A l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie, poptronics publie un extrait du rapport de l’association SOS homophobie, paru le 11 mai dernier, un texte introductif du sociologue spécialiste de l’homosexualité Eric Fassin.
L’intégralité du rapport annuel 2010 sur l’homophobie sera accessible en ligne sur le site de l’association SOS homophobie le 17/05.
Campagne pour la journée internationale contre l’homophobie, le 17 mai 2010. © DR
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Les trois figures de l’homophobie, par Eric Fassin
C’est toujours pas gagné. La lutte contre l’homophobie est plus que jamais d’actualité, comme le souligne le rapport annuel de SOS homophobie, l’association d’écoute qui recense ces actes parfois anodins, parfois criminels qui relèvent de l’exclusion de tous ceux qui n’ont pas adopté la norme hétérosexuelle. Poptronics solidaire de la journée internationale contre l’homophobie ce 17 mai, relaie ledit rapport, qui démontre par des faits, des analyses, des prises de parole diverses (pour la première fois, d’autres associations sont amenées à s’exprimer) comment les pédés, les lesbiennes, les trans et les bi sont stigmatisés (jusqu’à la violence physique). Plus de violences physiques et une homosexualité qui touche davantage la province que la capitale… Le rapport sera mis en ligne sur le site de l’association. En attendant, poptronics en publie un extrait, en l’occurrence le texte du sociologue et enseignant à l’Ecole normale supérieure Eric Fassin, auteur notamment de « L’inversion de la question homosexuelle », sur « les trois figures de l’homophobie ». « En France, l’homophobie n’est plus légitime. Paradoxalement, c’est le débat sur le pacs qui l’a révélé. En effet, les opposants aux droits conjugaux des homosexuels étaient alors obligés de se démarquer des manifestations les plus explicites de l’homophobie : « Je ne suis pas homophobe, mais… » C’est un basculement historique : hier, notait le juriste Daniel Borrillo, on pathologisait l’homosexualité ; aujourd’hui, c’est l’homophobie. C’est pour moi le signe de « l’inversion de la question homosexuelle » : « l’homosexuel » n’est plus tant l’objet d’une question posée du point de vue de la norme que son sujet, qui interroge l’évidence des normes. Non plus : « Comment peut-on être homosexuel ? », mais : « Comment peut-on être homophobe ? » « Faut-il le préciser ? L’homophobie n’a pas disparu pour autant. Il n’en importe pas moins, pour la comprendre et la combattre, de tenir compte de l’illégitimité qui l’entache aujourd’hui. C’est pourquoi il convient d’en parler au pluriel, et de distinguer trois figures de l’homophobie. D’abord, il reste bien sûr une homophobie traditionnelle, qui parle encore haut et fort. Songeons aux propos d’un Louis Nicollin, le président du club de football de Montpellier, traitant un footballeur de « petite tarlouze ». C’est ce qu’on pourrait appeler « l’homophobie de papa » : elle se dit sans complexe, comme au bon vieux temps. Mais le monde a changé : la voici devenue « vieux jeu ». On s’en indigne sans doute ; mais c’est avec un sourire amusé. « Il y a ensuite une deuxième figure : c’est l’homophobie qu’on attribue volontiers aux « banlieues », aux « jeunes » des classes populaires, souvent d’origine immigrée. C’est l’incident du Bébel Créteil refusant de jouer contre le Paris Foot Gay. On ne s’en amuse pas : on s’en inquiète. Cette homophobie apparaît menaçante : on redoute aujourd’hui ces « classes dangereuses ». Elle semble moins « ringarde » qu’archaïque ; ce serait le symptôme d’une culture autre. L’homophobie trace ici une frontière entre « eux » et « nous », en même temps qu’elle la révèle : « leur » intolérance présumée contribue à dessiner, en creux, l’image de « notre » tolérance supposée. Ces deux figures renvoient à une homophobie « de mauvaise compagnie ». Manifestement illégitimes, elles en masquent une troisième : l’homophobie « de bonne compagnie ». C’est celle qui se dit aujourd’hui quand on refuse d’ouvrir le mariage, l’adoption ou l’assistance médicale à la procréation aux couples de même sexe. Comme l’homosexualité hier, cette homophobie n’ose pas dire son nom. Ainsi, on peut prétendre lutter contre l’homophobie à l’école, tout en refusant d’y montrer Le Baiser de la lune. On s’inquiète du prosélytisme homosexuel (mais pas du prosélytisme hétérosexuel dont le discours amoureux est porteur, dès l’école primaire). « L’homophobie n’est plus aussi légitime qu’avant ? On ne peut que s’en réjouir. Mais il faut mettre en garde contre les effets pervers de cette norme nouvelle : l’homophobie n’est-elle pas surtout illégitime dans des groupes sociaux illégitimes ? C’est un peu comme le racisme : l’homophobie, c’est les autres ! La lutte contre l’homophobie apparaîtrait alors comme l’instrument d’une stigmatisation des classes populaires et des jeunes des banlieues. Le risque, c’est qu’en retour l’homophobie soit brandie comme une arme de résistance au racisme (de classe). Oublier l’homophobie « distinguée » pour ne dénoncer que l’homophobie « vulgaire », c’est donc entrer dans un cercle vicieux, qui alimente l’homophobie au moment de la combattre. » (Les liens hypertexte ont été ajoutés par poptronics) |