A la rencontre d’Anna Dumitriu, artiste et chercheuse britannique, qui conduisait un workshop à Paris sur le biohacking des bactéries, mardi 4 mars. © DR
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Anna Dumitriu, collectionneuse de bactéries
A quoi ressemble le biohacking ? C’est en partie pour répondre à cette question qu’Agnès de Cayeux a participé mardi 4 mars à Paritech à l’atelier proposé par Décalab autour de l’artiste chercheuse Anna Dumitriu, pour “explorer la microbiologie”. Les œuvres d’Anna Dumitriu sont en relation étroite avec les dernières découvertes en matière de séquençage global du génome des bactéries. Elle proposait d’apprendre aux participants (artistes, chercheurs, curieux) “comment ces technologies nous donnent l’opportunité de comprendre réellement les bactéries et la possibilité de les modifier génétiquement pour créer des bactéries de designer”.
Certains cultivent leur jardin... Anna Dumitriu, artiste bio-art made in Brighton (Royaume-Uni), choisit un tout autre milieu de culture dédié à ces organismes vivants que sont les bactéries. La jeune femme ouvre un débat contemporain très peu exploré made in France, sorte de conte tout autant philosophique que celui qui fut confondu à une marque (méga bobo) de fringues (méga chères) par la représentation d’un pouvoir ignorant.
Maître Google, lui, ne se trompe pas. Les fringues d’Anna D. sont merveilleuses et dangereuses, bactériologiques mais inoffensives, présentées dans un centre d’art made in Ljubljana (Slovénie), un art space made in Enschedem (Hollande), un musée made in Taipei (Taïwan) et autres milieux extrêmes made in Londres (Royaume-Uni) ou ailleurs, sauf made in Paris, Lyon, Marseille (France).
Alors donc, si Anna D. collectionne les bactéries, c’est sans doute parce qu’enfant, elle fut terrifiée par les récits de cette Grande Peste de Londres, ressassée à l’école publique depuis des siècles. C’est cette terreur qu’elle évoque légèrement en toute fin du workshop “Hacker les bactéries”, organisé par Décalab à l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes, à Paris, le 4 mars, qui semble nourrir sa candide obsession.
Ainsi et pendant une journée, nous avons mis “en pratique les méthodologies des sciences citoyennes et créatives utilisées par Anna Dumitriu pour explorer la microbiologie”. Le protocole de l’expérimentation est simple et conforme aux pratiques scientifiques, l’expérience débute par une longue préparation :
Workshop, préparation manip 1
Nous nous servons de quelques “antibiotiques” naturels capables de massacrer les bactéries : safran, kurkuma, baies et épices en tout genre insérés dans des tubes de verre et côtoyant ficelle de coton et eau chauffée à moins de 25°. La ficelle absorbe l’antibiotique naturel aux couleurs chaudes de certains plats de ces contrées que nous aimons. Nous laissons le temps opérer et la ficelle se colorer en toute liberté.
Workshop, préparation manip 2
Puis, nous concoctons, dans une simple casserole déposée sur une plaque chauffante, une bouillie gélatineuse et infâme à base d’Agar, qui sera le milieu propice à notre future culture de bactéries.
Workshop, préparation manip 3
Enfin, et sur de simples morceaux de tissus, nous brodons à l’ancienne quelques motifs inventés, munis de nos fils antibiotiques sortis de leurs tubes respectifs et passés dans le chat de nos aiguilles.
Expérimentation
L’expérimentation est simple, nous enfermons notre jelly dans une boîte transparente, nous y déposons nos ouvrages brodés et tueurs et laissons les doigts de nos mains, nos toux et autres faits naturels entrer invisiblement dans la boîte et l’emplir de nos humeurs bactériologiques.
Evaluation
L’évaluation de notre expérience prendra deux à trois jours, le temps pour nos bactéries emprisonnées de s’exprimer. Et nos ouvrages brodés de fils aux défenses naturelles marqueront la jelly infectée. C’est-à-dire que là où le fil est, les bactéries meurent. Le motif reste intact. Mais là où il n’existe aucune parade, les bactéries se répandent. Le fil aux couleurs du kurkuma ou du safran dessine son territoire indemne. Et ailleurs, tout autour, les bactéries tracent de curieuses taches.
C’est un workshop, une expérience parfaitement menée par Anna D., accompagnée de Natacha Seignolles (patronne de Décalab avec Emmanuel Mahé), traduite par Annick Bureaud (auteure un peu dingue d’espaces et de sciences en tout genre, patronne de Leonardo/Olats).
Anna D. est une artiste engagée, merveilleuse et cultivée. Elle évoque son sujet de prédilection sur la tuberculose et parle de Kafka, de Chopin et d’Orwell, artistes tout autant précieux, décédés de ces bactéries libres et si peu ignorantes. La dernière question posée à l’artiste à l’accent très british est celle de David Guez, participant au workshop : “Peut-on programmer une communication d’une bactérie à une autre ?”
Il n’existe sans doute aucune réponse made in France autre que celle de surfer sur la journée d’étude de “Bio Art – Bio Design”, ce jeudi 6 mars à ParisTech (voir infos pratiques ci-contre), d’attendre la parution de l’ebook “Meta-Life. Biotechnologies, Synthetic Biology, ALife and the Arts” coordonné par Annick Bureaud pour la collection Leonardo MIT Press ou encore d’espérer quelques terreurs candides made in world.
agnès de cayeux
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