Toshiki Okada, compagnie Chelfitsch, "Five days in march", au Kaaitheaterstudio’s, dans le cadre du KunstenFestivalDesArts, les 16, 17, 18 et 20 mai à 20h30, le 19 à 18h, à Bruxelles et à la Maison de la culture du Japon à Paris, les 24, 25 et 26 mai à 20h. Réservations : 01 44 37 95 95
Cinq jours en mars, de la compagnie Cheltfish, pour la première fois en Europe. © Tôru Yokota
< 17'05'07 >
Au théâtre hyperréaliste japonais, Okada est roi
Et si Descartes s’était réincarné en metteur en scène japonais ? C’est la question qui taraude à la sortie du très curieux spectacle « Five days in march » de Toshiki Okada, présenté au KunstenFestivalDesArts, qui accueille pour la première fois en Europe sa compagnie Chelfitsch avant son passage à la Maison de la culture du Japon à Paris. Tout, dans cette performance pop, est remarquable et sans esbroufe. Tout, soit six acteurs, corps et voix compris, qui polarisent l’attention dans un dispositif a priori très simple. Chacun, successivement, raconte la même histoire, les mêmes cinq jours de mars 2003 quand l’armée américaine commençait à bombarder l’Irak. Très vite, quelque chose cloche. Est-ce dû au débit frénétique du comédien qui n’arrive pas à finir ses phrases ou bien aux mouvements lents mais incessants qui agitent ses jambes, ses mains, sa tête ? D’où vient cette impression d’étrangeté qui sourd de tous les acteurs sans exception ? Sont-ils interdits de parole entre deux représentations ou tous victimes de TOC ? Rien de tel. Juste une mise en scène qui expose le couple esprit-corps dans une situation de totale désynchronisation.
Les mouvements continus, mais de très faible amplitude agitant les corps sont complètement déconnectés des paroles prononcées. Aucune illustration, aucun lien. Okada aime « détourner la conscience qu’a l’acteur du texte, en lui infligeant intentionnellement une contrainte physique », méthode directement inspirée d’Oriza Hirata, auteur et metteur en scène japonais (dont les textes sont publiés aux Solitaires intempestifs).
Dans ce tableau teinté d’ironie de la jeunesse japonaise d’aujourd’hui se déploie un langage dramatique unique, qui fait même l’objet d’un dénomination spéciale : « le japonais oral hyperréaliste ». Toshiki Okada raconte volontiers qu’ayant transcrit nombre d’entretiens enregistrés, il avait réalisé que « si l’on transcrivait mot à mot, on ne comprenait pas ce que les gens essayaient de faire passer. Mais à la fin de la conversation, l’interview commençait à prendre forme et l’on percevait ce que l’interlocuteur cherchait à dire, même si les mots eux-mêmes ne disaient rien de clair ou d’articulé ». Traduction sur le plateau : la langue orale décousue et comme trouée, appliquée par couches successives, finit par donner forme à une histoire, même si les détails demeurent obscurs. Et le spectateur est confronté à ces esprits qui pensent par eux-mêmes et ces corps qui existent sans esprit. Aucune hystérie cependant dans ces agitations verbales et corporelles, mais bien plutôt une certaine douceur, un rien languide.
stéphanie cléau 

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