« Knockin’ on Heaven’s Door », exposition d’œuvres de la collection du Frac Languedoc-Roussillon au PPCM, jusqu’au 20 mars, 51 rue des Tilleuls, Nîmes.
« Le griffon », photographie de Lucien Pelen, une porte mystérieuse vers le ciel ? © Collection du FRAC Languedoc-Roussillon
< 10'03'10 >
Art en ciel

(Nîmes, de notre correspondante)

L’association Artelinea est venue mettre son nez dans les collections du FRAC Languedoc-Roussillon (avec la bénédiction de son directeur, Emmanuel Latreille). Il en ressort une exposition modeste par la taille (six œuvres y sont présentées) mais dans laquelle le visiteur ressent que chaque pièce a été pesée, voulue, désirée et pensée en accord les unes avec les autres. Ce qui n’est pas si fréquent. Si l’on ressent tant cette forte volonté de la part des commissaires, c’est aussi que la manifestation est accompagnée de textes savoureux qui ne sont pas des copier-coller glanés de-ci de-là, mais le résultat d’un regard unique et personnel ainsi que d’un vrai plaisir à les avoir fait naître au fil d’une plume enjouée, comme s’il s’agissait d’un malicieux décryptage des œuvres.

D’ailleurs, le visiteur est immédiatement immergé dans le thème dès son entrée au PPCM, le Plus Petit Commun Multiple, un espace partagé entre Artelinea et la galerie Esca à Nîmes. La porte du ciel (celle du titre de l’exposition, « Knockin’ on Heaven’s Door ») peut être très prosaïquement franchie en hélicoptère, comme le suggère l‘installation sonore « Threesixty » (1998) de Graham Gussin à laquelle répondent les signaux lumineux « Light Space Modulator » de Philippe Decrauzat (2002-2003). D’un autre côté, plus métaphysique serait la photographie du même Graham Gussin, « Known nothing », autoportrait sans regard, intériorisé et absent. Ou ce regard vissé sur le ciel au point de ne plus être visible, ni même lisible : « Anatomies » (1930), un cou sans visage, menton pointé vers l’absolu céleste de Man Ray.

A quel autre moment frappe-t-on à la porte du ciel ? La réponse presque littérale du « Griffon » de Lucien Pelen nous entraîne vers des croyances ancestrales ; frêle silhouette humaine s’adressant à quelques dieux par l’intermédiaire d’une porte symbolisée par ce qui semble bien être un menhir. Le cliché conserve (et préserve) son mystère ; nous sommes entrés par effraction dans une cérémonie secrète à laquelle nous n’étions pas conviés.

Mais le ciel est peut-être fait, aussi, de vertiges. Quand l’esprit perd pied et s’abandonne. Comme celui de ce pauvre homme drogué au Rohypnol, un puissant somnifère, qui doit pourtant combattre l’appel des rêves sous la caméra de Fiorenza Menini (« Résistance au Rohypnol », 1999). Repousser les limites, se dépasser dans la résistance. On pense à ces situations extrêmes dans lesquelles s’endormir signifie mourir, ne plus jamais se réveiller ; ne pas s‘endormir dans la neige, dans le froid, dans la solitude d’un océan... Mais ici, l’épreuve, la grande souffrance, cette quasi torture, s’avère gratuite et en devient idiote.

Le spectateur est pris entre le rire nerveux (la fatigue extrême amollit tous les traits du visage, la mâchoire pend, les paupières tombent, les gestes et les expressions sont ralentis) et la profonde compassion jusqu’au malaise. Le modèle (le cobaye ?) ne contrôle plus rien, ses yeux se révulsent, sa tête dodeline puis il se ressaisit parfois pour la relever brusquement. Il faut dire que l’artiste n’a pas choisi un faible mâle : on perçoit le haut du torse vigoureux et musclé de ce harder (donc vraiment pas faible) que l’artiste a cadré en plan serré. Coincés que nous sommes dans cette mise en scène frontale, on songe qu’elle semble plus intime que toutes les autres prestations du jeune homme, qui a par ailleurs bien dû franchir les portes du septième ciel...

corine girieud 

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