« Histoire directe, une passion politique », Jérôme G. Demuth, installations, Vincent Elka, 10 affiches « Détonations », Ana Vocera et groupe I-I « Une passion politique », jusqu’au 11/06, La Place Forte, du mardi au samedi de 16h à 20h, 8 passage des Gravilliers, Paris 3e.

Pour voir le film en ligne, c’est par ici.

« Une passion politique-Ana Vocera », le film. © DR
< 02'06'11 >
Ana Vocera, une passion filmique

La Place Forte, mi-galerie, mi-lieu d’agitation squatte une nouvelle fois les marges de l’art lors du quatrième volet de son cycle d’expositions (et de workshops) intitulé : « Histoire directe, une passion politique ». Pour une fois, le sous-titre n’a rien d’anodin : si Histoire directe fait référence presque explicitement au groupe Action Directe, ce sont bien les documents, l’écriture, l’affiche, en un mot les modalités d’une inscription (et non pas des revendications) du politique dans l’art. A lire absolument les préambules à cette manifestation ici et là.

Cette « Histoire Directe » œuvre dans les acceptions du terme politique en passant de l’une à l’autre de manière brutale... Pour ce faire, Jérôme G. Demuth et Vincent Elka (chef d’orchestre du lieu mais pas seulement) entame un dialogue qui se joue des formes classiques de la rhétorique, en mixant les médiums, voire en remixant images photographiques, peintures, tout en jouant avec des détournements vidéos. Les deux artistes venus du graffiti produisent tour à tour des affiches et des objets plus ou moins issus de leur rapport à la manifestation : ce n’est pas sans intérêt que des armes plus ou moins hybrides pendent des murs.

Lance-pierres customisé ou mini cocktails Molotov, ici, le réel entre en collision frontale avec la partie créative, l’art se salit, se vandalise aussi… Pas la peine de se voiler la face, cette série de propositions gratte là où le bât blesse. Tout l’oppose à celle de Shepard Fairey aka Obey à la galerie Madga Danysz. Cette programmation à la Place Forte interroge l’« action artistique », les outils, les moyens et la communication des « affrontements ». Ici l’émeutier, le vandale voire le terroriste ne sont pas de purs motifs iconographiques, mais des « sujets » au sens philosophique du terme… Ne cherchez pas une visée pédagogique, la Place Forte comme toujours s’inspire de, mais ne juge pas.

Ce quatrième volet ne se conçoit pas comme une seconde condamnation des assassinats et autres méfaits que les membres d’Action directe ont pu commettre et pour lesquels ils ont été jugés, puis condamnés. L’ensemble des propositions au premier étage s’assimile plus à une plongée dans les représentations et les slogans véhiculés de l’époque : « A l’assaut », inscription à la bombe de peinture, est inscrit sur un des murs entre deux panneaux routiers. Le spectateur n’entre jamais de plein fouet ni dans la violence des faits, ni dans celle déployée par les forces de l’ordre, car cette « Histoire directe » à la Place Forte s’appréhende comme un accostage.

A visionner les documents d’époque remontés par Jérôme G. Demuth, on mesure l’écart entre le temps d’Action directe, groupe radical et armé, et celui supposément formé autour de Julien Coupat. Ecart des années, voire grand écart quant au contexte socio-politique de cette époque sanglante (où opéra également la Fraction Armée Rouge, la fameuse bande à Baader). Aborder le sujet, s’en approcher un peu, garder le ton juste : autant de postures à distance et de distance (voire de distanciation) qui permettent à l’exposition de se structurer autour d’une radicalité. Les traces de la « lutte » politique sont là mais sans qu’on tombe dans la fascination macabre, voire mortifère, ni dans l’apologie des attentats. Ni bons sentiments ni repentir, l’exposition évoque une manière d’appréhender une radicalité qui conduit de l’engagement au passage à l’acte.

De manière quasi anachronique, c’est au sous-sol que la violence sonore s’enracine ; que le corps d’une hacktiviste bien connue des lecteurs de Poptronics, Ana Vocera, personnage fictionnel constitué de sons à télécharger, d’une autre syntaxe ponctué de « slang », s’incarne grâce à la comédienne Alice Chenu.

« Une passion politique », Ana Vocera :

Le politique se conjugue au présent avec l’enfermement de la pensée. Le spectateur fait non plus face à une correspondance entre histoire et politique mais à une violence intime du et des corps. Ana Vocera a longtemps existé par et dans les textes produits par elle et pour elle. Plus proche de la figure de la Pythie, elle dévore maintenant ses lecteurs devenus spectateurs, s’invitant dans la production filmique et se transformant en Gorgone toujours plus troublante. Changer de médium pour inventer d’autres pistes d’écritures : conférer un corps, une chair, une voix à Ana Vocera pour qu’elle puisse s’épancher sur un autre réseau que celui du Net, l’idée est très séduisante… Ce nouvel avatar parle d’enfermement, devient presque la victime corporelle de sa propre écriture autistique. De ce premier opus filmique, reste l’étrange sensation du devenir. Très vite, le spectateur comprend que tout l’intérêt de ce film réside dans les moments de suspens sonores mais également visuels comme celui du passage du jardin (ah l’Eden !) aux murs trop étroits d’une maison trop banale... une planque, une cachette ?

Ce corps ramené à des usages quasi domestiques ou à des impératifs trop humains (la scène sur le trône des toilettes) dans ces pièces dépouillées, quasi vides (cuisine, chambre), devient presque « ana-chronique » tant le texte de la bande son, puis sa reprise par la comédienne (comme un dialogue entre Ana et sa conscience), transportent les spectateurs vers un ailleurs beaucoup plus noir et sombre.

Par bribes, le spectateur retrouve ce temps, cette temporalité, ce rythme propre, ces décrochements qui habituellement peuplent les textes d’Ana Vocera (remarquez également les incises en gros plan sur les fragments corporels qui fonctionnent comme les ponctuations d’un texte). Le cœur même du film repose comme la plupart de ses textes sur une hantise, sur ses spectres qui surgissent dans un instant qui se veut différé. Personne ne sait si Ana Vocera va ou vient d’exploser, si elle va ou vient de muer, d’investir le corps de l’actrice pour une autre aventure, une autre saison…

cyril thomas 

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< 1 > commentaire
écrit le < 06'06'11 > par < info as6 laplaceforte.org >

je juge et je punis.

les lâches finissent toujours par trahir.

un doigt dans la gluante d’ana

et un poing dans l’humide de vincent.

vive la guerre !

(à voir bientôt le gros coming in )