« Prime Numerics » performance du collectif Sosolimited, le 29/04 à Manchester, retransmis sur le site du Guardian, à l’occasion du dernier débat télévisé de la campagne législative britannique, 20h30. Sosolimited était l’une des révélations du festival berlinois Transmediale, l’occasion de revenir sur l’édition 2010, en partenariat avec la rubrique Cultures Electroniques d’Arte.tv.
Après leur performance à la Transmediale 2010 à Berlin en février, les trois Américains de Sosolimited s’attaquent ce soir au dernier débat politique télévisé de la campagne législative britannique. © DR
< 29'04'10 >
Sosolimited s’invite dans le débat électoral anglais

Un débat politique où ce qui ressort n’est pas la petite phrase ou la cravate des candidats mais une analyse en temps réel du discours et la mise en scène des données. C’est l’objet de la performance « Prime Numerics » du collectif Sosolimited, ce soir, alors que s’affrontent les trois candidats des élections parlementaires britanniques Gordon Brown, David Cameron et Nick Clegg. Depuis Manchester, en pré-ouverture du festival Future Everything (du 12 au 15 mai), les trois artistes américains remixent à partir de leur outil d’analyse syntaxique le débat télévisé. Et c’est à voir à 20h30 (19h30 heure anglaise) sur le site du Guardian.

Sosolimited est une des révélations du dernier Transmediale, « Futurity Now », en février dernier. La belle occasion pour poptronics de revenir avec un peu de recul sur cette édition alors que le festival lance son appel à projets pour le prix Transmediale 2011. Du web sémantique à l’analyse des données en temps réel, retour sur le futur tel qu’esquissé par Transmediale.

Conversation de données
Les trois anciens étudiants du MIT, Eric Gunther, Justin Manor et John Rothenberg qui constituent Sosolimited ont perfectionné le principe de leur performance « Reconstitution2008 », analyse en temps réel des débats des candidats Barack Obama et John McCain lors de la présidentielle américaine de 2008. Les trois designers ont en effet conçu un logiciel qui leur permet de s’approprier en temps réel le contenu d’un discours pour l’analyser et rendre visible les informations linguistiques dont ils proposent également des statistiques en temps réel. Leur analyse est aussi visuelle, quand ils proposent par exemple des transformations de l’image selon les données des pixels. Mais le trio revendique le côté performatif du dispositif, et refuse d’utiliser les résultats par la suite. On les verra à Paris à l’occasion du festival OFFF, du 24 au 26 juin prochain.

A Transmediale, au lieu de documenter la performance de 2008, ils en ont adapté le dispositif pour suivre « The Long Conversation » et en faire The Long Conversion. Ce projet fleuve avait pour ambition de faire émerger des idées par d’autres biais que la classique conférence, en faisant discuter publiquement ensemble des gens qui a priori se parlaient pour la première fois. Neuf heures durant, 21 invités issus de différentes disciplines se sont succédé dans des conversations à deux dans l’auditorium de la Maison des Cultures du monde. Le projet a été nommé en référence à The Long Now Foundation, une organisation qui promeut des projets à très long terme, comme cette horloge qui durerait 10000 ans. En quoi le traitement statistique de Sosolimited apporte-t-il une autre lecture ? On constate tout d’abord que le mot le plus utilisé par 20 des 21 invités était le « je » et que le temps employé n’était pas le futur, contrairement à ce que la thématique de cette Transmediale aurait pu laisser croire, mais le passé.

« The Long Conversion », extrait de la performance de Sosolimited à Berlin, février 2010 :

Artistes engooglés
L’art numérique version Transmediale est « engooglé », un terme inventé par l’auteur de science-fiction et blogueur Cory Doctorow dans la nouvelle éponyme. Est-ce parce que la firme américaine est la quintessence de la futurité ? En tous les cas, on y trouvait cette année du Google à gogo, en tant que sponsor de l’édition 2010, mais aussi comme support et sujet d’œuvres présentées. Le prix du festival, ainsi que la mention honoraire, utilisent et détournent les technologies du web 2.0 mises à l’honneur par le moteur de recherche leader.

« Buscando Al Sr. Goodbar », l’œuvre qui a remportée le Prix Transmediale, est une performance qui relie l’Internet et l’espace public. L’artiste canadienne Michelle Teran a imaginé un dispositif pour l’exposition Techformance à Murcia en Espagne : elle propose un tour de la ville en bus pour aller à la rencontre des habitants qui ont mis en ligne des vidéos sur Youtube. Elle a géolocalisé des vidéos (grâce aux coordonnées de latitude et longitude rentrées par leurs auteurs) qu’elle a placées sur GoogleMaps. Dans le bus (dont le trajet est affiché en temps réel sur ce même logiciel), les participants à la balade voient les vidéos en fonction de l’endroit où ils se trouvent. Ils vont même quelquefois à la rencontre des auteurs de ces vidéos, qui dans certains cas refont ce qu’ils montré en vidéo : un jeune homme joue du piano, un autre résout un Rubik’s Cube en quelques minutes... Nommé en référence au film de Richard Brooks de 1977, la performance était montrée sous forme de documentation à Transmediale.

« Bicycle Built for 2000 », prix honoraire 2010, est un site web où plus de 2000 voix chantent « Daisy Bell », la première chanson chantée par ordinateur en 1962 et qu’HAL le superordinateur de « 2001 l’Odyssée de l’espace » interprète à la fin du film. Ce projet des artistes américains Aaron Koblin (qui travaille au Creative Lab de Google) et Daniel Massey (qui jusqu’à l’an dernier était employé par Yahoo !) n’est pas celui d’une chanson collaborative mais au contraire un chant de l’exploitation. Les voix ne sont pas celles d’amateurs mais de travailleurs qui utilisent le service Mechanical Turk d’Amazon, pour gagner quelques centimes en faisant des tâches faciles pour les humains mais compliquées par les machines (par exemple, identifier une image, traduire quelques mots, résumer une vidéo, etc). Contre 0,06$, 2088 internautes ont tenté de reproduire un court sample de voix synthétisée qu’ils entendaient, et c’est le montage de toutes ces voix qui composent cette pièce (à ne pas mettre dans les oreilles des mélomanes). La voix robotique d’hier, symbole de progrès technologique, fait place aux voix humaines exploitées par les conséquences de l’utilisation des machines dans la vie quotidienne.

Aaron Koblin est également l’auteur de deux autres œuvres qui utilisent le dispositif de Mechanical Turk : le célébré « The Sheep Market », une collection d’images de moutons acheté quelques centimes et qu’il revend en ligne, et le plus récent « Ten Thousand Cents », ou comment dessiner pour 10000 personnes un billet de 100 dollars, le budget total de la pièce.

Quant au F.A.T. (Free Art and Technology) lab, en compétition pour le prix, ils ont mené à Berlin une série d’actions et ont programmé une série de logiciels pour s’opposer au moteur de recherche ultradominant du Web. Formé par une vingtaine d’artistes, pour beaucoup passés par Eyebeam, lieu d’expérimentations new-yorkais, ce collectif cherche à faire se rencontrer l’open source et la culture populaire. Ils ont en tout cas semé la panique dans Berlin grâce à leur fausse voiture estampillée Google Street View, conçu des nouveaux services (tels que Dr Google ou Googlingwithkittens, pour voir des chatons partout), faire du graffiti sur le Net ou des vidéos pour pousser les internautes à héberger eux-mêmes leurs productions. On ne sait pas si le sponsor officiel de la Transmediale a goûté leurs interventions…

Le futur dans l’archive
L’exposition Future Obscura, conçue par l’artiste commissaire néo-zélandaise Honor Harger, imagine de nouveaux dispositifs pour l’image. Certains artistes utilisent des films d’archives pour leurs créations, que ce soit en tant que support, comme les bandes vidéo de « White Noise » de Zilvinas Kempinas ou de contenu comme dans « The Inverted Cone » de Julien Maire ou « The Space Beyond Me » de Julius Von Bismarck. Dans cette installation immersive, le spectateur est invité à suivre le déroulé d’un film d’archive qui se déploie à travers la pièce et s’imprime sur la surface qui entoure le dispositif. Une caméra a été détournée pour servir à projeter le film sur les murs recouverts de papier fluorescent. Le projecteur-caméra bouge automatiquement selon le découpage du film et la façon dont il est filmé. A chaque plan, la projection bouge et la dernière image du plan précédent s’imprime sur le mur avant de s’effacer petit à petit. Un panorama produit une trace au fur et à mesure du mouvement de la caméra, moment magnifique dans le déroulé de l’installation. C’est la première fois que l’artiste montre ce projet, avec un film réalisé dans les années 1940 dans un village espagnol.

Le net-art hors les murs
Les interventions artistiques avec le Web 2.0 n’ont pas lieu uniquement sur serveurs et écrans, mais quelquefois dans la ville. C’est le cas avec le projet « default to public » de l’Allemand Jens Wunderling. C’est une série d’interventions sur les tensions entre public et privé, dévoilement et invisibilité, activités en ligne et hors-ligne, à travers l’exemple de Twitter. Pour l’instant, l’artiste a conçu trois modes de passage entre le site de microbloguing Twitter et la rue, des boucles où l’auteur des tweets est averti que ses messages ont été rendus visibles dans le voisinage. La Haus der Kulturen der Welt accueillait « Tweetscreen » (déjà performé dans la rue à Berlin) : sur un écran sont projetés des tweets écrits par des gens proches de ce lieu (grâce à la géolocalisation des comptes). A chaque nouveau message, une photo est automatiquement prise et envoyée à son auteur afin qu’il ou elle soit au courant. Une manière de mettre à jour les activités réseau.

« default to public : tweetscreen » de Jens Wunderling, Berlin, février 2010 :

Autre type d’intervention urbaine, Transmediale était l’occasion de découvrir The Artvertiser et sa « réalité améliorée ». Artvertiser (pour art et « advert », publicité) est un projet de Julian Oliver, rejoint ensuite par Clara Boj, Diego Diaz et Damian Stewart qui interviennent dans la ville, dans l’espace public qui ne l’est pas vraiment, ne serait-ce que pour quelques secondes, grâce à des dispositifs de vision (des jumelles mais aussi, en cours de développement, des téléphones portables) qui transforment les images publicitaires. Le procédé conçu par les artistes permet de détourner et recouvrir les espaces publicitaires en visionnant à la place des images faites par des artistes ou des bidouilleurs (par exemple, sur une publicité devant une pharmacie avec un visage de femme est rajouté un masque antigrippe). La ville devient alors espace d’exposition et de critique.

anne laforet 

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