« Le Temps d’une Chanson » dans la « Discothèque des souvenirs », une création Internet de Régine Cirotteau. Le principe : déposer on line un souvenir associé à une chanson.
Toute chanson a une histoire, la nôtre, celle que Régine Cirotteau veut recueillir dans sa « Discothèque des souvenirs ». © DR
< 03'10'07 >
La discothèque des souvenirs : l’anti-discothèque idéale

A la fois kitsch et hautement participative, la création de Régine Cirotteau chez Synesthésie (le magazine et centre d’art en réseau), a tout d’une petite friandise, de celles que la brune vidéaste fantasque adore. On entre sur un air de bal musette (« Mon amant de Saint-Jean », croit-on vaguement reconnaître, mais ce peut aussi bien être « Le temps d’une chanson »…), la page clignote de pixels-boules à facette verts, bleus, roses, jaunes, rouges et orange sur fond noir. C’est « Le Temps d’une Chanson » dans la « Discothèque des souvenirs ».

Le souvenir de Gilles, à propos de « Desire », la chanson de Dylan : « 1977, je bosse comme docker à St Helier, je loge dans l’arrière-boutique d’une petite épicerie de campagne tenue par une bab et un type qui deale des trucs pas nets, j’écoute “Desire” en boucle sur une track. L’époque est plutôt confuse, les idées personnelles pas très claires et le shit n’offre pas que des super trips. Descente de flics, perquisition en règle. Ils emportent les cendres suspectes. Mon chef des docks, ex-alcoolo, plaide pour moi. Sex and drugs and rock n’roll plaisante Ian Dury, it’s very good indeed. » Ou cet autre, plus sibyllin, sur « Allouch » d’un certain Ali Dick, signé Fred : « rencontre avec celle qui allait devenir ma femme ». Souvenirs privés, intimes, liés à une musique, une chanson, souvenirs anciens ou très récents, comme cet autre, inscrit par une certaine Bianca dans la base de données du site à propos d’« Happy Violentine », de Miss Kittin (2007) : « Dis, tu me passes le CD de Miss Kittin dont tu me parles tout le temps ? (…) C’était nous que je retrouvais dans cette chanson ce jour un peu gris de la rentrée où je m’étais coupé les cheveux tu te rappelles ? »

Lancée début septembre, la « Discothèque des souvenirs » s’inspire du « Je me souviens » de George Pérec en le mutualisant. Ouvert à la participation, l’espace mémoriel propose à chacun d’enrichir la mémoire musicale collective tout en l’augmentant d’une vision chromatique. « Les souvenirs composites, entre récit, musique et couleur, sont captés, défragmentés, en fonction des genres musicaux et du vocabulaire des sens : jaune acide, rose joyeux, bleu terrible, etc., constituant le centre mémoire d’une discothèque imaginaire, d’une cartographie des souvenirs et d’une gamme chromatique des sensations », explique l’introduction au projet. Et, de se souvenir en couleur, nous revient en mémoire cet autre projet à la troublante proximité, celui de l’artiste sonore Brandon Labelle, qui, en 2005, débutait sa collecte de souvenirs, radio cette fois.

Avec Phantom Radio, près de quatre-vingt-dix-sept contributeurs tout autour du monde avaient raconté leur souvenir, qui aussitôt faisait l’objet d’une fiche entrée dans la base de données écrite et pas du tout sonore. Ici aussi, les titres de chansons s’enquillent sans rapport aucun avec un genre ou même une décennie, de Bonnie Tyler à Bowie en passant par Darius Milhaud ou Spandau Ballet. Brandon Labelle souhaitait avec cette pièce, « Radio Memory », dont il a montré une version installation, en France à l’espace culture multimédia Gantner près de Belfort en 2005 (avec du son, cette fois-ci), explorer « la relation entre la musique et la mémoire ». La mettre ainsi en lumière, c’est révéler « la nuance et les potentialités qu’a la musique de partiellement construire sa propre mémoire, où il devient difficile de savoir quand la chanson finit et le souvenir commence ».

Dans les deux cas, même en étant confronté à ces fragments d’intime, jamais l’internaute n’a le sentiment de voyeurisme qu’il peut éprouver face à certains sites de réseaux sociaux, où sont mis en scène les vies privées, leurs goûts et couleurs (on songe notamment à l’affreux Twitter, qui répond soi-disant à la question « que fais-tu ? » et donne l’emploi du temps quasi exhaustif de l’internaute qui en fait usage). Ici au contraire, les souvenirs peuvent enrichir une sorte de mémoire collective et sensible de la musique.

annick rivoire 

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