Accès)s(,, festival du 15 au 18/10, exposition jusqu’au 12/12 au Bel ordinaire, Pau.
L’édition 2016 d’Accè)s( aura pour thème « Atlas, cartographie, frontière et nouvelles conflictualités », sous la direction d’Hortense Gautier et Philippe Boisnard.
Perché ! Le festival palois Accès)s(, 2015 est placé sous le signe de la féminité. Sur les seize artistes réunis par la curatrice invitée Agnès de Cayeux (qu’on connaît plus que bien chez poptronics…), plus de la moitié sont des femmes, ce qui est assez rare pour être relevé. Y aurait-il un rapport avec l’effet que nous fait cette édition planante ? L’exposition « Vu du ciel » au Bel ordinaire, l’espace d’art contemporain de Pau, parcourt l’imaginaire lié à l’aérien, qu’il soit historique, technique ou rêveur, en explorant les points de vue et les espaces parallèles, en renversant les échelles pour ouvrir sur une infinité de perspectives. Comme une invitation à prendre de la hauteur.
Dans la première salle, retour vers le futur avec une sélection d’anciens jeux vidéos, des premiers simulateurs de vol aux combats aériens sur Atari et Nintendo. Cette archéologie vidéoludique fait écho au pilotage à distance de drones et autres aéronefs sans pilote qui défraient la chronique et vont exploser les budgets des familles pour Noël.
« Bit Plane », un avion radio-télécommandé invisible aux radars mis au point par le collectif Bureau of Inverse Technology, est équipé d’une caméra émettant sur le réseau hertzien, et diffuse des vues de la Silicon Valley dans un noir et blanc contrasté et granuleux. L’identification des lieux est brouillée, fragile signal planant au-dessus des puissantes firmes technologiques jalouses de leurs secrets.
Ces images sont celles d’un vol de quinze minutes réalisé en 1997 par les artistes Natalie Jeremijenko et Kate Rich, en toute illégalité. Le petit objet volant d’à peine 450 grammes survole les prémisses d’une société de l’information contrôlée déjà bien implantée et en révèle les failles. La captation est entrecoupée de commentaires sur les entreprises survolées et de spécifications techniques sur l’appareil. Le texte dit ce qui est caché au regard.
C’est cette même fonction qu’on retrouve dans « Metadata », une application développée par le data-artiste activiste Josh Begley et disponible sur iPhone, qui recense les impacts meurtriers des drones au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Ici imprimés sur de simples feuilles épinglées au mur, ces impacts forment une liste interminable de morts géolocalisées et passées sous silence.
Cette installation est entourée par un pan du projet sonore « A.V.I.O.N » (Appareil Volant Imitant l’Oiseau Naturel), des artistes DinahBird et Jean-Philippe Renoult (là encore des habitués de poptronics...), principalement diffusé dans le couloir central du Bel Ordinaire, ici envisagé comme une piste d’atterrissage et décollage. Aux prises de son réalisées à bord d’un avion de l’aéroclub de Pau lors de leur résidence s’ajoutent les communications air-sol hackées par leurs soins.
Des radios mises à disposition permettent au public de capter une autre partie de la composition. Et voilà le visiteur transformé en émetteur-récepteur-brouilleur actif. Elles symbolisent aussi l’interception du message et le fait qu’on puisse agir via les ondes sur un avion, entraînant la possibilité d’un crash.
« Composition for a drone » (2014), de Mária Júdová et Andrej Boleslavský, joue aussi des sons des machines volantes pour créer une composition sonore : le vol d’un drone dans un espace quadrillé génère des séquences sonores, déclenchées par des capteurs ayant repéré sa présence. Les données générées par ses déplacements sont transformées en sons via PureData, auxquels s’ajoute le bruit du moteur. Le drone se fait l’instrument qui parcourt l’espace-partition.
« Composition for a drone », Mária Júdová et Andrej Boleslavský, 2014 :
Espace revisité également dans « Empty Room » de Christine Webster. Équipés d’un casque de réalité virtuelle Oculus Rift, nous débarquons dans un espace 3D à 360°. Des cubes montent et descendent à l’infini dans une lumière bleue, puis rouge. Les sons, d’abord disséminés et distincts, se regroupent pour former un continuum, alors que le blanc prédomine et efface peu à peu les formes pour nous laisser flotter dans le vide.
« Beyond_Bitmaps » (2014), de l’architecte versée dans les métavers Laura Mannelli, joue aussi sur le vertige des mondes virtuels. Au centre de la pièce siège un autel épuré. En son centre, un écran à plat où le regard plonge dans un univers de pixels étoilés au sein duquel se meut un samouraï lumineux. Lorsqu’il perçoit notre présence, il se rassemble sur lui-même et explose en milliers de particules pour renaître aussitôt. Ce dieu prisonnier du réseau et soumis à lui, connecté et seul, condamné à la destruction et à la résurrection, est un pur rejeton du roman « Snow Crash » de Neal Stephenson.
« Beyond_Bitmaps », Laura Mannelli, 2014, extrait :
Regard inversé, « TRAUM (Le cas Y) » de Dorothée Smith, s’appuie sur le réel pour élaborer une fiction dans laquelle vrai et faux se mêlent, micro et macro coexistent. Le vol habité Soyouz TMA-99M explose lors de son lancement. Le responsable au sol, Yevgéni G., subit alors une mutation tandis qu’une nouvelle constellation apparaît dans notre galaxie. Dorothée Smith enquête sur ces deux phénomènes fictifs.
Au mur, trois projections 4/3 en noir et blanc. Une psychologue décrit le cas Y : « Sidération de la pensée, l’individu est débordé psychiquement. L’événement ne prend pas sens dans sa vie, c’est comme un kyste dans sa pensée (…). Il est devenu quelqu’un d’autre, une autre forme. Son organisme s’est modifié. »
Une autre spécialiste fait l’inventaire des erreurs qui peuvent entraîner la destruction du vaisseau. Un cosmologiste tente d’expliquer l’apparition des nouvelles étoiles. En écho, des photos et dessins montrent des corps mutants, masculin/féminin. Les restes du vaisseau et du pilote sont exposés en vitrine au centre de la pièce, des documents d’archives relient le cas Y à l’histoire de l’hystérie, aux manifestations de somnambulisme, catalepsie et léthargie. Une dernière projection, en 16/9ème et couleur, montre une vue d’avion nocturne. La juxtaposition de tous ces éléments perturbe plus qu’elle n’éclaire et diffuse une belle et inquiétante étrangeté.
Et c’est cette même ambiance étrange qui plane au-dessus du « Regard de la Gorgone » d’Elsa Mazeau. Sur un grand écran, une barre HLM devant laquelle pose un cheval immobile, statue vivante qui accueille tour à tour les habitants de l’immeuble. Un drone entre et sort du cadre. Sur deux petits écrans, d’autres points de vue de l’endroit, escaliers, jardins, vestiges de l’ancien château, dans lesquels évoluent le cheval et les personnes.
Les trois cadres superposés tirent des lignes temporelles, passé, présent, symbolique, qui les font coexister en un même lieu. Brouillage des signes, rêverie et songes…
On sort de « Vu du ciel » comme d’un rêve éveillé, sidéré et ravi, neurones en éveil. Une sensation qu’on recommande pour la toute dernière semaine de l’exposition. Pour explorer plus avant la recherche qui a sous-tendu cette édition, on recommande le cahier spécial du magazine « MCD » « La conjuration des drones », qu’Agnès de Cayeux a dirigé en collaboration avec la journaliste et chercheuse Marie Lechner.