Entretien avec David Guez, artiste, à propos de son nouveau projet, les éditions L et avant une après-midi de lancement, le 27 octobre 2024, de 16h à 21h, à la galerie Plateforme, 73 Rue des Haies, à Paris (20e). Avec des lectures/interventions/performances de David Guez, Apolline Debussan, Pierre Escot, Ludovic Bernhardt, Thierry Théolier, Ornella Baccarani, Olivier Auber, Vidyakelie, Antoine Moreau… Le site des éditions L est ici, le compte Instagram là, et la page Facebook là.
David Guez, artiste pionnier du net, auteur et fondateur de la plateforme des éditions L. © CC
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David Guez « expérimente sans attendre » avec les éditions L

L’artiste David Guez lance un nouveau projet, dont poptronics est déjà aficionado. Les éditions L c’est d’abord un site internet, qui est mis en ligne ces jours-ci, à mi-chemin de la maison d’édition et de la communauté d’auteur-e-s. Le lancement aura lieu à Paris, à la galerie Plateforme, le 27 octobre, avec lectures et autres interventions surprises.

C’est quoi l’idée des éditions L ?

L’idée principale, c’est de réunir des auteur-e-s et leurs travaux d’écriture ‘en cours’ (leurs manuscrits) autour d’une plateforme qui offre des outils de production et de diffusion qui associe les avantages du monde de l’édition classique et du monde de l’auto-édition.

Pourquoi vouloir associer ces deux mondes ?

Parce que d’un côté, il y a un modèle d’auto-édition pure (et souvent d’arnaque) qui permet, certes, d’imprimer son livre à la demande, mais qui ne met pas en jeu le collectif (la collection) – l’auteur reste seul avec son manuscrit et tente de diffuser au mieux dans ses cercles privés ; il ne bénéficie pas d’une dynamique de réseau et de groupe. De l’autre côté, il y a le modèle classique, avec des échelles réduites de production pour les petites maisons d’éditions (de l’ordre de 5 publications par an), où personne ne gagne rien, et, dans les plus grandes maisons, une sélection féroce, des coûts importants et leur incapacité de par leur taille de se permettre de trop expérimenter.

Je ne songe pas monter des partenariats avec ces grosses maisons d’édition, mais plutôt avec des plus petites, qui peuvent avoir un intérêt à avoir une plateforme pour élargir leur sélection et bénéficier du réseau de l’automatisation de la chaîne de production et de diffusion print.

En quoi cette plateforme est-elle nouvelle ?

C’est une vraie plateforme/réseau social qui offre aux auteur-e-s des outils de production, de communication et de diffusion avec un modèle économique entièrement dédié à l’auteur-e (ce n’est pas une entreprise qui cherche à faire des bénéfices). Mais c’est aussi l’idée de changer les rapports entre des lecteurs et des auteur-e-s et le rapport des auteur-e-s entre eux-elles tout en respectant le travail solitaire de chacun. C’est aussi une plateforme expérimentale qui va permettre de créer des ouvrages collectifs, de proposer la diffusion dans des lieux différents, de proposer des modes de diffusion de la parole d’un livre, ‘la lecture’ d’un nouveau genre (on expérimente en ce moment la lecture via un drone), d’inventer d’autres formats de livre, des hyper-livres...

Ecrire, c’est plutôt une activité qu’on pratique en solitaire, alors que le web est un espace social. Pourquoi avoir voulu rapprocher les deux ?

Je vois les éditions L comme une immense maison où chacun-e a son propre espace de travail (en solitaire donc) mais aussi des espaces communs où il-elle peut partager ses réflexions, faire venir des lecteurs potentiels, initier une collection de textes autour d’un thématique qui le-la passionne... l’idée d’un collectif non contraignant, avec des outils pour s’isoler ou s’ouvrir pour un instant, expérimenter sans attendre ; mais aussi dans la forme d’un modèle rhizomatique qui défend les auteur-e-s et leurs productions, avec un modèle économique entièrement centré sur l’auteur-e. Et oui, internet est l’espace qui permet encore cela, même si le web 2.0 marchand est largement dominant, il est encore possible de créer des systèmes dynamiques qui changent les modèles.

Tu dis que le le modèle économique est centré sur l’auteur-e, c’est-à-dire ?

Déjà au plan économique : le prix est décidé par l’auteur-e et il-elle touche tous les revenus des ventes (hors frais fixes bancaires, impression, transport). Ensuite l’auteur-e a la possibilité de créer jusqu’à trois manuscrits au sein de la collection 1.0., il-elle peut proposer sa propre collection, il-elle est invité-e aux diverses actions qui peuvent promouvoir son travail, il-elle n’a pas à attendre des années avant de savoir si son projet de livre va être sélectionné ou pas, il-elle peut commencer un projet d’écriture et fédérer des lecteurs, il-elle fait partie d’un collectif où il-elle a accès aux autres manuscrits des autres auteur-e-s, il-elle peut ainsi échanger avec eux-elles, proposer un livre collectif...

En somme, c’est un espace d’écriture « en cours » mais aussi une sorte de café littéraire en ligne (sans café ☕) ?

Disons que je souhaite vraiment proposer une notion de collectif au sens non contraignant, c’est-à-dire que chacun-e travaille à ses manuscrits mais peut échanger avec les autres ; il-elle fait partie de collections communes et il-elle peut participer aussi, à des actions de diffusion dans des lieux réels, des rencontres avec ses lecteurs…

Quel statut aura le lecteur-la lectrice sur le site editions-l ? Quels sont ses droits, ses devoirs, pourquoi est-ce qu’il-elle viendrait suivre/s’abonner à un projet ?

Le principe des éditions L est le suivant : un-e auteur-e est sélectionné-e par un-e responsable de collection (qui peut être aussi un-e auteur-e, ce que je souhaite vivement) qui va lui permettre de créer des manuscrits dans ladite collection. Des lecteurs potentiels peuvent s’abonner à chaque manuscrit, le prix de la version numérique et de la version imprimée étant décidé par l’auteur-e qui recevra la totalité des gains (hors frais inhérents à l’impression, transport...).

L’impression est-elle prise en charge par les éditions L ?

Ce sera pour la V2. J’étudie les meilleures options pour l’impression, avec une automatisation via des chaînes de print comme lulu.com. L’idée, c’est que l’impression est prépayée par le lecteur qui aura décidé de s’abonner au manuscrit ou qui aura choisi d’acheter directement dans la boutique une fois le livre terminé.

Le principe de la plateforme est la liberté absolue : un texte reste la propriété de l’auteur, il peut le placer en licence libre ou pas, il décide de son prix de vente, il décide de l’ouvrir en lecture à des lecteurs abonnés pendant plus ou moins longtemps, jusqu’à la publication.

Il peut aussi le proposer à une autre maison d’édition, les éditions L sont aussi une rampe de lancement pour des auteur-e-s, un outil pour tester, expérimenter.

Je souhaite à terme sceller des partenariats avec des maisons d’éditions pour leur offrir aussi, en parallèle de leurs productions classiques, un espace complémentaire. Il ne s’agit pas de s’opposer mais d’élargir grâce au réseau. Pour les lecteurs, l’abonnement est aussi une façon de soutenir le projet de livre d’un-e auteur-e en prépayant sa version numérique ou imprimée. Pour l’auteur-e, c’est plus qu’une ‘expérience’ d’écriture, je le vois comme une nouvelle façon de circuler dans les échanges avec l’autre, car Il faut aussi un peu bousculer ses habitudes, ses modes de penser le travail d’écriture et de propagation de son travail. C’est ce que font déjà les artistes.

Quelles relations pourraient se mettre en place entre lecteur/auteur/directeur de collection ?

Un-e responsable de collection choisit ses auteur-e-s, il-elle choisit la thématique d’une collection, la maquette et le format des livres, il-elle fédère ses auteur-e-s jusqu’à la publication.

Les lecteurs s’abonnent à des manuscrits d’auteur-e-s. Ils ont ainsi accès aux manuscrits en cours, même si l’auteur-e peut placer, si il-elle en a besoin, son manuscrit en mode invisible pendant un temps choisi. La seule obligation d’un-e auteur-e est de permettre aux abonné-e-s qui ont payé d’avoir accès de temps en temps à leur manuscrit et quand le livre est publié, de leur donner évidemment accès au téléchargement du livre numérique ou de leur donner un exemplaire de la version imprimée.

Donc, les éditions L ce n’est pas Amazon, ce n’est pas ouvert à tous. Je souhaite une certaine qualité dans les propositions, c’est pour cela que le principe de collection est selon moi le meilleur moyen d’élargir tout en restant dans des contraintes qualitatives.

Comment la collection peut-elle prémunir de la mauvaise qualité des écritures ? Dans le monde de l’édition, il y a aussi tout un tas de bouquins qui sortent (et marchent bien d’ailleurs, ce n’est même pas le sujet), mais qui n’ont pas de grande qualité littéraire. En quoi cette « certaine qualité » viendrait du principe de collection ?

On doit faire des choix. Soit on ouvre à tout le monde, soit je reste le seul décideur de ce qui est publié, soit je crée un collège qui décide qui choisir. J’ai préféré le principe intermédiaire : choisir des personnes qui auraient un projet de collection à définir et élaborer ensemble avec in fine, les outils qui vont leur permettre de créer leurs catalogue d’auteur-e-s, créer des manuscrits... j’oppose la qualité d’une certaine sélection via les collections à aucune sélection ; de plus un auteur peut aussi créer sa collection...

Tu dis vouloir proposer des modes de diffusion nouveaux, comme par exemple la lecture via un drone ou l’hyper-livre. C’est-à-dire ?

Pour sortir du modèle classique de diffusion en librairie ou celui de l’auto-édition pure en commande sur internet, on va essayer d’inventer d’autres façons de diffuser, mais aussi d’autres modes de ’lecture’ des livres, comme le drone par exemple, qui permet de diffuser sans que les auteur-e-s soient systématiquement présent-e-s, ou un objet de diffusion à déposer dans des lieux (comme les séances d’écoutes au casque) ou des séances d’impression via des imprimantes le temps de performances.

L’hyperlivre, c’est aussi essayer de trouver de nouvelles formes d’écritures qui ne pourraient pas se faire seulement avec le papier, un peu à la manière de l’hyperlien, mais avec différents auteurs et différents écrits. Ça reste expérimental mais je veux que cet expérimental soit possible sur la plateforme.

Est-ce un espace pour une nouvelle forme d’écriture ? Partagée mais seulement en mode lecture seule ?

Peut-être qu’effectivement, cette forme différente permettra aussi d’écrire différemment... Chacun-e fera sa cuisine avec les outils proposés. Et oui, je ne suis pas favorable au partage de texte avec commentaires. Je respecte assez le silence pour ne pas imposer de commentaires intrusifs des lecteurs... Le seul mode d’échange pour l’instant est la possibilité pour l’auteur-e, si il-elle le désire, de recevoir un message de ses lecteurs dans la messagerie interne des éditions L.

Donc éventuellement s’il-elle en reçoit et lit les messages, d’y répondre s’il-elle le souhaite ?

Oui absolument.

Comment comptes-tu animer/modérer la plateforme ? Dans une mailing liste ou sur un réseau social, il y a toujours un moment délicat où on doit prévenir/agir/contrôler. Est-ce toi qui sera aux manettes, as-tu pensé à une charte ?

Oui, il y aura une charte pour les lecteurs, une charte entre les auteur-e-s, responsables de collection et les éditions L. Un-e responsable de collection pourra refuser un manuscrit ou le retirer si il sort des règles usuelles (morale, copie...) et de l’esprit de sa collection. Mais mon travail en tant que responsable des éditions L sera aussi d’avoir un rapport étroit avec les responsables de collections.

Je ne peux que rebondir sur ce mot « morale ». La morale par définition, c’est un champ de mines : qui en décide, quelles sont les limites qui s’imposent aux auteur-e-s, qui porte la responsabilité des éventuelles atteintes aux « bonnes mœurs » ? Quand tu écris morale, j’entends censure... Cela pose aussi la question de la responsabilité de l’auteur-e. Comment se positionne la plateforme ? Si quelqu’un sort des clous, qui décide de retirer un livre, ou de le bannir ?

J’entends par morale la simple application de la loi, comme l’impossibilité d’inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination, de proférer des injures, des propos racistes ou des écrits à caractère pédopornographique... Au final, si il y a un problème, il y a quand même un choix et une décision, en l’occurrence celle du responsable d’édition, en accord avec les éditions L.

Comment les éditions L se positionnent-elles vis-à-vis des auteur-e-s qui voudraient trouver un lectorat plus classique : y a-t-il une exclusivité du texte posté sur editions-l, une pré-publication sur editions-l puis un contrat avec une maison d’édition papier sont-il possibles ?

Les textes appartiennent aux auteur-e-s, ils-elles peuvent en disposer pour les proposer à d’autres maisons d’éditions (tout en respectant leurs lecteurs abonnés qui auraient payé pour). On réfléchit avec Antoine Moreau qui a développé la licence d’art libre pour proposer aux auteur-e-s cette licence (et d’autres), qui peuvent être efficaces pour protéger les textes et les auteur-e-s.

Est-ce que les éditions L sont une association, une entreprise à but lucratif, un société coopérative ? Le statut juridique donne souvent une idée de la façon dont on conçoit un projet – cf openAI qui vient d’en changer pour devenir une entreprise à but lucratif.

La plateforme ressemble à tout ce que je fais depuis des années : il n’y a pas de bénéfice. Les outils permettent l’autonomie des auteur-e-s et des lecteurs. Je ferai sans doute un appel à dons pour les charges fixes (serveur…) et éventuellement une association s’il y avait besoin de répondre à un appel à subventions.

Mais sur le principe, je veux sortir des modèles classiques juridiques. La plateforme est une plateforme d’outils et de liens, bénévole s’il faut trouver un terme. Mon rôle, c’est de créer du lien, de l’échange, d’expérimenter de nouveaux modèles et cette proposition est évolutive, mouvante.

Le premier cercle des éditions L, c’est qui, pour écrire quoi ? Tu pitcherais ça comment ? En genre littéraire, en famille d’écriture, en expérimentations textuelles ?

J’ai créé la collection 1.0, elle invite pour l’instant un cercle d’amis, des auteur-e-s mais aussi des artistes, qui pourront à leur tour coopter d’autres auteur-e-s.

Les formes d’écritures, les genres, tout cela, ce sont des cases… Ce qui m’intéresse, c’est de rencontrer des gens prêts à imaginer de nouvelles formes de création et de médiations. Et de sortir des cases.

annick rivoire 

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