Interview de Benjamin Gaulon, organisateur de la Nø School Nevers, du 1er au 13/7, à Nevers, une summerschool internationale.

A noter en mode ouvert au public, les dix « Nø Talks », tous les soirs, de 19h à 21h à la librairie-galerie Ravisius Textor, une exposition « Nø Art » à Ravisius Textor le 13/7 à 17h, et un concert « Nø Live » à l’église Sainte-Bernadette du Banlay, le 13/7 à 21h.

Derrière le projet Nø School Nevers, Benjamin Gaulon, qui « depuis 15 ans fait des sculptures avec des déchets électroniques ». © DR
< 17'06'19 >
Benjamin Gaulon, NØ proviseur de la NØ School Nevers, à la question

Voilà l’été et, hors des sentiers balisés des festivals grandit l’offre pour bidouilleurs, makers, artistes électroniques. Cependant, en France, jusqu’ici, les créateurs bidouilleurs, hors Labomédia et son Open Atelier version longue à Orléans, ne pouvaient qu’aller voir ailleurs – alors que les archis en herbe avaient Bellastock et les makers les IndieCamp Névez cette année.

Avec le projet Nø School Nevers porté par l’artiste Benjamin Gaulon, chantre du recyclisme depuis une quinzaine d’années, voici que la carte des summercamps prend une autre tournure. La Nø School se déroule du 1er au 13 juillet à Nevers, donc, bourgade de 30.000 habitants de la Nièvre pas franchement réputée pour son hacktivisme (même si l’éditeur de Poptronics, Tombolo Presses, y a sa librairie-galerie, Ravisius Textor, qui, ce n’est pas un hasard, est partenaire du projet).

Une poignée de participants (quinze au départ, dix-neuf à ce jour), y rencontreront et échangeront pendant deux semaines, contre 1.200€, avec une trentaine de « Nø Teachers », artistes, designers, performeurs du code-art, du glitch, etc. Ce plateau digne des meilleurs festivals nouveaux médias offre un panorama plus qu’alléchant de la scène hacktiviste et alter-tech internationale. Le public profane et local pourra profiter de confs en soirée devant la galerie, et d’un final, le 13 juillet, à la galerie pour une exposition et à l’église Sainte-Bernadette du Banlay (celle de Parent et Virilio) pour des performances. On a posé quelques questions à Benjamin Gaulon pour en savoir plus.


C’est quoi Nø School Nevers ?
C’est une summerschool internationale sur l’impact social et environnemental des technologies de l’information, une exploration artistique et technologique, qui réunit à Nevers début juillet dix-neuf participants, pour moitié étudiants en critical making et bio-art, l’autre moitié ayant déjà une pratique artistique. Ils viennent d’un peu partout, Irlande, France, Russie, Portugal, Canada… Ils seront confrontés à trente « Nø Teachers » venus eux aussi du monde entier, qui donneront des « Nø Talks », des conférences gratuites et ouvertes au public, chaque soir de 19h à 21h à la galerie Ravisius Textor, partenaire du projet.


Quand on voit l’affiche, on est carrément jaloux de ne pas être l’un des « NØ stagiaires » de cette « non école »… C’est en tout cas un panorama de la création hacktiviste, de penseurs makers, d’artistes du glitch…
Ils font partie d’une scène très contemporaine. J’en ai croisé certains à la New School Parson Paris où j’ai enseigné cinq ans jusqu’à l’année dernière, ou via le réseau que j’avais développé à Dublin quand je m’occupais de DATA 2.0 (Dublin Art and Technology Association). Chacun vient avec sa note, sa spécialité, son focus.


Naomi Wu, la makeuse chinoise, dans le manuel « Disobedient Electronics », édité par Garnet Hertz, l’un des « Nø Teachers » (capture écran). © DR

Ted Davis est un artiste américain qui vit en Suisse et a notamment développé une librairie Processing pour contrôler des sons sur un oscillloscope. Un pro du live coding versant glitch art. Sarah Garcin est graphiste, c’est elle qui a initié le groupe de recherche PrePostPrint sur les systèmes de publication et de création graphique alternatifs et ouverts. Gijs Gieskes est un génie de l’électronique et des inventions farfelues. Régine Debatty avec We make money not art scanne tout ce qui émerge dans la critique des arts nouveaux médias. Le canadien et artiste Garnet Hertz est spécialiste de l’archéologie des médias et a publié « Disobedient Electronics », un livre de ressources et projets DIY en critical making Dasha Ilina est l’une de mes anciennes étudiantes. Elle expose en ce moment à la Gaîté son Center for Technological Pain. C’est aussi la coorganisatrice de NØ SCHOOL NEVERS et elle travaille avec moi à monter NØSCHOOL Paris. L’artiste polonaise Ewa Justka crée ses propres circuits électroniques, Karl Plomp est pro du circuit bending, il travaille beaucoup dans le théâtre en tant que designer vidéo. Sénamé Koffi Agbodjinou est anthropologue et architecte et à l’origine du Woelab à Lomé, et nous parlera architecture des maisons traditionnelles en Afrique, Systaime que vous connaissez est l’artiste du glitch…

(NDLR : on a coupé la présentation par Benjamin de l’ensemble des artistes, chercheurs et designers participants, qui le sont tous sur le site de Nø School Nevers…)

Systaime expose en ce moment à Londres et intervient dans Nø School Nevers :

C’est assez inédit d’avoir plus de « Nø Teachers » que de participants…
Les 30 artistes et makers et critiques invités ne sont pas là sur toute la durée de la Nø School. L’idée, c’est d’immerger les participants dans cette culture électronique, avec une première semaine de discussion sur la disnovation (le projet de design spéculatif alternatif à l’innovation de Nicolas Maigret, NDLR), les stratégies de désobéissance technologique, les alternatives open source… On va visiter un incinérateur de déchets localement, pour aller vers le making, le DIY et le graphisme. La deuxième semaine, ils plongent dans le code et l’électronique, avec le code ésotérique de Daniel Temkin, le live coding, les instruments de musique électronique DIY, le Refunct Media (circuit-bending, recyclage et déchets électroniques), ils commencent à produire de petits modules, des objets électroniques portables, des synthés en tissu électroniques…

« ReFunct Media #5 », par Karl Klomp, Tom Verbruggen, Benjamin Gaulon, Gijs Gieskes à la Transmediale (Berlin) en 2013 :



A quoi va ressembler ce stage de making artistique ?
Les matinées sont assez intensives, en mode discussion sur la tech qui ne nous sauvera pas, sur l’artisanat techno, les bases des séquenceurs et du design électronique… L’après-midi, après une heure Nø Script (de la technique, pour apprendre à gérer des problèmes précis), on enchaîne sur une partie plus « studio » où ils sont amenés à travailler sur un projet libre, revoir leur portfolio. Il ne s’agit pas forcément de « produire » des objets, ça peut être une recherche, c’est aussi se poser la question « qu’est-ce que produire aujourd’hui ? ».

Tous les soirs, lors d’une conférence popup, les artistes qui interviennent le lendemain présentent leur pratique. Ces conférences sont ouvertes au public, avec de la bière bio locale, dans une ambiance plus décontractée.

Le week-end final, c’est la course : à 17h vernissage à la galerie Ravisius Textor, puis un live de performances à l’église Sainte-Bernadette du Banlay, en accès libre, avec un mur vertical de LEDs de récup, une performance de Dasha Ilina, le DeMO (Dead Minitel Orchestra) de Jérôme Saint-Clair, TokTek, le nom de scène de Tom Verbruggen, performer hollandais de live sampling, Ewa Justka et son minimalisme techno, et aussi ::vtol ::, Gijs Gieskes, Lovid, Alex McLean, Ted Davis, Antonio Roberts, Phillip David Stearns, Karl Klomp…

Dead Minitel Orchestra, performance pour Refrag 2018 :


TokTek, aperçu de son DVD (2011) :



Les participants vont s’immerger dans un contexte de réparation et récupération citoyenne avec Janet Gunter, qui a monté le projet Re-Start en Grande-Bretagne ou avec Nicolas Nova, qui mène une recherche sur la réparation. Ils vont s’interroger sur l’autonomie et les pratiques alternatives, de publication, de technos, de making comme avec Fred Paulino, artiste et designer brésilien qui a créé la plateforme Gambiologia (d’après la « gambiarra », le système D local de ceux qui n’ont pas les moyens de faire autrement).

Après une semaine de réflexion, la deuxième semaine, ils font eux-mêmes dans un contexte d’obsolescence, de réparation où on n’est pas même assurés d’avoir une connexion wifi au top. Nous serons dans une ancienne manufacture de faïence, un espace magnifique sur trois étages de 600m2, mais l’Internet, c’est Nevers… Et si j’apporte des résistances, des Arduino, un peu de matériel électronique de base, nos ressources seront limitées. D’ailleurs, si quelqu’un peut apporter des chaises…


Cette première, à Nevers, a été conçue en quelques mois, avec de l’énergie mais des moyens limités. Y aura-t-il une ou des suites ?
C’est un prototype qui, s’il est bien documenté, devrait servir à développer Nø School dans un lieu, avec une ou plusieurs institutions, à l’année, à Paris. Un espace qui sera orienté hacktivisme, critique de l’anthropocène, environnement… Et j’adorerais que la prochaine summerschool, à Nevers toujours, soit une résidence qui réunirait des artisans et des artistes autour de la faïence, puisqu’on est dans une région et un lieu où il y a cette tradition. L’organisateur de cette première, c’est l’association NØ, qui comprend une partie éducative (la Nø School), une partie commission, le Nø Lab, et une partie d’événements publics, comme lors de Nemo 2019, où, avec Jérôme Saint-Clair et le projet IoDT (Internet of Dead Things Institute), on présentera « MinitelSE », le premier système d’exploitation open source pour le Minitel.

Recueilli par annick rivoire 

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