La toute nouvelle chronique NextGen du net-artiste David Guez s’attaque cette semaine aux technologies nomades vues à travers le prisme du cinéma, en l’occurrence le dernier film de Roman Polanski, « Ghost Writer ».

David Guez participe par ailleurs ce 24/03 au dispositif Radart spécial mobilité à la Cantine, où il présente un projet de réalité augmentée sonore. A partir de 18h45, 151 rue Montmartre, Passage des Panoramas 12 galerie Montmartre, Paris 2eme.

Ewan Mc Gregor dans "Ghost Writer", de Roman Polanski, qui renoue avec ce film avec le bon cinéma. © Pathé Distribution
< 24'03'10 >
Polanski 2.0

(NextGen) Plutôt pas mauvais, voire assez bien foutu, le dernier Polanski, « Ghost Writer ». Mais c’est sa façon de traiter les nouvelles technologies qui m’a intéressé. A un moment clef du film (qui va dénouer toute l’intrigue), le personnage principal retrouve le chemin d’un potentiel meurtrier en se fiant... à l’historique du GPS de la voiture d’une célèbre marque allemande, à l’évidence sponsor du film. C’est le côté insupportable et intrusif de la machinerie hollywoodienne que d’utiliser ces mêmes nouvelles technologies pour s’offrir un spot de pub à l’intérieur d’un film. Mais le propos est ailleurs.

La scène en question est assez magnifique : le héros utilise la voiture de la victime pour rentrer à son hôtel ; le GPS se met en marche automatiquement ; une voix suave indique la direction opposée à l’hôtel, appuyée par une flèche qui clignote sur l’écran 13 pouces du GPS à 3000 euros ; le héros persiste dans sa direction ; le GPS insiste ; le spectateur et le héros comprennent que la voiture a enregistré le dernier trajet de la victime qui va donc conduire au meurtrier potentiel. S’ensuit une scène haletante entre le héros et le GPS... jusqu’à la grille de la résidence d’un personnage clef : du vrai Hitchcock, enfin, du BON Polanski des premières heures !

Fantastique… Polanski intègre dans une trame de cinéma classique l’idée que les objets d’aujourd’hui et surtout ceux de demain vont devenir les containers de nos mémoires individuelles ; c’est déjà vrai avec nos téléphones portables mais 2010-2011 marquera à coup sûr le lancement de masse de ces objets dits communicants, portatifs et mémoriels.
Notre identité sera volatile et partagée, réutilisée, réinterprétée via des applications de réalité augmentée qui se précisent pour devenir une véritable interface du regard.
Des traces persistantes vont se coller aux murs, aux corps, aux odeurs et vont compléter la carte bancaire, le pass Navigo ou les caméras de sécurité.
On ne compte déjà plus les applications qui permettent de tracer la ligne de son parcours sur une Google Map en avertissant en temps réel ses amis... ou ennemis.
Il sera littéralement impossible d’échapper au regard collectif, à son utilisation commerciale instantanée, à ses effets de bord sécuritaires. Vous ne voyez pas ? On parle ici d’une appli qui capterait les mimiques des visages d’une foule, en analyserait l’état affectif (content, méchant, nerveux...), tracerait en temps réel une cartographie de l’insécurité.
Cependant, dans « Ghost Writer », il est amusant de constater le fait suivant : comparé au réseau humain, le réseau des objets connectés est un gentil garçonnet. L’histoire s’écrit de façon subjective par l’accumulation des traces, des enquêtes, et des analyses ; l’objet n’est que le témoin, le relais mais jamais la preuve.
Revient alors la responsabilité aux systèmes de contrôler le terrain des opérations. Un enjeu plus humain que technologique. On en veut pour preuve l’échec d’un Google Buzz (le dernier service de Google) excessivement intrusif, qui a fait perdre plusieurs points à la firme dans sa course aux réseaux sociaux.

La question reste cependant posée : comment ces technologies vont-elles nous poursuivre, pénétrer nos vies privées, poussant petit à petit les limites de notre capacité à rester vigilant ? Et qu’en est-il des nouvelles générations ? Une enquête belge sur les jeunes « off-line » démontrait tout récemment que les 15-25 ans sont beaucoup moins bidouilleurs que leurs aînés, qu’en majorité ils ne savent plus démonter un ordinateur, utilisent vaguement un traitement de texte et restent captifs uniquement à l’intérieur de l’interface du navigateur internet.

Polanski poursuit la veine des paradoxes des technologies du réel : il oppose la clé USB au manuscrit papier qui serait le meilleur moyen de ne pas propager l’information, le plus à même de rester dans un rapport relationnel intime. Il serait même l’objet de tous les encodages et décodages : les feuilles se réorganisent, se coupent, se superposent, le médium devient le dispositif même du codage, pour au final s’envoler dans le vent d’un accident avec le héros, l’auteur et son secret.

Les résistances du livre sont propres au médium : le papier, les feuilles, leur empilement, la masse de l’ouvrage, sa densité, son odeur, sa capacité charnelle à entrer en relation avec nos mains et nos doigts… Quid de l’iPad d’Apple lancé fin avril en France (début avril aux Etats-Unis) ? Quid du Kindle d’Amazon ou de la console de jeux Nintendo qui signe des partenariats avec des éditeurs en forçant la métaphore du classique (les œuvres classiques, une console devient classique, elle s’intègre dans la culture de masse, elle est identique au livre qu’elle a la capacité de remplacer) ? Le livre est bien la dernière bataille du numérique dans sa conquête des médias classiques (son, film, photo,...). Espérons qu’il lui résistera longtemps. Et c’est l’occase de foncer au Salon du livre ;)

Prochaine NextGen : Post-humain

david guez 

votre email :

email du destinataire :

message :