Huitième épisode de nos Chroniques du Zadistan, soit le monde tel qu’il va depuis le dedans de la ZAD près de Nantes.
Séance d’exercice physique à la ZAD de Notre-Dame des Landes. © A. Le Cabrit
< 27'10'15 >
Chronique du Zadistan (8) « Il était une fois dans l’Ouest… »
Symbole de l’opposition à de grands projets d’aménagement non concertés, la ZAD ou zone anti-aéroport Notre-Dame-des-Landes est zone à défendre, zone autonome, zone où s’imagine et se construit une alternative politique, économique, sociale. Voici qu’en cette saison s’affronte le fait divers du rouleau médiatique et le haut faict d’automne vécu du dedans de la zone. (Nantes, correspondance) « Le novateur de la lézarde Tire la corde de tumulte » René Char, Le Marteau sans maître « Tout a commencé dans la nuit de jeudi à vendredi, le long d’une solitaire route de campagne… » Voilà quelques mots qui résonnent d’une manière étrangement familière. En cherchant un peu dans nos mémoires encombrées d’une pléthore de récits et de scénarios déjà éprouvés, on retrouvera aisément l’incipit obsessif des Envahisseurs. Dans le rôle de David Vincent, un chauffeur routier de la société Lahaye qui transporte des palettes d’alcool et de victuailles diverses. A l’instar du protagoniste de la série, il « cherche un raccourci », « mais ce raccourci il ne le trouve pas » et s’échoue sur la ZAD, où il sera délesté d’une partie de sa cargaison. L’article du Monde qui décrit cette « scène irréelle » survenue dans la campagne de Notre-Dame des Landes porte l’art du storytelling – ou conte de faits – à un degré splendide de neutralisation du réel. Fait divers Le fait divers n’est plus l’apanage de l’échotier qui laissait traîner ses esgourdes dans les estaminets, les casernes de pompiers ou l’antichambre douteuse des commissariats. Désormais, il s’édulcore dans l’exercice du « desk ». Bientôt, il ne s’agira plus que de dénicher le meilleur récit « actualisable », de le soumettre à un habile travail de maquillage, d’absorption et de transformation, pour enfin le publier. Raconter n’importe quel fait d’actualité, sans risquer de se perdre – à son tour – dans le maquis des versions contradictoires des protagonistes, jugés comme trop « radicalement différentes », apparaît désormais à la portée de n’importe quel clavard. La toile est saturée de récits arachnéens déjà tissés et propres à emprisonner quiconque s’y aventure trop volontiers. Un camion arraisonné par des « assaillants » surgis dans la nuit, le conducteur « encerclé par une quinzaine d’ombres encagoulées » (*) munies de « barres de métal » qui brillent comme des sabres laser. Voilà un scénario qui exploite d’une manière implacable le registre aisé de l’émotion et que n’ont pas manqué de partager les quotidiens locaux. Dans le monde renversé des médias, les zadistes deviennent donc « les envahisseurs » ? Tous ceux qui ont vécu en 2012 l’opération « César » et conservent le souvenir, encore vif, de la brutale invasion policière apprécieront ce bel exercice de retournement. Mais après tout… qui sait ? Les zadistes sont peut-être bien « ces êtres inconnus venus d’une planète en train de mourir », suivant les termes du pitch des Envahisseurs. « Leur objectif : la terre. Leur but : en faire leur univers ! » En matière d’intertextualité narrative, on pouvait pourtant espérer mieux que ce renvoi pernicieux aux scénarios fleurant bon la naphtaline et la guerre froide – un temps paranoïaque où la SF made in USA assimilait volontiers les aliens de tout poil, nécessairement animés de mauvaises intentions, aux « rouges » et autres dangereux subversifs… Ainsi le chargé du « dossier sécurité et délinquance » du Monde qui relate cet « énième épisode » de la geste zadiste ferait buguer n’importe quelle plateforme de téléchargement. A NDDL, il n’y a plus de saison : ni saison 3 ni S06 ! Aux faits d’hiver, d’ailleurs, on préfère les hauts faicts d’automne et L’An 01 d’une époque renouvelée. Haut faict d’automne Une brume discrète et prometteuse se lève difficilement sur la zone. La chute des glands rebondissant sur le bitume de la chaussée martèle un refrain obsédant. Le temps d’une pause, nous nous accroupissons un instant encore pour écouter sous nos pieds le bruit essentiel des vers brassant l’humus. La pancarte qui indique le lieu-dit du « Haut Fay » semble jouer malicieusement les prophéties auto-réalisatrices. Ici, de bon matin, on s’organise devant les bâtiments, pour l’épopée du jour. Plus d’une centaine de personnes est déjà rassemblée à l’appel d’un petit groupe souhaitant prendre place sur la zone ; « afin d’y sentir mieux le poids de nos vies, de questionner en actes “les conditions matérielles de notre existence” et d’expérimenter, avec une liberté de mouvement inespérée, la construction des quotidiens remplis d’utopies qui sommeillent en chacun de nous ». L’idée est de s’installer dans une maison inoccupée depuis son abandon contraint par AGO-Vinci, au lieu dit La Noé verte à Grandchamps-des-Fontaines, afin de faire du lieu une conserverie artisanale fonctionnant en toute autonomie et permettant la transformation alimentaire des légumes et fruits produits sur la zone. Bientôt, l’on pourra déguster confitures, gelées et autres confits du label rouge ou noir de la ZAD – vert ou même de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Certains songent aussi à développer dans un futur proche un petit élevage de volailles et envisagent même la conserverie de viande. Les mondes en transformation appartiennent aux poètes carnassiers ! L’autonomie vivrière revendiquée prolonge en toute cohérence le chantier de l’auberge-restaurant du Liminbout débuté cet été, chantier phare du processus « Construire en dur » lié à la campagne de sciage de juillet dernier. Voilà bien de quoi visser définitivement sur la zone tous « les culs de plomb », les poètes terrassiers, les magiciens de l’épi, bien décidés à se maintenir en ces lieux, par tous les moyens, tant dans les fêtes et les banquets que dans les travaux et les cultures et, s’il le faut, faire face aux forces d’un ordre réfuté. La conserve rit et le béton chiale L’occupation des maisons reconnues par les différentes composantes du mouvement comme l’une des principales manières de lutter est un enjeu fort. Et cette nouvelle installation est un nouveau bras de fer contre Vinci et son monde. Bientôt une cinquantaine de compagnons s’engouffrent dans une bétaillère et le convoi s’ébranle, à pieds, à vélo ou en tracteur, vers le point d’opération avec la volonté affirmée de contrecarrer toute intervention susceptible d’entraver cette nouvelle conquête. Cahotant sur les chemins de terre irréguliers, on s’accroche aux flancs rouillés du véhicule d’un autre temps. Un poing se dresse comme pour recouvrer une forme de passionarité. Les points de vue s’échangent sur la présence policière potentielle. L’un des convoyés évoque les luttes qu’il a déjà traversées, comme le combat pour la défense de la forêt de Khimki, en Russie, un autre projet hégémonique de la pieuvre Vinci. Demain, déjà notre internationaliste songe à rejoindre la lutte contre les mines d’or de Skouries en Grèce. Une sente bordée d’arbres et bientôt s’ouvre une clairière de pins avec en son cœur une maison désertée. Sous l’auvent tous se pressent face à l’entrée principale. Ici le mur du son, qu’on passe au rythme joyeux de l’accordéon, dans le fracas des outils cognant sur les huisseries obstruées. Et chacun, dans l’attente de son tour de force, patiente devant l’entrée murée, avant de se saisir de l’une des masses disponibles.
« Libérer les masses ! » L’assemblée bien décidée à broyer les remparts bétonnés, au besoin, par des marteaux matériels, hurle des vivats à chaque monceau éclaté et nouvelle percée réalisée. Les générations allègrement se succèdent à l’ouvrage avec un bel élan. Un garçonnet, un micro-maillet à la main, pleure de n’oser s’avancer. La cohorte enjouée, trop démonstrative, l’a effrayé. Aux entrées des ouvertures pratiquées, les herbes en lianes envahissantes sont coupées et l’on plaisante sur la faucille et la masse, emblèmes d’un combat renouvelé. Ici on a aussi quelques idées pour réécrire les scénarios du passé, mais surtout pour les vivre en intensités renouées. Une nouvelle brèche s’est ouverte dans le monde de la réification. Yes, she can… Entretemps, des véhicules de police se sont avancés vers la frêle chicane improvisée. Ils pourraient intervenir… La maréchaussée s’est positionnée à plusieurs centaines de mètres sur la route. La rumeur se répand, mais sans commun effroi. Aussitôt, la barricade qui bloque l’accès au chemin menant à la maison occupée se voit renforcée. Rapidement, les dernières camionnettes acheminent le nécessaire pour tenir le siège : matelas, planches de bois, plaques d’OSB, bâches, chaises paillées de récup’ et bien sûr encore d’autres victuailles. Les sacs de patates de la ZAD restent une arme de résistance ! Dans la clairière, on prend des forces, la louche dans la marmite à soupe ou bien la bière à la pompe. Petits fromages frais de la zone et terrines itou. Au carrefour, une remorque charrie les gravats extirpés de la maison murée par les bétonneurs. Les gravats s’entassent, pour un juste retour à l’envoyeur. Les pneus s’amoncellent tandis que les cagoules se baissent. Deux quidams s’avancent sur la route qui se perd dans une ligne droite. Faisant face, le colonel Didier Marconnet, campé sur ses positions gendarmesques, s’étonne de ne point voir le drapeau blanc hissé. L’un des deux hommes s’avance jusqu’à la hauteur du militaire, feignant de dégainer un colt imaginaire. Très gros plan sur les yeux des protagonistes. Sur les barricades, on sifflote l’air de l’homme à l’harmonica. Chacun en convient, tout cela prend des allures de western ! Pourtant droit dans ses bottes, le nouveau commandant de gendarmerie des Pays de la Loire annonce une intervention, arguant de la présence de radicaux venus en découdre dangereusement – hypothétique et sempiternelle rengaine. Moment de tension : les routes de l’Ouest ne sont plus sûres… Côté zadistes, on ne bouge pas. L’hélicoptère, mouche noire exubérante, bombine autour des têtes. Une heure plus tard, les forces de police lèvent le camp, en milieu d’après-midi. La charge de la brigade… n’a pas eu lieu. L’hélico s’envole et bientôt un huissier passe constater l’occupation. La procédure d’expulsion « classique » peut désormais suivre son cours tumultueux. Décidément, rejouer « l’attaque de la diligence », comme l’annonçait d’une manière trompeuse le Monde eut été plus pertinent pour narrer l’incident du camion et la suite des « épisodes ». Sur la ZAD, on préfère les histoires de cow-boy et surtout d’Indiens, qu’ils soient métropolitains ou qu’ils campent dans les vastes prairies du bocage et sur leurs positions : « La Noé verte on la conserve ! » Et déjà, des pots de crème de châtaignes fraîchement cueillies sont sur les tablées. Poètes, vos papilles !
(*) « Ouest-France », « Les anti-aéroports “piratent” un camion d’alcool », 10-11-2015, V. Escolano et A. Clermont.
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