Diaporama sonore sur le Slave Theater de New York. Ce berceau de l’activisme afro-américain à Brooklyn est en danger. Images Natasha Phillips, montage Cherise Fong.
Al’intérieur du théâtre, les vestiges des périodes fastes… © Natasha Phillips
< 23'12'10 >
Qui sauvera le Slave Theater à New York ?

New York, correspondance

Même à l’ère Obama, même dans la ville cosmopolite de New York, nul doute qu’aux Etats-Unis mieux vaut être riche et blanc que pauvre et noir. Le Slave Theater, « théâtre esclave » situé dans le quartier noir et pauvre de Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn, en atteste. Sans chef visionnaire, sans représentation légale et actuellement sans ressources, ce lieu symbolique de l’identité noire-américaine est en danger.

De l’extérieur, rien de spectaculaire. Seul un auvent de bois peint en noir sur lequel on lit « SLAVE » (esclave) suivi d’une tache figurant le continent africain. A gauche de l’échafaudage, derrière une apparence de boutique, une porte cachée ouvre sur le modeste foyer du théâtre. Un panneau posé à terre, inscrit à la main, nous accueille : « A tous les visiteurs. Le Slave Theatre a besoin de fonds ou de dons d’urgence. Nous demandons nourriture, articles de toilette et de première nécessité, ainsi que beaucoup d’autres choses. » Voici le berceau de l’activisme afro-américain à Brooklyn réduit à la mendicité, à l’endroit-même où le ministre et homme politique Al Sharpton a prononcé ses premiers appels aux droits civiques.

Sur les murs, des photos, des fresques et des portraits de personnalités annoncent la couleur : Barack Obama, Hailé Sélassié Ier, Malcolm X, Mohamed Ali, Martin Luther King, Judge John L. Phillips. Cette célébrité locale, dont les paroles « affranchies » recouvrent les murs, a racheté le Regent Theater en 1982 pour le rebaptiser Slave Theater, histoire de mettre le doigt sur le malaise ancestral des Noirs descendants des esclaves aux Etats-Unis.

« La plupart des Noirs dans ce pays ne savent pas d’où ils viennent », dit un homme à la peau lisse mais à la moustache grise. « Tout ce que nous savons, c’est que nous sommes issus de l’esclavage. C’est une mauvaise image qui nous marque. » Ce moustachu, c’est Clarence Hardy, 76 ans, ami et confidant de feu Judge Phillips, et gardien du théâtre qu’il vient ouvrir six jours par semaine depuis six ans.

Clarence Hardy raconte comment enfant, il s’estimait inférieur aux blancs, ne voyait dans les livres que chères têtes blondes et stéréotypes à la « nègre sauvage ». Adulte, c’est en prison qu’il a découvert la force de l’identité noire dans les paroles du dirigeant de la Nation of Islam, Elijah Muhammad. C’est tout naturellement qu’à sa sortie de prison, il a trouvé sa place au côté du juge Phillips, qui voulait rassembler la communauté noire du quartier autour des idées, de la politique et de la culture. Un viatique moral qui le tient debout.

Tandis que l’Apollo Theater reste le lieu historique de la culture noire à Harlem, le Slave Theater de Bedford-Stuyvesant a connu ses heures de gloire dans les années 1980-1990. Après une fermeture forcée faisant suite à une dispute politique, l’amphithéâtre est peu à peu tombé en ruine. Les vendeurs de drogue sont venus squatter l’endroit avant d’être envoyés en prison. Les peintures murales d’activistes afro-américains surveillent toujours les débris qui recouvrent ses 500 fauteuils. « En ce moment même, nous attendons un conteneur à ordures qui nous permettra de tout nettoyer », dit Clarence Hardy.

Assis sur l’escalier du foyer, Bertrand, un homme à la voix douce, raconte les réunions entre frères rastafaris : « Nous discutons de ce qui nous est arrivé. La police est venue nous arrêter pour nous mettre en taule, ils ont dit que nous n’avions pas l’autorisation d’être là. Cela faisait bien plus de dix ans que les frères rastas s’étaient emparés du lieu. »

Depuis plusieurs mois, le panneau « A vendre » accroché à l’auvent du théâtre porte le nom et le téléphone du neveu du juge Phillips. Après la mort du juge, c’est lui qui a été désigné administrateur de tous ses biens, malgré l’existence d’une lettre officielle autorisant précisément Clarence Hardy à s’occuper du Slave Theater. Depuis un an, le gardien est sous la menace d’une expulsion, et la controverse juridique n’est toujours pas résolue.

Clarence Hardy reprend : « Je ne suis ni avocat, ni millionnaire. Cependant, j’ai confiance : du moment que ces portes restent ouvertes, il arrivera quelque chose, quelqu’un avec une bonne idée et les moyens de restaurer le théâtre. Moi, à 76 ans, on ne m’achète pas. Nous allons continuer à nous battre jusqu’au bout. » Les gens du quartier ont créé une association à but non-lucratif (jlpredeemer@yahoo.com), chargée de réunir des fonds pour défendre le Slave Theater. Et si, à l’instar de ce Français qui racheta l’entrepôt abandonné d’Invisible Dog pour le transformer en centre d’art, dans un quartier plutôt chic de Brooklyn, un mécène de la diaspora africaine venait investir ce théâtre ? On peut toujours rêver…

cherise fong 

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