Interview du performer et chorégraphe Kris Verdonck, reprise numérique du nouveau numéro de « Patch », la revue du Centre des écritures contemporaines et numériques de Mons (CECN).
« Mass », première de cette installation de Kris Verdonck du 3 au 5/12, Next Festival à Courtrai (Belgique)-

Rencontre autour de « Patch » le 4/12 à 19h au 104, à Paris 19e, en présence de Clarisse Bardiot, rédactrice en chef et Cyril Thomas, coordinateur de la revue (et pop’chroniqueur). Le nouveau numéro de « Patch », sur le thème « Acteur/Machine », est disponible auprès de info@cecn.com
Kris Verdonck place les corps en apesanteur, dans "Duet" ou "I/II/III/IIII", comme s’ils étaient à la merci des machines. Manière de montrer notre dépendance à la technologie ? © Hendrik De Smedt
< 04'12'09 >
Kris Verdonck : « Sur scène, les robots ont une âme »
Il n’a pas eu l’autorisation des ayants-droit de Beckett pour sa première d’« Actor #1 » dans le cadre du Next Festival à Courtrai (Belgique). Qu’à cela ne tienne, Kris Verdonck y présente deux installations, « Mass », un bassin de fumée dansante, et « Dancer #2 ». Le chorégraphe et metteur en scène flamand est de ces figures inclassables qui combinent et hybrident avec élégance la danse et l’architecture, l’acteur et la machine. Les machines qu’il dirige ne sont jamais utilisées comme des gadgets mais sont une part de langage incorporé dans son univers fragile. Après des études d’architecture, d’art et de théâtre, Kris Verdonck, né en 1974, a d’abord travaillé pour la radio avant de réaliser de nombreuses installations (« Catching Whales Is Easy, II » en 2005 ou « Variatie II » en 2006 par exemple) et dirigé des pièces de théâtre dont « B.O.I » en 2000, « (CaO)n » en 2001 ou encore « I/II/III/IIII » en 2007. Entretien au long cours sur la façon de travailler avec les machines de cet artiste hors norme (publié dans la revue papier « Patch » du CECN).

Quand avez-vous pour la première fois utilisé une machine ou un robot sur scène ?
J’ai employé une sorte de broyeur, une machine spéciale, pour un spectacle intitulé « Dancer # 1 » en 1993. Je travaillais sur la tragédie grecque et dans toutes les tragédies grecques, le destin du héros est déjà tracé : tout le monde sait qu’il va mourir à la fin. Peut-être à cause de mes études théâtrales, je désirais quelque chose de plus pour cette pièce. Je réfléchissais à une machine qui se détruirait elle-même, à une machine qui dès le départ sait qu’elle va être détruite, qu’elle va mourir à l’instar du héros. Je ne souhaitais pas avoir simplement des acteurs qui récitent un texte appris par cœur ou qui fassent semblant que des événements ont lieu sur scène. Je désirais une véritable explosion, je me suis alors tourné vers les machines et les performances. Ce n’est pas si étrange, ni si compliqué de comprendre qu’une machine peut se détruire elle-même. En outre, si vous vous placez sur un niveau plus théorique, celui de la communication, vous pouvez percevoir de belles choses avec des machines placées sur une scène de théâtre. Le public s’identifie facilement à un objet, à un robot ou à une machine. Pensez à la mort du petit robot à la fin du film « Star Wars », tout le monde est en larmes parce que le robot était gentil. Personne ne pense à dire : « Hey, c’est juste une machine, il n’y a pas de problème ! » En somme, les robots peuvent avoir une âme, prétendre à une existence sur scène et être assimilés à des personnages.

Quelle a été votre première installation avec des machines ?
Il s’agit de l’installation « Five », une collection de cinq pièces avec des objets présentée au Kunsten Festival des arts.

Lorsque vous concevez une performance, une installation ou une pièce de théâtre mettant en jeu une machine, travaillez-vous avec des ingénieurs ?
Je conçois la toute première idée de la machine, c’est-à-dire ce qu’elle doit faire, ce qu’elle doit être capable d’accomplir. Ensuite, vient la construction. Dès que j’ai une idée très précise, je collabore avec toutes les personnes nécessaires à sa réalisation : ingénieurs, techniciens, scientifiques. La plupart du temps, je n’ai pas une image en tête mais plutôt un système. Pour « Dancer # 1 », je voulais façonner une machine qui se détruise réellement, quelque chose de très oppressant. Il fallait juste inventer un système de crochet, une sorte de “L” en acier relié à la machine, qui permette à la fois de la suspendre et de la détruire. Comme le système est assez simple, je l’ai réalisé. Lorsque la machine se complexifie comme dans « I/II/III/IIII » (2007), je fais appel à des ingénieurs. Parfois, je suggère ou formule des propositions.

« I/II/III/IIII » de Kris Verdonck en février 2008 au Kaaitheater de Bruxelles :


Pour « I/II/III/IIII » puis pour « Duet » (2009), quel genre de relation vouliez-vous obtenir ou créer entre les machines et les danseurs suspendus dans les airs ?
Dans « le Lac des Cygnes », il y a un quartet composé de quatre danseurs qui se tiennent chacun par la main. Ils font tous exactement la même chose, un peu comme des robots. Ils sont supposés être totalement parallèles. La beauté survient lorsque l’un d’entre eux commet une petite erreur et que celle-ci se répercute aux quatre corps. Chacun d’eux veille sur l’équilibre de l’ensemble. Cette fragilité m’intéresse. Je voulais montrer ce détail. Je voulais montrer cette interactivité en la combinant à la rotation et à la gravité.

Vos machines sont-elles des sculptures ?

Je les perçois plus comme des personnages, comme des acteurs que comme des sculptures vivantes !

Comment se déroule le travail entre les acteurs, les danseurs et vos machines ?
Mon point de départ reste toujours le même : le texte, n’importe quel texte, même de la poésie. Je commence par étudier la dramaturgie du texte. Puis lentement, une idée apparaît entre l’objet et le corps. L’objectif à atteindre réside dans la création d’une machine qui va influencer l’acteur ou le performeur par la mise en place d’une tension théâtrale. Après avoir placé une machine sur scène, nous discutons avec les acteurs de la dramaturgie. Les acteurs commencent alors à interagir avec l’objet, ils l’apprivoisent avant de travailler concrètement avec elle. Même si une machine reste une machine, ils doivent se connaître l’un l’autre. Ils jouent tout en comprenant les possibilités de la machine. Puis, avec les ingénieurs, nous travaillons sur la machine afin qu’elle corresponde le plus aux attentes des acteurs. Ensuite, vient le moment ou les acteurs rentrent chez eux, tandis que la machine repart vers l’atelier où nous effectuons des modifications selon les souhaits des acteurs afin de la rendre plus confortable, de la faire aller plus vite ou moins vite, etc. Durant la période des répétitions, la machine influence les acteurs mais l’inverse se vérifie également.

Votre processus de travail est fondé sur l’échange, entre vous et la machine, vous et les acteurs, les acteurs et la machine ?
Oui, il s’agit bien d’un échange. Il se produit parfois de drôles d’anecdotes, par exemple durant les répétitions de « End » (2008-2009) où nous avions isolé les acteurs, les danseurs avec leurs propres machines. J’ai entraperçu des conversations entre deux acteurs. L’un demandait à l’autre s’il avait commencé à comprendre sa machine et comment elle était. La réponse de l’autre fut : « Je n’ai pas encore perçu le langage de ma machine ou ce qu’elle veut me dire, mais nous allons y arriver. » Il y a donc bien une véritable interaction entre eux.

Pouvez-vous nous raconter « End » ?
Je voulais garder mon langage entre le corps et la machine. Avec la dramaturge Marianne Van Kerkhoven, nous avons inventé 10 figures ou 10 personnages voire 10 créatures, fondés sur des personnages historiques qui peuvent être à la fois totalement humains, ou totalement des machines mais qui sont également mi-humain mi-machine. Il n’y a pas de différence entre les acteurs et les machines, ils sont tous équivalents sur scène. Nous voulions montrer les possibles fins de notre société humaine en dix tableaux. Cette œuvre fait également référence à la bombe atomique. A cette époque, toutes les choses devenaient temporaires. Temporaire, éphémère, le véritable futur disparaissait parce que nous pouvions détruire notre planète. Tout le monde comprenait alors que toute chose demeure temporaire. Dans cette œuvre, les objets et les machines sont liées à une idée : ils peuvent soit détruire notre monde soit le sauver. C’est pourquoi cette œuvre s’intitule « End ».
Je ne me soucie pas de la manière dont notre planète sera détruite. Mon attention se focalise sur le langage des machines. Dans cette œuvre, par un travail sur les textes, j’évoque la tension entre le corps et la machine. Les objets sont bien réels et me servent de référence. En effet, si je parle d’une porte, demain, elle continuera à être une porte. En somme, je travaille sur cette idée de temporaire en l’associant aux machines, aux objets, aux textes. J’intègre également ide véritables histoires et notamment celles relatées dans l’ouvrage de Sir Martin Rees, un astronome royal anglais, qui s’intitule « Our Final Century : Will the Human Race Survive the Twenty-first Century ? » où il évoque la fin du monde. Ce n’est pas un livre très joyeux ! Il donne huit catégories sur la manière dont nous allons nous détruire si nous ne changeons pas. Il prend de véritables exemples historiques comme le génocide du Rwanda, etc. Ce texte a servi à écrire le monologue de Johan Leysen. Nous avons commencé par parler du personnage : comment devait-il s’adresser au public, comment parler de ces choses si horribles ? Il devait incarner davantage un témoin qu’un personnage tragique… Il devait raconter tous ces événements tragiques mais aussi être le résultat de toutes ces choses. Le but principal de cette pièce consiste à montrer sur scène le résultat d’un environnement technique qui nous est profondément hostile.

Dans vos productions, quels types de robots ou de machines utilisez-vous ?
J’emploie beaucoup de machines mais je ne les nommerais pas des robots. Il n’y a qu’une seule machine interactive. Je ne sais pas vraiment comment définir un robot, ce qu’il est véritablement, sauf bien sûr les humanoïdes. Plus la machine devient interactive, plus elle ressemble à un robot. De toute manière, je ne pourrai pas définir ce qu’est l’interactivité.

Comment analysez-vous le lien entre la vidéo et vos acteurs dans « Still » (2006) et « Dumb » (2009) ?
Je m’intéresse plus particulièrement à la vidéo comme médium, au film comme médium surtout lorsqu’ils influencent physiquement les acteurs, en les emprisonnant, en les ralentissant ou au contraire en les accélérant.

Comment votre intérêt pour Franz Kafka s’est-il construit ?
Par accident. Je participais à un workshop, quelqu’un a apporté la nouvelle « Le souci du père de famille » dont le personnage principal se nomme Odradek. Personne ne sait qui est véritablement Odradek : est-ce un personnage ? est-il vivant ? est-ce un objet ? Les objets vivants, les robots vivants s’associent à l’inquiétante étrangeté. Le moment où les robots prennent vie, ils deviennent cette inquiétante étrangeté. Les gens avaient peur la première fois qu’ils ont vu des automates. Un scientifique japonais évoque le fait que lorsque des robots sont trop humains, ils en deviennent effrayants. Tous ces personnages sont en quelque sorte des étrangers dans leurs propres environnements.
recueilli par cyril thomas 

votre email :

email du destinataire :

message :