Extension pour Poptronics des « Politique(s) du dancefloor », conférence d’Arnaud Idelon au colloque « Existe-t-il une culture électro », le 13 avril 2019, dans le cadre de l’exposition « Electro : de Kraftwerk à Daft Punk », du 9 avril au 11 août 2019 à la Philharmonie de Paris.
« Infra_ » de Rebecca Topakian, ou l’abandon et la solitude extrêmes du teufer. © Rebecca Topakian
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Faire la fête au système : IN, OFF, AFTER (1)
La fête, le dancefloor, les raves, after et freeparties sont-ils des espaces politiques subversifs ? Arnaud Idelon, journaliste, enseignant et fêtard, a posé la question au colloque « Existe-t-il une culture électro ? » à la Philharmonie de Paris, prolongement à l’exposition « Electro : de Kraftwerk à Daft Punk ». On a tellement aimé son intervention qu’on lui a demandé d’y revenir par ici, en profondeur. Voici donc la première des trois parties de cette érudite et éclectique vision de la teuf, consacrée à la fête « IN » (c’est à dire à la subversion limitée). 🎉🎉🎉🎉🎉 « Admettons que nous ayons participé à des fêtes où, l’espace d’une nuit, une république de désirs gratifiés a été atteinte. Ne devrions-nous pas admettre que la politique de cette nuit a pour nous plus de force et de réalité que celle du gouvernement américain tout entier ? » Hakim Bey, « TAZ Zone autonome temporaire », 1991 « L’introduction d’un nouveau genre de musique doit être évitée comme danger pour tout l’Etat ; puisque les styles de musique ne sont jamais perturbés sans affecter les plus importantes institutions politiques. » Platon, « La République », 315 av. J.-C. 🎉🎉🎉🎉🎉 De quoi la fête est-elle le signe ? Le dancefloor est-il un laboratoire de formes sociales alternatives, un espace-temps fertile en utopies momentanées ? La fête politique, militante et engagée, on la trouve du côté des frees des Spiral Tribes dans les années 1990, dans les liens entre French Touch et lutte contre le sida ou, plus récemment, avec la manif de clubbers géorgiens devant leur Parlement après la descente musclée d’une unité de police au club Bassiani en mai 2018. La fête est-elle l’antichambre du progrès social (voir le mouvement des safe spaces pour la communauté LGBTQ), un raz-de-marée potentiel pouvant déborder jusqu’à la rue les murs du club et du warehouse ? « We dance together, we fight together ! », Tbilissi, réal. Nika Nikifi, 2018 : Lorsque l’on pose frontalement la question à l’une des figures de la nuit alternative parisienne et de sa scène squat, le militantisme festif prend direct du plomb dans l’aile : pour Jacques Auberger, génial démiurge électronique, « dans une teuf, tu as le même matos que pour faire une manif. Il y a des enceintes et un micro, au moment où tu as le micro devant ta bouche, ça peut devenir militant. Mais je n’ai pas l’impression que la lutte d’aujourd’hui se trouve à un niveau collectif. La vraie lutte qui divisera les gentils et les méchants dans les années à venir, c’est une lutte complètement individuelle. Se désister. C’est plutôt “ne pas” que “faire” que je trouverais militant. Calmer le mental c’est beaucoup plus engagé. C’est une lutte plus subtile bien sûr. Les lieux alternatifs, la fête peuvent aider indirectement, si ça permet à des personnes de se rencontrer et de se rendre compte de ça. C’est pas en allant prendre des TAZ dans des hangars que tu milites. C’est complètement banal à présent. Peut-être que c’était militant avant mais je sais pas, j’étais pas né. J’ai pas cette nostalgie : “ah oui avant c’était tellement rebelle”. » Bateau Rouge #2, session studio, Jacques (Auberger), 2016 : Douche froide pour qui projetait de sonder les résurgences politiques de nos nuits festives. D’autant que Jacques Auberger ne semble pas être un phénomène isolé : la vision d’une fête à l’image de notre société, individualiste voire narcissique, trouve des échos dans « Demande à la nuit de Anne-Laure Jaeglé » (1984, voir bibliographie plus bas), son roman aux accents autobiographiques nous immergeant dans la scène techno berlinoise. « Nous ne faisons qu’un, mais nos yeux restent fixés sur nos nombrils. Notre engagement politique se limite à participer à un open air contre la Gema, l’organisme de protection des droits d’auteur qui taxe les clubs et bloque la majorité des vidéos musicales sur internet. Notre engagement humanitaire se limite à signer en descente d’ecsta une pétition en ligne contre le massacre des orangs-outans de Bornéo. Notre engagement intellectuel à nous fantasmer en clochard céleste à la Kerouac lorsqu’on tombe en K-Hole dans l’herbe du parc de la Haseinheide. Je ne sais plus sur quel pied danser. Schizophrénie du milieu de la nuit… Pourtant, chaque ligne de basse pose les bases d’une révolution intérieure, me confère une force qui ne demande qu’à se focaliser. Dans le silence social du monde de la nuit, nous nous libérons de la peur de la solitude et de la mort. Nous sommes les kamikazes de l’ère post-historique. Lâcheté de penser la tâche impossible, trop vaste. De penser qu’à son niveau, ça ne sert à rien. De ne pas savoir où donner de la fête. » « Demande à la nuit », Anne Laure Jaeglé, éd. La ville brûle (2016), teaser : Au-delà de la subversion momentanée des normes et codes sociaux, quels sont les potentiels politiques de la fête ? Que fait la fête à l’individu et au collectif ? Quelle drôle de danse joue-t-elle avec le système dominant, entre instrument de contrôle, soupape, fuite et remise en cause ? Si la fête sait s’engager pour les grandes causes de notre époque, si elle peut parfois être le terreau fertile de l’émancipation et du militantisme, existe-t-il une politique plus immédiate de la fête ? Comment nos nuits festives rendent-elles possibles des configurations sociales alternatives ? Comment réinventent-elles l’individu, le collectif, l’être au monde et à l’autre ? Redessinent-elles nos modes d’interactions, nous changent-elles une fois venu le jour ? Altruisme du dancefloor On ne s’étendra pas sur les fêtes qui engagent une communauté sur le mode caritatif, pour défendre la biodiversité (Pete The Monkey) ou alerter sur une urgence humanitaire (Les Eveillés, Fée Croquer, Beats Across Borders) en reversant une partie ou la totalité des bénéfices à des causes d’intérêt général. Ces organisations, même si elles poursuivent des fins extra-festives, se consomment bien souvent comme des fêtes lambdas –n’étaient les relents d’altruisme de la gueule de bois qui s’ensuit. On n’analysera pas davantage l’hédonisme éclairé célébré par quelques artistes tant pragmatiques qu’idéalistes, convoquant la magie des beats et la fureur du groove pour faire passer au dancefloor des messages aux doux accents militants. Ainsi de Sentimental Rave ou La Fraîcheur égrenant dans leurs sets des bribes de discours féministes, et pour qui la musique jouera le même rôle que l’hypnose ou l’orgasme pour ancrer une idée au plus profond des corps, avec l’espoir secret que, la fête terminée, le germe prenne et infléchisse la trajectoire politique de son porteur. « The Movements », La Fraicheur, 2018 : Si nous saluons ces tentatives, elles n’en demeurent pas moins trop littérales pour constituer une véritable « politique de la fête ». L’objet de notre tentative de typologie s’appuie sur des situations où la fête tisse avec le système des rapports antagonistes et conflictuels, projetant une inflexion –momentanée ou plus durable– des normes qu’il intègre. Il existe deux grandes familles de moments festifs : ceux dont la subversion est intégrée à la norme, la récusant un temps pour mieux programmer son retour, et ceux qui se vivent comme refus catégorique du système, trouvant dans la résistance, le repli ou la fuite des poches possibles à sa mise en suspension. Sociabilités du dancefloorLa fête techno, au travers des sociabilités qu’engendre le dancefloor, est un espace de réflexion de configurations sociales alternatives. Elle permet un autre rapport au corps, à soi-même ainsi qu’à l’altérité et participe à une reconfiguration de réflexes sociaux diurnes au prisme de la disponibilité, la bienveillance, la tolérance, la fluidité tant en s’inscrivant dans une logique communautaire. La fête techno, souligne le sociologue Michel Maffesoli dans « Le Temps des tribus » (1988), se fait espace-temps cristallisant le tribalisme postmoderne : on appartient la nuit à une communauté hédoniste et dansante qui s’évaporera aux premières lueurs du jour (ou un peu plus tard). Somme de solitudes Car la nuit festive doit se lire au prisme du balancier entre individualisme et idéal communautaire, solitude et appartenance. Le dancefloor est une somme de solitudes, chacune centrée sur soi et rentrant, par la transe et la musique, dans un état de communion collective. L’artiste chinois Chen Wei le montre à sa manière dans les images posées, artificielles de sa série « In the Waves » : aucune sociabilité possible, comme si la fête, la drogue et la musique faisaient rentrer chacun dans une individualité étanche. Aucun regard, aucune accroche, aucune amorce pour un devenir collectif des danseurs rassemblés sur la piste. L’aporie est crevée avec les photographies de la série « Infra- » de la photographe franco-arménienne Rebecca Topakian qui scrute dans les nuits gabbers et leur relative obscurité, armée d’un appareil photo ne captant que les infrarouges, à la recherche de ces moments de transe extatique où les sujets se livrent à un total abandon.
Elle vient y chercher une fête absolue, minimale, épurée des parades sociales et de la séduction pour une alchimie des corps tout entiers tournés vers la danse et la célébration de leur propre solitude. Lectrice de Maurice Blanchot (« La Communauté Inavouable ») elle révèle dans ces images statiques, dans l’étrange sourdine de ces monochromes presque transparents, où les veines bleutées viennent percer la peau blanche des danseurs, les paradoxes de la communauté festive, sur la ligne de crête entre singularité et appartenance. Les torses nus, l’absence de marqueurs stylistiques et sociaux, débarrassent les danseurs des indices de leur vie diurne et donnent à voir ce qu’il en reste : le plaisir d’être hors-de-soi, bousculés par les mêmes nappes et beats, et la communion des solitudes. Dans ces anti-portraits qui disent si peu de la personnalité des danseurs, elle montre ce collectif paradoxal : tous semblables ensemble, interchangeables, autant de figures possibles d’une communauté dansante. Micro-sociabilités de la fête Aux antipodes de cet isolement des figures, le vidéaste serbe Bogomir Doringer embrasse les points de vue zénithaux pour filmer depuis le haut grâce à des drones, les fêtes LGBT d’Amsterdam. D’une échelle à l’autre, on passe d’une foule hétérogène et sans liant, des nappes de corps écrasés par la contre-plongée et le slow motion, à des micro-groupes, comme autant de petites sociétés momentanées prenant naissance dans l’anonymat de la foule. « I Dance Alone », Bogomir Doringer, extrait au HAIFF festival, 2015-2017 : On retrouve ces micro-groupes dans les premières images de la série « Abandon » de Cha Gonzalez qui vient saisir, dans une lumière picturale, des moments de calme dans la fureur de l’after (au Péripate notamment) et montre dans ses images des sociabilités (amicales, amoureuses, sexuelles) isolées dans le bouillonnement de la piste : l’intimité au cœur de la communauté.
Chez l’artiste et chorégraphe franco-autrichienne Gisèle Vienne, on retrouve cette solitude d’individus éloignés l’un de l’autre, se regardant peu, éloignés aussi par le slow motion qu’imprime aux corps la chorégraphie extrême de « Crowd » ; mais, dans la lenteur des mouvements, ce sont des micro-connexions, de micro-drames, des histoires qui se jouent entre chacun, une communauté de gestes et d’intentions. « Crowd », Gisèle Vienne, 2017 : « To Da Bone » de (La)Horde montre comment une communauté peut naître dans l’espace-temps partagé d’une musique éprouvée collectivement par le geste et la danse. A cela s’ajoute l’idée d’une communauté digitale où des danseurs adeptes de danses apprises sur Youtube (jumpstyle, hardstyle, gabberz…) se retrouvent sur l’interface physique de la scène, unis par une culture en commun. « To Da Bone », (La)Horde, extrait, 2018 : Politiques du dancefloorEspace-temps de redéfinition d’une posture à l’autre ainsi que d’une posture à soi, la fête est un espace fertile en sociabilités alternatives, et est en cela foncièrement politique. Rousseau le dénotait déjà dans sa « Lettre à d’Alembert sur les spectacles » : la fête a le potentiel de l’engagement, un devenir acteur du spectateur. « Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes. » Le philosophe Michaël Fœssel, qui relit Rousseau dans « La Nuit. Vivre sans témoin » (2017), pose la fête comme temps de la suspension du jugement et du mécanisme cognitif de comparaison : « L’obscurité égalise les hommes en les rendant pauvres en perceptions claires et distinctes. Ce faisant, elle dépouille les yeux du pouvoir de juger en même temps qu’elle ôte des cœurs le désir de se faire paraître à son avantage exclusif. Il faut partir du dénuement des corps dans la nuit pour comprendre qu’elle favorise des expériences où les hommes sont en situation d’égalité. » La fête est par essence politique, potentiellement utopiste, potentiellement déviante, potentiellement anarchiste. « Le peuple de la nuit se définit par des manières de voir qui laissent à la surprise ou à l’attitude scandaleuse le droit d’occuper la scène, étant entendu que cette scène ne devient jamais le centre à partir duquel s’organise la fête, écrit Michaël Fœssel. Ce peuple est paradoxal parce qu’il se situe toujours au bord de l’anarchie. » Antichambre du progrès social La fête lue à bras le dancefloor montre quelles mises en questions, reconfigurations et reformulations du corps social elle peut générer, à mi-chemin entre utopie momentanée et dystopie funeste. La fête est-elle politique ? Elle offre du moins le potentiel de réappropriation du politique en son sens premier : être-ensemble et vivre-ensemble. Ce serait une erreur de relire le ferment politique de cette musique exclusivement à la loupe de la répression. Le politique est précisément cette manière de se rassembler, de communiquer. Et puis, le rituel a une portée politique. S’exprime dans les fêtes actuelles une liberté de mœurs et de pratiques qui fait écho aux progrès en termes de droit des minorités mais également aux attaques de plus en plus virulentes à l’égard de ces minorités, explique ainsi le curateur d’« Electro » et historien des musiques électroniques Jean-Yves Leloup : « Les seins nus en club aujourd’hui, c’est quelque chose de très symbolique, de très caractéristique de notre époque : cette volonté chez les femmes militantes de montrer que l’on devrait avoir le droit d’être torse nu en ville s’exprime dans ces lieux de fête. » La fête est-elle vraiment l’antichambre du progrès social ? Elle est en tout cas une autre échelle du possible, comme le dit le plasticien Nelson Pernisco : « Dans la fête, il y a des choses réalisables à ton échelle que tu n’arrives pas à réaliser à l’échelle de la société. » Encore faut-il distinguer un régime festif dont la remise en cause du système est orchestrée vers un retour vers l’ordre établi (« IN ») et une fête qui met à distance le système en place en suggérant des pistes alternatives (« OFF »). Cette tentative de typologie s’appuie sur des situations où la fête tisse avec le système des rapports antagonistes et conflictuels, projetant une inflexion momentanée ou plus durable des normes qu’il intègre. On peut à ce titre distinguer deux grandes familles de moments festifs : ceux dont la subversion est intégrée à la norme, la récusant un temps pour mieux programmer son retour, et ceux qui se vivent comme refus catégorique du système, trouvant dans la résistance, le repli ou la fuite des poches possibles à sa mise en suspension. « IN » ou la subversion intégrée au systèmeOn dénombre dans cette première catégorie de la fête « IN » trois registres festifs, dont chacun serait la déclinaison atrophiée du précédent. La subversion y est encouragée au sein d’espaces autorisant maintenant, tout en les invisibilisant, des normes sociales édulcorées. Dans ce grand système ludique, permettant l’excès dans les limites départies par la règle du jeu, que les videurs appliquent à la lettre en corps arbitral du club, l’effraction reste sans conséquence. Au pire rentrera-t-on bredouille, sans veste ni bande, pour affronter une marche à pied au cœur de l’hiver. Quoi qu’il en soit, le design permissif de ces nuits élude la responsabilité individuelle de chacun : puisqu’il y a des arbitres, je peux jouer avec la règle, flirter avec ses limites, sans craindre un rappel à l’ordre proportionnel à mes excès. La responsabilité est diffractée, non pas sur le collectif mais sur l’infrastructure et les services que dispose ce type de fêtes. Upside down : renverser Le premier niveau de ce registre festif « IN » est celui de fête « soupape » qui prend racine dans le découpage calendaire issu de l’Ancien Régime, égrenant l’année d’instants de relâchement à la fréquence savamment dosée et permettant, sur le mode de la célébration religieuse ou nationale, à la plèbe se s’émanciper du labeur quotidien. Cette fête ritualisée se pratique comme le renversement momentanée des valeurs et hiérarchies sociales usuelles rapprochant, sur le mode de la profanation, individus, registres et esthétiques dans un syncrétisme cathartique à l’obsolescence programmée. Le philosophe russe Mikhaïl Bakhtine, exégète de l’œuvre de Rabelais et théoricien du carnaval, parle du « triomphe d’une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous. C’était l’authentique fête du temps, celle du devenir, des alternances et des renouveaux ».
Mais les possibles qu’ouvre le carnaval ne s’expérimentent que sur le mode de la parenthèse : « Pour un bref laps de temps, la vie sortait de son ornière habituelle, légalisée et consacrée, et pénétrait dans le domaine de la liberté utopique », écrit-il. La migraine du lendemain sonne le retour au cours normal de l’existence, aux privilèges, aux inégalités et aux déterminismes. Malgré ses atours subversifs, cette fête sert le pouvoir en place qui l’ourdit comme un contrepoint bienvenu à la colère ou la lassitude. Les résurgences contemporaines de la fête « soupape » restent sensiblement les mêmes, à ceci prêt que les fêtes saintes doivent composer avec la coupe de l’UEFA et le Black Friday. « LSD, la série documentaire : Une histoire du dancefloor », France Culture, 25 février 2019 : Saturday Night Fever : se venger Plus violente, parce que vécue sur le mode du ressentiment, la fête « revanche » s’illustre par une volonté du fêtard de racheter, par la violence et l’excès, le quotidien médiocre que la société lui impose. « At least, a good night out », c’est ce slogan mancunien révélé par Dave Haslam dans « Manchester, England : The story of the pop cult city » (1999) qui résume le mieux son programme : dès le vendredi soir, abolir la semaine et chercher, jusqu’au dimanche soir, l’exutoire –quitte à débuter la semaine dans les limbes dépressives d’un demi sommeil cotonneux. Il ne s’agit plus d’inverser un ordre établi, mais de jouer de l’intensité de sa présence au monde. Des jours entiers de repli sur soi à faire le dos rond, dans un état proche de l’hibernation, pour quelques heures de vie intense, de plaisir immédiat d’être à soi. Toujours ça de pris, que n’auront pas les patrons, en somme. Madchester n’est pas si loin, et un détour par Pigalle aux prémisses du week-end suffira à s’en convaincre : la fête est vengeresse. « Beats », de Brian Welsh, bande-annonce (2019) : Superman : renchérir Enfin, sorte de méta-registre tant il recoupe et englobe les précédents, la fête « consumériste » consiste en la célébration hédoniste de la puissance dans l’excès. A grands coups de shots, de tournées offertes à la volée et de culs secs virilistes, il s’agit de faire advenir un surhomme, nihiliste et jouisseur, affranchi des normes, des limitations et des garde-fous ordinaires. Et puisque le décompte sur le compte-chèque ne s’amorcera pas avant la fin du week-end, aucune limitation si ce n’est celle d’un corps que l’on pousse dans ses ultimes retranchements, quitte à flirter avec le black out, le dégueulis ou le vulgaire. Puisque la fête est un racket organisé, que l’on se déleste d’une centaine d’euros avant même d’avoir atteint le dancefloor, la jouissance semble un dû, que l’on quémande à ses congénères du sexe opposé, titubant mais sûr de son bon droit. De cette démesure, « La Grande Bouffe » de Ferreri (1973) est le pendant cinématographique comme le long incipit cocaïnomane de « Bright Lights. Big Cities » de Jay McInerney (1984) serait son équivalent littéraire. C’est ce dancefloor mué en marché des corps chorégraphiés dépeint par Houellebecq dans « Extension du domaine de la lutte », illustration définitive d’une fête où l’on se consomme, à défaut de se consumer. 📖📖📖📖📖 Bibliographie Anne-Laure Jaeglé, « Demande à la nuit », éditions La Ville Brûle, Paris, 2016 Michel Maffesoli, « Le temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes13 », éditions de la Table Ronde, Paris, 1988 Maurice Blanchot, « La Communauté inavouable », éditions de Minuit, Paris, 198’ Jean-Jacques Rousseau, « Lettre à d’Alembert sur les spectacles », éd. M. Fuchs, Lille, 1758 Mikhaïl Bakhtine, « L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance », Gallimard, Paris, 1970 Michaël Fœssel, « La Nuit. Vivre sans témoin », éditions Autrement, Paris, 2017 Dave Haslam, « Manchester, England. The Story of the pop cult city », Fourth Estate Ltd, London, 1999 Jay McInerney, « Bright Lights. Big Cities », éditions de l’Olivier, Paris, 1997 Michel Houellebecq, « Extension du Domaine de la lutte », Editions Maurice Nadeau, Paris, 1994 🎉🎉🎉🎉🎉 A suivre prochainement, la deuxième partie de cette typologie du dancefloor, sur les fêtes qui jouent au bras de fer avec le système.
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