (des voix fantômes) et de lumière ? Premier retour en arrière pour pénétrer dans une enfilade de pièces où, dans une ambiance musicale appropriée, tourne un immense bateau bleu (à l’opposé de celui, archi-stylisé, de Xavier Veilhan). Cette sculpture géante rappelle étrangement les bateaux en papier réalisés à l’école. Elle non plus ne flotte pas, mais tourne lentement dans un milieu musical. Le monde de Lévêque reste instable, contradictoire, très allégorique. Puis viennent une licorne (dans une salle) et un fusil (dans une autre) ; tous deux aplatis, chromés, tournent également sur eux-mêmes. Grâce à un jeu d’ombres décalées, la licorne et le fusil se démultiplient. Les ombres semblent poursuivre d’autres ombres. Et si l’installation s’appréhendait comme les pièces d’un manège à ré-articuler ? Puis le spectateur pénètre dans une pièce où deux placards, deux armoires aux portes inversées, murmurent… Clin d’œil aux deux horloges (« Sans titre-Perfect lovers ») de Félix Gonzàlez-Torres ou au placard fermé de Jimmie Durham ? Ce sont les derniers objets visibles avant que le spectateur pénètre dans une salle noire où est diffusé un extrait d’« Oceano nox », de Victor Hugo : Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire. Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire, Sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue. L’ombre des objets disparaît, comme les objets s’effacent. La pièce est vide, noire, la seule ouverture donne étrangement sur la couronne d’argent qui tourne inlassablement, visible par à coups selon le rythme des stroboscopes. Cette couronne s’apparente de plus en plus à une roue de « l’infortune », comme si le ou un rêve se terminait pour laisser place à autre chose. Demi-tour de nouveau pour monter quelques marches. Dès la montée, votre image se reflète dans un miroir en forme de flèche ou de lame qui traverse toute la pièce (l’artiste évoque à ce propos le seppuku de Mishima). Ensuite, de deux choses l’une : soit vous pénétrez dans une grande salle vide munie d’une seule ouverture, une fente qui donne sur l’extérieur, comme pour suggérer la promesse d’un avenir presque intenable, impalpable, immatériel, soit vous suivez la flèche jusqu’à un mur où la lumière semble creuser le béton armé. La lumière se distille, se diffracte en un halo blanchâtre, pareil à une pointe. Sur votre gauche, vous surplombez le premier élément de l’installation, la boule disco et les filets. Il n’y a pas de fin à proprement parler... Certes, cette installation complexe parle d’onirisme. Il n’en demeure pas moins qu’elle active, voire réactive, un parcours physique plus qu’elle ne suit une narration, un découpage en chapitres où chacune des pièces viendrait prendre place dans une histoire, un conte de fées. Claude Lévêque propose une pérégrination, un cheminement composé d’allers-retours, qui évoque aussi une histoire sociétale. Il faudrait partir dès lors d’une simple hypothèse, analyser cette pièce non sous l’angle de la littérature (Melville, Mishima, etc.), mais en rapport avec les années sida. Au commencement était la fête, promesse d’une félicité, du temps heureux de l’insouciance ; ensuite vient le virus (une mort géante, invisible, irreprésentable, qui tourne sans cesse, et qui grandit), puis un bateau ivre de promesses, d’espoir (la licorne) mais également de désespérance (le fusil). S’ensuit le temps de la résignation (il faut enterrer les morts tout en gardant leur voix, leur souvenir, leurs combats intacts ; c’est ce que suggère le texte d’Hugo). Il faut continuer à vivre coûte que coûte (les escaliers) pour aller vers un futur hypothétique (l’ouverture, le rayon de lumière dans la pièce gris béton). Dernière étape : au pied du mur, il ne reste plus qu’à contempler les traces du passé, à observer les autres faire la fête, et à décider de creuser un peu cette barrière (les jeux de diffraction lumineuse sur le mur). Quelle que soit l’interprétation de l’installation de Claude Lévêque à Sète, le seul impératif est de se laisser bercer à bord du bateau ivre conçu par l’artiste. Qui vous ouvrira sans doute d’autres voies. Celle qui en est ici faite est personnelle et peut-être un peu hasardeuse, mais elle résonne étrangement en marge de la manifestation culturelle qu’est Casanova forever.
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